L’année a été riche côté cinéma d’horreur. Masculinité toxique, body shaming, société du spectacle ou pandémie, les réalisateurs et réalisatrices se sont emparés de sujets de société pour proposer des films puissants, glaçants mais surtout jouissifs.
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Abuela, de Paco Plaza (en VOD)
Si le nom de Paco Plaza vous semble familier, ce n’est pas pour rien. C’est le bonhomme derrière la célèbre saga Rec, entre autres. Autant dire que les fans d’horreur suivent toujours de près les réalisations de ce dernier. Et sa dernière œuvre a marqué, que ce soit le public de Gérardmer (où il est reparti avec le prix du Jury), ou en salle.
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Il faut dire qu’Abuela est un concentré d’angoisse, parfaitement mis en scène, et sachant parfaitement jouer sur les attentes des spectateur·rice·s. On a rarement eu aussi peur de l’ombre, d’une vieille dame, ou d’un miroir. Une franche réussite, qui vaut le détour.
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A.C
Men, d’Alex Garland (en VOD)
Le retour d’Alex Garland, le bonhomme derrière le culte Ex Machina et le mésestimé Annihilation, n’a pas fait l’unanimité. Ce qui nous semble assez incompréhensible, tant ce qui est proposé avec Men est fort, rare, et marquant.
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Un film claustro au possible, sur la masculinité toxique (exploitant l’idée que tous les hommes sont les mêmes), avec une mise en scène d’une précision aiguisée, une Jessie Buckley magistrale, un Rory Kinnear glaçant, et où le suspens se transforme en body horror des plus effrayants.
A.C
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Coupez, de Michel Hazanavicius (en VOD)
Des cris d’horreur pas très convaincants, des litres de faux sang et plus si affinités sont dans le dernier film de Michel Hazanavicius, le remake de la comédie de zombie japonaise de Shin’ichirô Ueda Ne Coupez Pas ! Comme son modèle, il met en scène le tournage d’un film de zombies sans le sou et en plan-séquence, plongé dans une dimension parallèle lorsque de véritables zombies envahissent le plateau.
Après avoir été torturé devant la nullité absolue de cette parodie de série Z, le public se voit récompensé : de fausse comédie horrifique, le film devient une véritable déclaration d’amour au cinéma de la débrouille et aux technicien·ne·s inventif·ve·s qui peuvent planter les films avec pourtant les meilleures intentions du monde.
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M.M
Les Crimes du Futur, de David Cronenberg (en VOD)
Peut-être le plus difficile à aimer de cette sélection, mais sans doute le plus important. Pour de multiples raisons (retour de Cronenberg avec du body horror, lui qui n’en avait pas fait depuis 20 ans, présentation à Cannes), mais la principale étant que c’est un film testamentaire, le plus autobiographique d’un des plus grands cinéastes de l’Histoire. Pas rien donc.
Derrière cette histoire de sexe, de mutilations et d’artiste se faisant tatouer des organes poussant comme des tumeurs au casting XXL (Viggo Mortensen, Léa Seydoux, Kristen Stewart), on peut autant déceler une critique d’un Hollywood ne reconnaissant pas son talent, une réflexion queer et féministe sur la sexualité, un condensé de références à tous ses films, une réflexion sur la place de l’auteur dans cette industrie, le tout au sein d’une maestria technique. Et dans une certaine forme d’horreur, d’angoisse et de glauque en faisant un parfait film d’horreur — exigeant, mais parfait.
A.C
The Medium, de Banjong Pisanthanakun (en VOD)
Vous avez l’impression que depuis L’Exorciste, plus aucun film de possession n’a vraiment eu d’intérêt ? C’est déjà mal connaître le genre, ne pas apprécier amplement le travail de James Wan (le premier Conjuring était tout de même une belle réussite), et une preuve de non-ouverture au reste du monde.
Car cette année, c’est du côté de la Thaïlande qu’il fallait regarder pour en prendre plein la vue. En l’occurrence, The Medium – sorti directement en VOD ici – présente, sous les traits d’un faux documentaire, l’histoire d’un exorcisme au sein d’une famille de chamanes, d’une efficacité diabolique et avec des séquences parmi les plus fortes de l’année.
A.C
The Sadness, de Rob Jabbaz (en VOD)
La plus grosse dégueulasserie de l’année, de loin. Et forcément la plus jouissive. Découvert au festival de Gérardmer en février dernière, certaines de ses images sont restées nettement gravées dans notre mémoire. On ne sait pas, entre la fornication d’un pied découpé par un zombie ou la mastication d’un talon d’Achille encore frais, ce qui a été le plus marquant.
Le fait est que 1h40 durant, le réalisateur canadien Rob Jabbaz propose un condensé de craspouilleries flippantes, sur fond de pandémie. Si ce n’est qu’ici, les malades sont obsédés par le sang et le sexe. En période de Covid, ce n’est pas toujours simple à regarder. Gore, glauque, de mauvais goût. Un parfait film d’Halloween, donc.
A.C
Nope, de Jordan Peele (en salle)
À la croisée de la science-fiction, de l’horreur et même du western, Jordan Peele a offert cet été au cinéma son film le plus ambitieux mais aussi le plus politique. Entre un chimpanzé sanguinaire et une présence invisible, la société du spectacle devient un ressort horrifique sous la caméra du réalisateur devenu un maître de l’horreur en moins de dix ans.
Emerald et OJ sont les descendants du cavalier noir invisibilisé qui chevauchait pourtant le cheval au galop à l’origine des 24 images considérées comme l’un des premiers films de l’Histoire du cinéma. De leur ranch au milieu du désert d’Agua Dulce en Californie où ils élèvent des chevaux pour Hollywood, ils vont être les témoins privilégiés des ravages d’une présence invisible. Décidés à prendre – ou reprendre – leur place sous les projecteurs, ils vont mettre leur vie en danger pour être les premiers à filmer cette menace venue du ciel. De leur côté, Peele et son prestigieux chef-opérateur, Hoyte van Hoytema, la filment avec un réel génie.
M.M
Barbare, de Zach Cregger (le 26 octobre 2022 sur Disney +)
La bonne surprise de ce Halloween 2022 nous vient de Disney+ — comme quoi, tout est possible. Ce n’est pas la première fois qu’un film de la Fox horrifique sort directement sur la plateforme de la maison mère ; néanmoins, c’est, pour l’instant, la plus intéressante et riche des propositions que la firme aux grandes oreilles ait pu nous offrir.
On va éviter de trop vous en dire, car c’est la surprise de la structure du récit qui est sa plus grande force. Son scénario aurait pu n’être qu’un exercice de gros malin qui veut détourner absolument tous les clichés du genre (et y arrive parfaitement) et sait alterner les points de vue quand il le faut, s’il n’y avait pas en même temps une réalisation léchée, un montage tenu, un casting parfait, des références évidentes sans être trop criardes (on pense fort à The Descent par moments), et un message politique et sociétal plus que coton. On passe sur une fin un peu too much, celle-ci n’enlevant rien au malin plaisir pris pendant le visionnage.
A.C
Smile, de Parker Finn (en salle actuellement)
On a conscience que Smile est le film le plus mainstream de la liste, mais ça n’en fait pas pour autant un mauvais film d’horreur. Le long-métrage de Parker Finn, adapté de son propre court Laura Hasn’t Slept, a créé la surprise au box-office de cette fin d’année et emprunte la recette à succès des productions Blumhouse : petit budget, marketing viral (de haute volée, il faut l’admettre) et surtout une pléthore de jump scare qui vont attirer la jeunesse dans les salles obscures.
L’histoire de Smile, qui servirait de parfaite utopie au Joker, s’appuie énormément sur des références (It Follows et The Ring en tête) pour séduire les spectateurs et spectatrices. Le concept décalé du sourire qui se transforme en vision de cauchemar fonctionne très bien devant la caméra de Parker Finn, dont la mise en scène teintée d’une certaine émotion nous plonge dans l’introspection intime des personnages et leurs relations (la famille dysfonctionnelle, la thématique du deuil, la hantise des souvenirs), n’est pas sans rappeler le style de Mike Flanagan. Souriez, vous allez trembler.
A.D
Bonus : Piggy, de Carlota Martínez-Pereda (en salle le 2 novembre 2022)
Pour Sara (Laura Galán), l’été dans son petit village espagnol est surtout synonyme de harcèlement et de body shaming violent. Surnommée “cochonne” par ses harceleuses et violentée verbalement par sa mère, elle va être confrontée à un dilemme lorsqu’un mystérieux étranger décide de s’en prendre à trois de ces brutes. Sara en sait plus qu’elle ne veut bien l’avouer mais ne sait pas si elle doit parler pour espérer sauver ses bourreaux ou conserver l’anonymat de cet étranger sanguinaire qui semble lui vouloir du bien.
Après un passage remarqué à Sundance, Piggy a fait du bruit au Fantastic Fest, à Austin, avant d’être récompensé au BIFFF par le prix de la critique. Premier long-métrage de la réalisatrice espagnole Carlota Pereda, adapté de son court-métrage Cerdita réalisé en 2018, ce coming-of-age est un véritable film d’horreur mais surtout une proposition radicale pour évoquer le harcèlement et ses conséquences dramatiques.
M.M
X, de Ti West (en salle le 2 novembre 2022)
Oubliez Scream 5, le slasher de l’année est une petite pépite qui a fait sensation au festival South by Southwest. Au nom aussi simple que sulfureux, X est le nouveau film produit par le prolifique studio indépendant A24, qui ne fait décidément jamais rien comme les autres. Le long-métrage de Ti West nous ramène à une époque oubliée du cinéma de genre américain, gore, éprouvant, à l’esthétique (faussement) cheap – de ces films qu’on pourrait mater en plein air au volant d’une décapotable. C’est jouissif, irrévérencieux et surtout loin d’être aussi bête et méchant qu’un simple tournage de film porno qui dérape en massacre sanglant.
En plus de révéler deux jeunes actrices, Jenna Ortega et Mia Goth, appelées à devenir les prochaines scream queen du grand écran, X est un hommage aux productions grindhouse des années 1970. À la fois sexy, violent et étrangement poétique dans sa représentation de la vieillesse et plus précisément de la sexualité des seniors, le film de Ti West réhabilite, sans pour autant réinventer la roue, l’horreur sous sa forme la plus pure et archaïque. Le réalisateur a déjà prévu un préquel (Pearl) et une suite attendus dans les prochains mois, dans le respect traditionnel des films d’exploitation.
A.D
Article écrit par Arthur Cios, Adrien Delage et Manon Marcillat