King Gizzard and The Lizard Wizard fait partie de cette scène australienne et son leader a su de par son intrépidité, sa curiosité, sa productivité et son imagination sans borne détrôner ses concurrents californiens, de Thee Oh Sees à Ty Segall. C’est avant de monter sur scène lors du festival This Is Not A Love Song, où ils ont gratifié leur public de grimaces et d’une énergie inhumaine, que l’on a rencontré le cerveau de ce prodige musical.
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Stu Mackenzie se balade pieds nus dans les couloirs. Sans doute une manière pour lui de se préparer au concert qu’il s’apprête à donner. C’est sur la grande scène du festival qu’il officiera avec ses amis. Le nom de leur groupe ? Rien de sorcier, c’est King Gizzard and The Lizard Wizard. Un choix énigmatique. Du moins, autant que leur musique, faite de sonorités exotiques, de bricolage audacieux et d’une imagination sans limite. Ce groupe australien en est à son dixième album tandis qu’un onzième ne saurait tarder.
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Autant dire que leur carrière est prolifique. Mais le talent et la rapidité de la bande ne se déploient pas uniquement en studio puisqu’ils enchaînent les tournées folles. Et pour cause, lorsque King Gizzard and The Lizard Wizard prend d’assaut une scène pour y officier son culte, ça peut durer des heures, ça peut même recommencer deux fois dans la même soirée comme à Londres où ils ont saccagé le Moth Club, mais ça fait surtout bouillir la foule.
Il ne reste plus grand-chose à dire, si ce n’est un simple conseil : si vous en avez l’occasion, allez voir Stu et ses accolytes. Ils sont sans doute parmi les derniers à savoir secouer toutes les vertèbres du corps des fans qui s’agitent dans le public et à laisser les visages rougis, les haleines courtes et le cœur battant.
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Konbini | Comment vous faites pour composer en étant autant de personnes dans un même groupe ?
Stu Mackenzie | C’est super. On a beaucoup de suggestions venant de tout le monde. Composer à sept personnes, c’est évidemment difficile. Généralement on se divise en plus petits groupes, on se met à quatre et on se mélange. Tout le monde a un travail ou d’autres projets à côté, du coup c’est une bonne chose que ça tourne. On travaille avec ceux qui ont le temps et qui sont disponibles. En revanche, tourner avec autant de personnes, c’est vraiment génial. Si on se dispute avec un membre, c’est facile de l’éviter (rires). Je serais incapable de vous dire ce que c’est que d’être dans un plus petit groupe ou bien même de vous dire ce que c’est que de faire une carrière solo, je n’ai jamais eu l’occasion de vivre ça. Ce serait sans doute très étrange pour moi.
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Vous êtes l’un des rares groupes composés de deux batteurs. Pourquoi ce choix ?
On est devenu un groupe accidentellement. Nous étions tous dans plein de groupes différents en 2009. On a commencé à se regrouper entre amis pour improviser. C’était un groupe de jam. Enfin, pas comme Grateful Dead. On faisait un ou deux accords et un ou deux mots par chanson, comme ça personne n’avait jamais à répéter ou pratiquer. On avait juste à se pointer pour faire de la musique et se faire plaisir. On a fait quelques shows comme ça. Le line-up changeait tout le temps, parfois on était cinq, parfois on était dix. Les sept que nous sommes à présent sont ceux qui sont restés. Le groupe s’est solidifié autour de ces personnes-là. C’est pour cette raison que nous sommes une formation si inhabituelle. Eric, l’un des batteurs jouait un temps du synthé et d’autres percussions, mais il a toujours été batteur et a vite voulu se remettre à la batterie et c’est ce qu’il a fait.
Vous êtes très productifs, vous n’avez jamais peur de faire les choses à moitié en ayant un tel rythme ?
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Si nous avions fait moins d’albums, notre musique serait différente. Ce n’est que lorsque l’on sort nos chansons que l’on peut penser et passer à autre chose. Si nous n’avions sorti que trois ou quatre albums, nous en serions encore à la musique que nous faisions il y a quatre ans. Parfois nos chansons ne sont qu’à moitié achevées mais c’est mon style de musique favori. Et puis, je ne sortirais jamais rien dont je ne suis pas fier. Une partie du processus de création est de s’affranchir de ce qui a été créé pour passer à autre chose. Parfois, c’est difficile pour les musiciens car c’est tellement tentant de se focaliser sur tous les petits détails. Ça arrive aussi souvent de se retrouver dans une boucle sans fin entre la promotion, les tournées, les labels et les programmes. On essaye de faire ça le moins possible.
Quand trouvez-vous le temps pour créer un festival, faire vos propres vidéos, jouer deux concerts dans la même journée, etc. ? Ça vous arrive de dormir ?
Je dors très peu. Je ne suis pas un grand dormeur. Je suis très fatigué en ce moment même. J’adore faire de la musique et je n’ai pas d’autre travail donc j’arrive à trouver le temps. Je ne pense pas qu’on fasse plus de musique que d’autres. Mais on doit sûrement plus enregistrer. C’est qu’on a un petit studio, une sorte de petite boîte à chaussures dans laquelle nous pouvons enregistrer quand nous voulons. On peut y répéter aussi, ça facilite les choses.
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Tu prends des pauses quand même ?
Parfois. J’ai été au Nicaragua pendant deux semaines il y a quelques mois. Je n’ai pas joué de musique du tout, ça m’a fait du bien. Ça m’arrive peu souvent cela dit. On s’entend tous très bien, on est de bons amis hors du groupe, c’est donc un moment de plaisir que de créer et de jouer de la musique ensemble. Ça nous paraît tellement surréel. C’est un peu les vacances tout le temps. On essaye de bosser dur aussi évidemment. C’est un peu comme un voyage d’affaires on va dire.
J’ai entendu dire que vous regrettiez l’annonce de cinq albums cette année. Pourquoi avoir annoncé un objectif si impressionnant ?
On travaillait sur Nonagon Infinity à la fin de 2015. Ça a l’air si lointain aujourd’hui. C’était un album très difficile à finir. C’était un véritable défi parce qu’on venait de terminer une tournée et qu’on était tous très fatigués. On a vraiment repoussé les limites alors que c’était peut-être un mauvais moment pour le faire. À tel point qu’à la sortie on était contents de penser à autre chose. Ça a eu un effet un peu étonnant, ça nous a donné une myriade d’idées pour la suite. On était très inspirés. On n’en a rien fait pendant un bon moment et c’est pour ça que ça nous paraissait possible de sortir cinq albums cette année. On a pas mal de matière en stock. De toute façon, il reste encore du temps avant la fin de l’année 2017 et on en est déjà à trois sur cinq. C’est peut-être encore possible, qui sait ? Le truc, c’est qu’on s’est retrouvés avec beaucoup plus de tournées qu’il n’était initialement prévu. On n’a pas eu assez de temps pour enregistrer. Mais comme on adore tourner et qu’on trouve ça très excitant, ça ne nous a pas posé problème de délaisser le studio. Parfois, on s’avance trop vite j’imagine. On verra.
Votre musique est faite d’instruments inventés et bricolés et d’expérimentations microtonales, vous êtes toujours dans l’exploration des possibilités musicales. Pourquoi essayer autant de choses ?
On n’y réfléchit pas vraiment, c’est juste marrant de s’essayer à quelque chose que l’on n’a jamais fait et que l’on ne connaît pas. Ce sont des défis personnels qu’on se lance. On a aussi essayé pas mal de choses qui ne sont jamais sorties. D’ailleurs Flying Microtonal Banana a bien failli ne jamais sortir. À une période je jouais du bağlama, un instrument à corde turc sauf que c’était compliqué de l’associer au reste de nos instruments. J’ai écrit des chansons qu’il était impossible de jouer avec des guitares électriques puisque les notes n’existent pas. On s’est retrouvé avec des chansons qu’on était incapable de tous jouer alors on les a modifiées. On a aussi bidouillé quelques instruments. Mais tout ça n’avait rien de simple.
Au fait, c’est quoi le microtonal ?
La musique occidentale que l’on entend tous les jours est divisée en douze segments de douze notes. À partir du moment où l’on s’aventure au-delà de ces douze notes, il y a tellement de nuances inconnues. Les guitares électriques que nous avons modifiées sont des versions simplifiées du bağlama. Ça nous a permis d’ajouter des notes qui n’existent pas dans le monde occidental à nos compositions. D’ailleurs ces notes que l’on ne connaît pas peuvent sonner faux de prime abord parce que nous n’en avons pas l’habitude. Mais ça ne prend pas tant de temps que ça pour qu’elles finissent par être acceptées par notre oreille. L’album que nous avons créé n’est qu’une petite exploration limitée du microtonal et de tout ce qu’il est possible de faire en musique.
Murder Of The Universe est sorti le 23 juin. Sketches of Brunswick East est prévu prochainement.