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Avec des chiffres de ventes qui avoisinent les 55 milliards de dollars par an au niveau mondial, l’industrie du footwear ne s’est jamais aussi bien portée. Toutes les prévisions à moyen terme donnent le tournis et les perspectives rendent fou, si bien que les plus malins ont déjà su en tirer profit.
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Ce sont les resellers : des types qui achètent des paires en édition limitée pour les revendre à prix d’or sur les marchés parallèles. S’il suffisait il y a 10 ans de faire un camp out pour être sûr de pouvoir acheter la paire tant convoitée, les choses ont bien changé depuis.
Premier arrivé, premier servi
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Alors que le nombre d’adeptes des baskets a explosé, le marché a dû s’adapter tant bien que mal à la demande exponentielle. Aujourd’hui, pour glisser ses pieds dans une Yeezy Boost ou une Air Jordan dernier cri, il faut participer aux “raffles”. Ces tirages au sort, organisés par les boutiques en marge des sorties de sneakers en quantité limitée, donnent le “droit” d’acheter ladite basket. Une hérésie dans cette folle course au consumérisme.
Lancés par Nike au Japon au début des années 2010, afin de faire face aux problèmes d’insécurité liés aux campings sauvages des clients devant les boutiques, les raffles ont été banalisées par adidas à l’occasion du lancement des Yeezy Boost, en 2015, en collaboration avec Kanye West.
Au fil des sorties, ces loteries se sont imposées comme une nouvelle pratique dans le sneakers game. On pourrait même croire que ce changement de méthode élimine toute flétrissure pouvant nuire à l’image de cette culture.
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Pour Didier Trouvé, directeur de la boutique Sneakersnstuff, à Paris, “l’arrivée des raffles a clairement permis de changer la façon de vendre les paires. Ces tirages au sort ont ouvert le marché à une autre clientèle. Parce que faire un camp out, ce n’est pas possible pour tous”. Soit.
Mais dans cette logique du “premier arrivé, premier servi”, les masses silencieuses ne trouvent pas leur place, car oui, désormais, la communauté sneakers se divise en deux catégories distinctes – une tendance bien connue et sans doute acceptée en haut lieu. D’un côté, on retrouve les chanceux, les winners, ceux qui reçoivent un W à chaque participation aux raffles, et de l’autre, les tristes, les poissards, les habitués aux L (Lose). Le schisme est profond.
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Bien acheter pour mieux vendre
Certains sneakerheads ont toutefois retourné cette situation ubuesque à leur avantage, en revendant leurs paires à prix d’or, d’abord sur eBay puis via des sites Web de revente ou d’achat spécialisés en sneakers. C’est notamment le cas d’Amine qui, à 26 ans, vit “plus ou moins” de la revente de sneakers depuis presque 10 ans : “Je me suis rapidement rendu compte qu’il y avait de plus en plus de monde devant les boutiques, et qu’il était possible d’être à la fois consommateur et revendeur.”
Depuis, ce jeune ne fait que ça : acheter pour revendre plus cher. Par opportunisme ou par amour du gain rapide, il ose même s’offrir autant de paires que possible pour n’en garder qu’une seule et faire du bénéf avec les autres. De quoi faire pâlir d’envie les jeunes diplômés des grandes écoles. “Avec le boom qu’a connu le secteur, une personne lambda est prête à t’acheter une paire à 500 ou 600 balles, alors tu te dis why not”, renchérit Amine.
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Et même si ce reseller n’a pas hésité par le passé à camper pendant trois jours devant un store, il admet que les raffles ont compliqué sa tâche : “À mes débuts, la communauté sneakers était encore limitée. Tout le monde connaissait tout le monde. Et très souvent, on contrôlait d’une certaine manière le camp out… Maintenant, avec les raffles, c’est moins évident”. Des propos qui font écho aux dires de Hossame, un autre sneakers addict, qui regrette de ne “jamais avoir remporté la moindre raffle en ligne”. Didier Trouvé explique :
“Ce sentiment d’opacité vient du fait que les clients ne font pas confiance aux boutiques de sneakers. Quelle que soit notre méthode de sortie, on nous parle constamment de ‘back door’. Le fait qu’on ne donne pas des quantités sur les paires, c’est aussi le fait des marques. On est sur des produits ‘limités’ mais, une paire produite à 500 exemplaires, ce n’est pas la même chose qu’une paire produite à 10 000. La cote dépendra finalement aussi de ça. Et les marques en jouent assurément. Et surtout le resell est entouré d’hypocrisie, parce qu’au sein même des marques, on se félicite de la cote de ses paires au resell.”
Cela reste malgré tout difficile de mesurer la taille de ce marché en France ou ailleurs. D’après Business Insider, le resell rapportait plus d’un milliard de dollars au niveau mondial en 2016. Mais ce chiffre est anecdotique, au vu de l’opacité du secteur.
Quoi qu’il en soit, l’aura de Paris et la sortie de plusieurs paires exclusives ont fait de la France une sorte de sémaphore continental, un pays admiré par bon nombre de sneakers addicts. De quoi motiver les plus érudits à lancer leur propre dépôt-vente de baskets. Ces derniers portent le nom de Larry Deadstock, Afterdrop, Clockers, Structure Store ou encore Meet Up.
Leur principe est simple : acheter et revendre toutes les pièces collectors de Nike, adidas, Bape ou encore Supreme. Et plus la basket est limitée, plus son prix est élevé à la revente. Simple et efficace.
Les sneakers, le nouveau bitcoin ?
“Le marché a complètement explosé. D’un point de vue resell, il y avait à l’époque 10 % de revendeurs et 90 % de collectionneurs. Maintenant, le phénomène s’est inversé. Il y a 90 % de resellers et 10 % de passionnés”, admet Julien, plus connu sous le nom de Larry Deadstock.
Depuis l’ouverture du shop de celui qui a traversé toute l’Europe avec son camion pour assister aux plus gros évènements sneakers, les clients affluent. Parmi eux, des rappeurs tels que Seth Gueko ou La Fouine. Un succès dû à sa réputation de pilier de la sneakers culture, mais aussi à sa coolitude et à la multitude de paires qu’il propose.
Même constat du côté d’Afterdrop. Le premier shop de dépôt-vente installé à Paris régale les amateurs de hype. La concurrence est même plutôt saine entre toutes ces boutiques d’achat et de revente de sneakers. “Les produits sont limités, et on peut facilement se retrouver seulement avec deux tailles dans le magasin alors que les autres (boutiques) peuvent proposer d’autres pointures. Si tout le monde arrive à s’en sortir, c’est très bien”, explique Benicio, le gérant d’Afterdrop.
Et visiblement ça cartonne, que ce soit chez Afterdrop ou Larry Deadstock. “Rien qu’aujourd’hui, j’ai vendu six Yeezy (à plus de 600 euros la paire) et une Nike”, admet Benicio. Et certains modèles se vendent encore plus cher. Ainsi, les Nike x Sean Wotherspoon Air Max 1/97 se revendent aujourd’hui à 900 euros contre 165 euros à leur sortie en 2018. Quant à la The Ten: Nike Air Presto x Off-White, issue de la collaboration entre Virgil Abloh et Nike, on la retrouve à plus de 2 800 euros alors qu’elle a été commercialisée à la base à 150 euros.
Ces prix indécents ne semblent même pas surprendre Amine et Hossame, les jeunes resellers. “J’ai déjà pu faire 8 000 euros de bénéfices en revendant neuf paires de la collaboration The Ten de Nike x Off-White”, lâche le premier. Quant à Hossame, ce dernier est content d’avoir pu revendre une KAWS x Air Jordan 4 à 1 200 euros alors qu’elle ne coûtait “que” 350 euros à sa sortie.
Si ce marché parallèle semble déjà bien rodé en France, ce n’est rien comparé au pays de Nike. Aux États-Unis, les baskets disposent ainsi de leur propre Bourse ! Lancée en 2016 à Détroit, cette marketplace du nom de StockX propose aux passionnés un outil virtuel de trading avec des données en temps réel, comme le prix de revente moyen. Une révolution appuyée notamment par… Eminem et Mark Wahlberg qui font partie des actionnaires de StockX. Rien que ça !
Quid de l’avenir du resell ? Didier Trouvé prévient :
“Comme sur tout nouveau marché, l’offre et la demande vont faire leur travail et ces shops ne vont pas perdurer. D’autant plus que la revente va passer d’une grosse marge sur une paire à un marché qui va se concentrer sur la quantité avec des + 50 ou + 100 euros sur chaque paire. Les leaders du game devraient gérer cette révolution car ils ont les épaules pour faire du flux. Pour les plus petits, ça va être compliqué… Mais ça va rationaliser le marché, car c’était devenu n’importe quoi, et tout le monde pensait pouvoir devenir reseller.”
Mais peu importe si le pouvoir d’achat s’amenuise ou si la communauté sneakers est solidaire, les raffles et le resell ne bougeront pas. Contre vents et marées.