Grand habitué de la Berlinale, l’acteur allemand y présentait deux films cette année, Passages d’Ira Sachs et Disco Boy de Giacomo Abbruzzese. Les deux métrages ont comme scène centrale des séquences de clubbing à Paris où l’acteur se déhanche en haut résille ou descend des verres de bordeaux au comptoir. La fièvre du samedi soir avait la cote cette année à Berlin, La Bête dans la jungle de Patric Chiha et After d’Anthony Lapia, également présentés au festival, ont même fait des boîtes de nuit leurs personnages principaux.
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Ancien chorégraphe, Franz Rogowski a plus que jamais mis à profit son passé de danseur dans Disco Boy, œuvre inclassable qui pourrait se situer quelque part entre Beau Travail de Claire Denis et un envoûtant film de guerre et de danse, qui nous embarque dans un voyage fantastique de la Biélorussie à la jungle nigériane.
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“Mon passé en tant que danseur inspire beaucoup les réalisateurs mais pour être honnête, je n’aime pas danser au cinéma. Il n’y a rien de plus intimidant pour moi. C’est même plus intimidant qu’une scène de sexe.”
Figure du cinéma d’auteur allemand, son physique cabossé — infiniment vulnérable autant qu’il peut être inquiétant — et son timbre de voix — guttural et teinté d’un zézaiement enfantin — le démarquent instantanément de ses congénères. L’acteur a ainsi pu revêtir une multitude de masculinités différentes à l’écran : masseur introverti, timide rayonniste ou scaphandrier réservé pris dans des romances atypiques mais aussi voyou au crâne rasé ou artiste toxique.
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À l’écran, Franz Rogowski est malléable à merci. Au téléphone, il prendra le temps, s’enquerra de la météo ou de notre programme du week-end, s’accordera le temps de la réflexion afin de poser les mots les plus justes sur ses idées.
Économie de mots et physicalité généreuse
Dans Disco Boy, charismatique comme jamais, il incarne Aleksei, réfugié biélorusse, qui s’engage dans la Légion étrangère dans l’espoir d’obtenir un passeport français. Il sera envoyé au combat dans le delta du Niger où Jomo, jeune révolutionnaire, lutte contre les compagnies pétrolières qui ont dévasté son village mais s’imagine être danseur, un disco boy. Dans la jungle, leurs rêves et destins vont se croiser.
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“Pendant trois semaines, on a eu un entraînement de danse, tous les jours, pendant plusieurs heures, pour se remettre en forme et trouver un langage corporel commun ainsi que la chorégraphie qui lie les trois personnages principaux ensemble.”
La première fois que Franz Rogowski a dansé au cinéma, c’était dans un karaoké filmé par la caméra de Michael Haneke. En 2017 dans Happy End, il interprétait le fils unique et dépressif d’Isabelle Huppert et héritier putatif de l’entreprise familiale. Cinq ans de carrière en Allemagne et déjà il s’exportait à l’international sous la direction du célèbre réalisateur autrichien.
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“J’ai été le mec chanceux qu’il a rencontré après avoir vu plus de 100 acteurs français talentueux. Je ne sais pas pour quelle raison j’ai réussi à donner la couleur qu’il souhaitait à sa peinture. Mais le casting est 100 % français, mon personnage est Français, j’ai donc eu beaucoup de chance d’avoir ce rôle.”
Il partagera ensuite son temps entre cinéma d’auteur allemand et projets à l’international, pour les américains Terrence Malick et Ira Sachs ou l’italien Gabriele Mainetti. “Pour moi, en tant qu’Allemand, tourner à l’italienne m’a semblé être de la folie, c’est bruyant et chaotique mais ça fonctionne.” S’il se frotte à tous les rôles et à toutes les méthodes, on observe cependant une constante : l’absence de rôles de nazis dans sa filmographie, fait rare pour un acteur allemand qui tente de s’exporter sur la scène internationale.
Mais il n’évite pas le sujet de la Seconde Guerre mondiale et a ainsi endossé le rôle de Waldlan, le compagnon de cellule de Franz, le héros qui, en opposition au régime nazi allemand, deviendra objecteur de conscience dans Une vie cachée de Terrence Malick, puis celui de Hans Hoffmann, mis derrière les barreaux en raison de son homosexualité dans l’Allemagne d’après-guerre, dans Great Freedom de Sebastian Meise. Une fois, il fera une entorse à la règle en acceptant le rôle de Franz, le nazi toxico à la tête d’un cirque peuplé de freaks aux super-pouvoirs, dans Freaks Out de Gabriele Mainetti, “un thriller flottant au-dessus de tous codes moraux”.
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“J’ai dit non à de nombreux rôles de nazis sans pour autant être opposé à ce genre de personnages. Mais je trouve ça curieux comme certains acteurs allemands profitent de notre histoire. Et en même temps, ça montre à quel point on tombe très facilement dans le piège des cases. Je suis très heureux de ne pas être connu pour mes rôles de nazi.”
En creux de cette impressionnante pluralité de rôles se dessinent un attrait pour l’économie de mots et la physicalité généreuse. Franz Rogowski danse dans Disco Boy, plonge dans Ondine, dresse des rapaces dans Luzifer mais le rôle le plus intense de sa carrière est peut-être celui de Boxer dans l’hallucinant Victoria de Sebastian Schipper qui filmait l’histoire d’une soirée qui tourne à la tragédie en un seul plan séquence de 2 h 14.
C’est à la fin de notre conversation que l’on comprendra l’origine de cette appétence pour ces personnages qui expriment davantage par leur visage et par leur corps que par leurs mots. À 20 ans, avant d’être danseur puis acteur, Franz Rogowski gagnait sa vie en faisant le clown et performait, avec un ami, des petits numéros de jongle dans les rues de Locarno pendant le Festival international du film.
“Il y avait du monde donc on se faisait un peu d’argent et le soir, on pouvait assister, de loin, aux projections sur la grande place. Et dix ans plus tard, j’y suis retourné avec un film en compétition. Je suis toujours un clown mais aujourd’hui, je montre mes films.”
Avant de raccrocher, il s’excusera par avance pour le bruit de la plante à côté de laquelle il est assis, qui pourrait altérer la qualité de l’enregistrement. Bref, on a fait un FaceTime avec Franz Rogowski, définitivement l’acteur le plus captivant du moment.