Une future mariée control freak, une Normandie désertique et un bowling crade : le décor de La Vie de jeune fille est planté. Mais cet EVJF qui tourne au vinaigre est surtout l’occasion pour Pauline Loquès, la réalisatrice de ce moyen-métrage, d’explorer les petits tracas et grandes désillusions de la trentaine.
Journaliste de formation mais désireuse de passer derrière la caméra, Pauline s’est d’abord heurtée aux portes closes de producteurs qui imaginaient un projet plus “cinéma d’auteur” ou bien ambiance Very Bad Trip, où “une des filles droguerait sa copine au GHB“, a confié la réalisatrice à Cheek Magazine.
De son côté, elle souhaitait surtout documenter ce que sa génération, celle des filles qui ont 30 ans aujourd’hui, vit et traverse à l’aube de cet âge charnière dans toute sa dimension tragicomique. C’est donc grâce au financement participatif sur Ulule qu’elle a trouvé sa planche de salut. Pauline a embarqué trois comédiennes et une de ses amies, ainsi que la musicienne Cléa Vincent, qui a signé la bande originale, et c’est entre filles qu’elles ont poursuivi l’aventure, rejointes ensuite par Les Valseurs.
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De la sociologie de l’EVJF
Dans La Vie de jeune fille, Jeanne, une jeune mère célibataire qui galère, Justine, anxieuse et paumée, et Cerise, une artiste au chômage, embarquent Constance, la future mariée rigide et soucieuse des apparences, fêter ses derniers instants de célibataire en Normandie. Alors que cette dernière imaginait un week-end à Mykonos, qui célébrerait comme il se doit le noble accomplissement de son projet de vie, elle va se heurter à une seconde désillusion, beaucoup plus compromettante : un texto de son fiancé lui annonçant qu’il ne souhaite plus se marier. Pour ne pas fissurer sa façade de perfection, Constance choisira de ne rien révéler à ses amies et tentera de garder la face tout le week-end, entre antipathie et léger mépris.
Terreau propice aux scénarios de cinéma loufoques, l’inévitable EVJF a eu droit à son lot de débauche, black out et blagues douteuses. Il est en revanche rarement l’occasion d’interroger cette pratique à la fois anachronique, qui suppose qu’une vie de jeune fille doit cesser dès lors que cette dernière se marie, et pourtant très contemporaine. “Je ne crois pas que nos mères partaient se bourrer la gueule à Ibiza ou Mykonos avant le mariage d’une de leurs amies“, souligne Pauline Loquès dans son entretien à Cheek Magazine.
Effectivement, d’après l’ouvrage EVJF : mode d’emploi de Maëlis Jamin-Bizet, l’enterrement de vie de célibataire pour les hommes est apparu au XVIIIe siècle et se résumait le plus souvent à une soirée alcoolisée dans une maison close. L’enterrement de vie de jeune fille s’est quant à lui développé plus tardivement, dans les années 1970, et n’a pris de l’ampleur que récemment.
Cette tradition de l’EVJF, rite de passage imposé parfois avilissant, rarement amusant, où cohabitent des personnes qui étaient faites pour ne jamais se rencontrer, peut pourtant révéler tout son potentiel absurde devant une caméra. Le temps d’un week-end imposé, sur une plage d’Ibiza ou dans une maison de campagne humide, entrent en confrontation des personnalités aux aspirations et aux idéaux bien différents et ce drôle d’enterrement devient alors le théâtre de fascinantes observations sociologiques.
Dans le court-métrage de Pauline Lopès, ces dissonances sont présentes dès le prologue mais elles se cristallisent autour d’une désopilante session jacuzzi : de l’amour non partagé pour les Disney de notre enfance ou la différence de libido entre les hommes et les femmes, les quatre filles sont aux antipodes et cette séquence très bien sentie esquisse parfaitement les contours de cette fameuse trentaine dans toutes ses aspérités, ses nuances et ses paradoxes.
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Sincères condoléances
Si le sacro-saint EVJF est supposé être un moment festif, littéralement, il signifie pourtant la fin de notre vie de jeune fille et l’enterrement de nos idéaux, une vision bien déprimante d’un passage à l’âge adulte et responsable heureusement dépassée. Un passant visiblement passé à côté de cette tradition signera d’ailleurs un touchant “sincères condoléances” lourd de sens sur le T-shirt de la future mariée.
Pour l’écriture de son moyen-métrage générationnel, Pauline Loquès a souhaité s’éloigner d’une binarité qui ferait entrer de force les personnages féminins dans des cases stéréotypées, celle de “la rigolote, la moche, la femme fatale et l’intello”. Le seul pattern entre Jeanne, Cerise et Justine : elles sont toutes attachantes. Constance aussi parfois, dans son entêtement à vouloir sauver les apparences coûte que coûte, quitte à s’oublier elle-même.
On est à même de se reconnaître dans chacune des héroïnes de La Vie de jeune fille, entre rêves de perfection et abandon de la moindre illusion qui tenterait de subsister à l’approche de la trentaine, ce qui témoigne d’une pertinence et d’une justesse de l’écriture. Et à l’occasion de cet enterrement, comme Constance, Jeanne, Cerise et Justine, on fait nous aussi le bilan de ces fatidiques 30 ans.
La Vie de jeune fille sera diffusé sur Arte le 21 février à 01 h 25.
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