On a classé (objectivement) tous les films du GOAT Martin Scorsese, du moins excellent au meilleur

Publié le par Arthur Cios,

(© Metropolitan FilmExport / Warner Bros. / Paramount Pictures / Universal Pictures)

Spoiler : Killers of the Flower Moon est dans le top 10.

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Si les sorties régulières (et franchement devenues lassantes, alimentées par des journalistes en mal de clic) de Martin Scorsese sur Marvel, les plateformes et le cinéma ont appris une chose au commun des mortels, c’est bien que notre cher Scorsese aime le cinéma plus que quiconque et qu’il est, au fond, impossible pour lui d’en parler. Il l’aime trop. Il pourrait passer des heures sur un seul film ou auteur. Au détour d’interviews récentes, le cinéaste a expliqué à plusieurs reprises être incapable de classer, ou de choisir parmi ses œuvres celles qu’il préfère.

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Est-ce un sacrilège donc d’exécuter exactement ce qu’il déteste, sur lui ? Certainement. Pourtant, se replonger dans la riche carrière de Scorsese, c’est se replonger dans l’histoire de ce demi-siècle de cinéma. C’est observer les influences de la Nouvelle Vague, le voir s’inscrire faussement dans le Nouvel Hollywood, transcender la notion de film de gangsters, expérimenter encore et toujours et constater qu’à 80 ans, il est toujours aussi pertinent, fort et important.

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C’est aussi cerner et se plonger sur ses obsessions — la mort, la trahison, l’ascension et la chute, l’hyperviolence, la religion, New York, la communauté italo-américaine — et voir comment de certaines œuvres ultra-typées scorsesiennes, il dérive parfois sur du film en costume, du film d’horreur, du film historique, du film d’amour.

Martin Scorsese, c’est un tout immense, qu’on va quand même classer, pour l’amour de l’exercice ; parce qu’au fond, même un mauvais Scorsese reste un grand film et parce qu’il n’y a aucun raté (ou presque).

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Vous nous excuserez, on ne considérera pour cet article que les longs-métrages de fiction, hors documentaires, courts et autres. Ce sera pour une prochaine fois.

#26. Bertha Boxcar (1972)

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Même les fans de Scorsese ont du mal à défendre ce film. C’est peut-être parce que son deuxième long est son plus oubliable, ou que c’est injustement son film le moins identifié. Pourtant, il y a de belles choses dans ce film d’itinérant qui va tantôt piocher dans le film de gangster, tantôt dans la romance pure.

S’il est classique dans sa forme, on reconnaît lors de rares moments la patte visuelle du cinéaste. Le sous-texte politique, clairement trop effacé par rapport, peut surprendre. La religion, la crucifixion. La perversion des gangsters que l’on croit glorifiés, parce qu’on s’amuse (la scène où Bertha s’amuse avec les braqués), alors qu’elle ne peut être synonyme d’une vie de rêve.

Ce film n’est pas loin d’être du même acabit que les séries B de Corman et consorts, mais il reste bien en deçà de ce que Scorsese nous réserve.

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#25. Kundun (1997)

Pour le commun des mortels, Scorsese est le grand réalisateur de films de gangsters. Tout au long de ce classement, vous vous rendrez compte qu’il s’est souvent éloigné de cette réputation. C’est quand même le cinéaste derrière le biopic du 14e Dalaï-Lama, qui évoque la jeunesse de cette figure religieuse/politique.

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Le fait est que le film est loin d’être mauvais, mais il est clairement l’un des moins intéressants de Scorsese. Pourtant, ce dernier sait y faire en matière de films historiques et de grands récits. Ce n’est pas nécessairement ça qui cloche. On pourra parler du fait que tout le monde parle anglais pour un film se déroulant au Tibet, en Chine et en Inde. Mais au-delà de ça, et ce malgré une conclusion déchirante, on sent un détachement du réalisateur de son projet. Ce n’est pas pour autant un mauvais long, qu’on soit d’accord.

C’est la force de Scorsese : même ses moins bons projets demeurent d’une grande qualité.

#24. Aviator (2004)

Si l’association Martin Scorsese – Robert de Niro marquera la filmographie du cinéaste au XXe siècle, c’est bien celle avec Leonardo DiCaprio qui marquera le XXIe. Après une collaboration plus collégiale (Gangs of New York), Scorsese donne pour la première fois un vrai grand rôle à DiCaprio dans ce biopic ambitieux, celui d’Howard Hughes, producteur et pilote.

Sur le papier, Scorsese se donne. C’est long, profond, intense, ça joue avec le cinéma d’antan qu’il chérit tant, et c’est réalisé avec une maestria technique impressionnante. La photo de Robert Richardson en technicolor est canon. Mais on regrettera l’aspect freudien, subtil comme un mammouth, du traitement des troubles mentaux d’Hugues, poussant DiCaprio à en faire des caisses, voire à cabotiner.

C’est un des meilleurs biopics de l’Histoire ; c’est dire la qualité des autres. Mais c’est aussi un des moins bons Scorsese ; c’est dire la qualité des autres.

#23. Who’s That Knocking at My Door (1967)

Le premier film du cinéaste pouvait tout prédire de sa carrière. On y retrouve les thèmes de sa filmographie (la place de la religion, les petits malfrats, Little Italy, la rédemption et la tentation de la vengeance violente). On y trouve déjà Harvey Keitel, qui le suivra jusqu’au bout. On retrouve aussi l’attrait du réalisateur pour cet art, que ce soit par la présence d’un segment sur Ford, ou par la volonté de reprendre les codes de la Nouvelle Vague.

Mais ce qui frappe surtout, c’est cette volonté de modernité qui transpire tout du long du film. On pense au montage, déjà effectué par sa collaboratrice de longue date Thelma Schoonmaker, qui est déjà en avance sur son temps — la scène, expérimentale dans la forme, de sexe avec les deux femmes sur fond de The Doors le montre plus encore. On ne parle pas non plus du fond du film, où Scorsese montre bien la bêtise à sens unique du personnage mascu de J.R. qui lui a couché avec la Terre entière mais ne supporte pas que celle qu’il considère comme la femme de sa vie ait pu être violée — avant qu’elle le quitte après cette phrase terrible de pardon.

C’est un proto Mean Streets, en somme. Pour un film de fin d’études, c’est impressionnant à bien des égards.

#22. Hugo Cabret (2011)

De prime abord, conte de Noël en 3D enfantin et Martin Scorsese ne semblent pas aller de pair. Hugo Cabret a prouvé le contraire. Bon, si on est totalement transparents, il y a une grande partie de l’intrigue et du jeu qui sont exagérés, il y a des ressorts comiques qui ne sont pas dingues, il y a certains dialogues clichés et qui sont indissociables du genre et qui nous sortent du récit, voire qui nous encouragent assez peu à voir ce film.

Sauf que derrière les pérégrinations de gosses à Gare du Nord, se cache une déchirante et sublime déclaration d’amour au septième art, à sa naissance et à ce qu’elle cache, à savoir la disparition de certaines œuvres et talents et une puissante redécouverte pour le commun des mortels (les Américains) de Georges Méliès.

Le cœur émotionnel n’en sort que renforcé.

#21. Les Nerfs à vif (1991)

Scorsese est connu pour éviter la franchisation à outrance. Pourtant, il a pu faire une suite (vous verrez), et deux remakes — dont celui-ci. Mais à chaque fois, l’intérêt réside dans la différence entre l’œuvre originale et celle de Scorsese. Ici, c’est flagrant.

Le réalisateur transforme le film de 1961 avec Robert Mitchum qui était déjà bien assez sombre, en thriller horrifique poisseux et offre au passage le rôle le plus menaçant et dur de Robert De Niro. Le jusqu’au-boutisme de sa fin ne rend le tout que plus savoureux.

Pas assez reconnu.

#20. Gangs of New York (2002)

Ce film est un peu trop mal-aimé par les puristes et trop aimé des autres. La vérité se trouve entre les deux. Évidemment, le film a mille défauts, est trop gargantuesque, a été massacré au montage (et sans doute dans d’autres étapes par Weinstein) et a souffert d’une gestation trop longue. Évidemment.

Évidemment aussi qu’il est important dans le grand récit de l’Histoire des États-Unis parce qu’il raconte un pan peu exploité par le cinéma à travers une affaire de vengeance épique, qui fonctionne surtout, surtout, grâce à la performance exceptionnelle de Daniel Day-Lewis en Bill the Butcher, dans un de ses meilleurs rôles.

Du pire, du meilleur.

#19. Le Temps de l’innocence (1993)

Oui, Scorsese et film d’époque en costume ambiance romance du XIXe siècle sont compatibles. Non seulement ça fonctionne, mais en plus, c’est grandiose. Pourquoi est-il 20e de ce classement me demanderez-vous à juste titre ? Parce qu’on ne parlera plus que de grands films. Réellement.

Le Temps de l’innocence sort entre Les Affranchis et Casino, une anomalie loin des mafieux qui va raconter la romance tiraillée entre des bourgeois de la haute société new-yorkaise. C’est un faux classique académique, qui parle d’une société en vase clos, où on ne peut sortir des codes et des conventions de son époque, d’une cruauté sans nom, le tout dans un film cruel et déchirant.

Un pur Scorsese quoi.

#18. La Couleur de l’argent (1986)

C’est la seule suite de la filmographie de Scorsese — bon, après, il faut reconnaître qu’en plus d’être l’un des longs les moins connus du réalisateur, le film original, L’Arnaqueur, l’est encore moins. C’est clairement un film facilement qualifiable de “sous-coté”.

Non mais franchement, c’est un film avec un Paul Newman qui tombe sur la jeune relève du monde underground du billard (Tom Cruise) dans une ambiance de bar qui pue la clope et de petite débrouille dans les années 1980 sur fond de critique de l’ère Reagan et de son rapport au capitalisme. Franchement ?

Un petit grand film.

#17. The Irishman (2019)

Vous avez tous regardé de haut, de beaucoup trop haut, l’œuvre crépusculaire de Scorsese. Sans doute qu’il ne fallait pas l’avoir sur Netflix. Sans doute que 3 h 30 sur un petit écran pour une telle œuvre, c’est compliqué. Sans doute aussi que vous êtes des benêts qui ne comprennent pas le geste fou d’un réalisateur en activité depuis 60 ans, qui parle de la mort et de la fin des artistes qui ont jonché sa carrière.

Alors oui, le “de-aging” numérique n’est pas très beau et a déjà vieilli. Mais cet accessoire ne devrait pas vous faire oublier ce film hanté qui est un commentaire de son époque, de la filmographie et est aux antipodes, justement, des œuvres les plus célèbres de son auteur. Scorsese est plus froid, grisâtre, et triste que jamais.

Après, visuellement, ce n’est pas toujours simple. Mais quand même.

#16. After Hours (1985)

On colle peu à Scorsese l’image de réalisateur romantique. De la même manière, il n’est pas réputé pour être le plus drôle de la bande. After Hours prouve que le cinéaste peut, quand il veut et comme il le veut, réaliser une comédie. Une comédie made in Scorsese ne peut être autre chose qu’une comédie noire.

Ce qui surprend le plus dans le film, au-delà de son aspect comique, c’est son côté quasi surréaliste/cauchemardesque. Dans un New York effrayant, le parcours de cet homme malchanceux à en crever est aussi fou que son univers. Fait pour trois francs six sous en attendant La Dernière Tentation du Christ, le film mériterait d’être bien plus haut dans ce classement.

D’ailleurs, on va peut-être changer d’avis dans les prochaines semaines. Sachez-le.

#15. Alice n’est plus ici (1974)

La légende raconte que Martin Scorsese se serait entouré de femmes pour concevoir ce récit de femmes, admettant bien volontiers ne pas être le plus enclin à savoir raconter ce genre d’histoires. Et pourtant…

Sous ses allures de pur film des années 1970 sur l’Amérique en quête de liberté, qu’on appelle plus régulièrement l’Americana, le film est un drame, parfois d’une certaine joliesse, parfois assez drôle, mais toujours parfaitement émouvant sur une mère célibataire faisant son possible pour réussir dans la chanson sans plonger son foyer dans une trop grande misère.

Trop peu cité — à part par Taika Waititi dans son Vidéo Club.

#14. La Valse des pantins (1983)

Tristement redécouverte lors de la sortie de son remake Joker, La Valse des pantins est loin d’être une comédie. Il est assez terrible, autant dans sa forme (un drame glauque penchant vers le thriller d’une certaine violence par moments) que dans son fond (le besoin de la célébrité, aussi éphémère qu’elle soit).

Le kidnapping par un wannabe humoriste incarné par De Niro de son comédien préféré, joué par Jerry Lewis, amène de grands moments de gêne, de situation inconfortable, grinçants à souhait. Il parle aussi bien de son époque, que de celle que l’on vit 40 ans plus tard.

Le cousin germain de l’immense Network : Main basse sur la télévision de Sidney Lumet.

#13. À tombeau ouvert (1999)

Dans la catégorie “film-de-Scorsese-boudé-des-critiques-et-du-public-à-l’époque-et-toujours-pas-considéré-à-sa-juste-valeur“, À tombeau ouvert a sa place Comment se fait-il que près de 25 ans après ce coup d’éclat, il soit encore pris pour ce qu’il n’est pas, à savoir un Scorsese mineur ?

Que faut-il de plus ? C’est l’un des plus grands moments musicaux de la carrière de l’immense cinéaste, l’une des meilleures performances de toute la carrière de Nicolas Cage (même lui le reconnaît volontiers), l’un des meilleurs scripts de Paul Schrader (et ça, ce n’est pas rien) et l’une des œuvres les plus sombres, intenses et durs du cinéaste.

Ce n’est pas suffisant ?

#12. Shutter Island (2010)

Considéré par beaucoup comme un Scorsese mineur, trop mainstream, trop générique, trop basique, jugé comme étant un simple thriller à twist, Shutter Island est rarement pris pour ce qu’il est réellement : une bête de film, minutieusement écrit, magistralement mis en scène, d’une intelligence remarquable et avec un sous-texte politique et historique puissant.

À la manière des Nerfs à vif, Scorsese construit son récit horrifique sur la durée, qui réside évidemment sur une résolution surprenante — le spectateur ayant été mené à la baguette à penser que le monde était fou alors que c’était le personnage principal qui l’était — mais qui gagne à être revu, encore et encore, pour le sens du détail qu’exerce Scorsese tout du long.

C’est trop bien fait pour être plus bas. Pardon, mais c’est comme ça.

#11. New York, New York (1977)

Il y a des mystères plus forts que d’autres. Mais dans le cadre de cet article précis, un dépasse les autres : pourquoi les critiques américaines sont-elles aussi virulentes avec ce qu’on peut facilement considérer comme l’un des (nombreux) chefs-d’œuvre de Scorsese ?

Sur tous les classements d’Outre-Atlantique que vous pourrez lire, vous verrez le film qui a suivi Taxi Driver tout en bas, toujours pris pour une vulgaire comédie musicale trop longue, trop bavarde, et trop peu inspirée. Soit tout l’inverse de ce qui aurait pu coûter la carrière de Scorsese (à la façon d’un Coup de cœur pour Coppola, frère jumeau dudit long, lui aussi mésestimé au possible).

Et dire que certains le comparent à La La Land

#10. Les Infiltrés (2006)

Le choix qui va faire mal, que beaucoup trouveront beaucoup trop bas. Ça s’entend : le double thriller au casting XXL (Matt Damon, Leonardo DiCaprio, Jack Nicholson, Mark Wahlberg, et plus encore) a permis à Scorsese d’obtenir sa première statuette dorée de meilleur réalisateur. Et il la méritait.

Mais il ne faut pas oublier le fait qu’il est le remake d’un film hong-kongais absolument remarquable, Infernal Affairs. Certes, Scorsese transforme le matériau de base pour se l’approprier à fond, dans un film long mais qui file à toute allure, jonché de rebondissements et à la fin parmi les plus culte de Scorsese. Mais quand même…

Après, on se cherche un prétexte, parce qu’on est bien d’accord, ça demeure un incroyable film.

#9. Killers of the Flower Moon (2023)

Je ne suis pas sûr que l’on se rende compte de la chance que l’on a d’avoir un Scorsese encore en activité et capable, à son âge et après plus de 60 ans de carrière, de réussir à faire ce qui est, à date, l’un de ses meilleurs films — comme un certain Steven Spielberg.

Dans le rythme, Scorsese n’a jamais abordé une intrigue de la sorte, laissant place à un amour pourri de naissance prendre vie. Sur le fond, c’est, de loin, le film le plus politique de son auteur. Jamais Scorsese n’a eu autant de mépris pour ses protagonistes — incarnés, de surcroît et pour la première fois réunis chez Scorsese, Robert De Niro et Leonardo DiCaprio.

C’était une de nos plus grosses claques de Cannes. C’est un des meilleurs films de 2023 et un des meilleurs Scorsese. C’est beau, non ?

#8. Raging Bull (1980)

C’est le film qui a révolutionné la vision de la boxe sur grand écran. En même temps, jamais personne ne pourra reproduire l’exploit de Raging Bull, tant les plans, le découpage, les dolly shots, la caméra sur le ring, est désormais une propriété privée de M. Scorsese. Pourtant, on pourrait passer des heures à lister ceux qui s’en sont inspirés sans jamais réussir à s’en approcher réellement.

On vous entend déjà hurler de ce positionnement. “Quoi, Raging Bull, le chef-d’œuvre, même pas dans le top 5 ?“. Alors, déjà, vous avez vu la qualité de la filmographie ? Et puis, si on est un tout petit peu difficile deux secondes, on pourra argumenter que le film est un peu boursouflé, trop long. Mais on serait de mauvaise foi sur l’un des plus grands Scorsese, et l’une, si ce n’est LA, plus grande performance de De Niro.

Le plus grand film de sport ? Sans l’ombre d’un doute.

#7. Le Loup de Wall Street (2013)

C’est hilarant, quand on y pense, que Le Loup de Wall Street soit le Scorsese préféré de plein de gens, qui pensent que c’est cool de voir DiCaprio prendre de la coke sur le cul d’une prostituée. C’est hilarant que tant de personnes soient à ce point passées à côté du message du film.

Ne nous méprenons pas : le film surexcité de Scorsese est incroyablement moderne, d’une énergie folle — et à 71 ans ! Mais comment ne pas voir le mépris qu’a le cinéaste pour ce monde, ces excès, ses ego surdimensionnés, ce fric roi dégueulasse… Sous ses airs de film cool, se cache une satire d’une puissance incroyable, que trop peu de gens semblent avoir cernée.

C’est un mystère qui rend le film encore plus brillant encore.

#6. Silence (2016)

Le sacré chef-d’œuvre que personne n’avait vu venir. Après la folie de Wall Street, le calme (c’est faux) de la campagne médiévale japonaise. Outre ce superbe casting (Liam Neeson, Andrew Garfield et Adam Driver (!)), on pourrait se demander de prime abord : mais que diable est parti faire Scorsese à raconter le récit de deux prêtres catholiques portugais partis à la recherche de d’un prêtre qui aurait supposément abandonné Dieu ?

On pourrait écrire des livres (cela a déjà sans doute été fait) sur la place du religieux dans la filmographie et la vie de Scorsese. Derrière le récit en creux d’un séminariste dont la foi va être malmenée par la cruauté de l’Homme, le réalisateur se remet lui-même en question, s’interroge sur son œuvre, ce qu’il raconte depuis un demi-siècle et se questionne sur ce qu’on peut piétiner ou non, et jusqu’où tout ceci est acceptable. Le tout avec une maestria de mise en scène déconcertante, une photo exceptionnelle et un rythme hypnotisant.

C’est un immense film. Vraiment.

#5. Mean Streets (1973)

Considéré par beaucoup comme le vrai premier long-métrage de Scorsese, Mean Streets est la matrice de sa filmographie. C’est le film qui pose les jalons de ce que sera l’ADN d’un film de Scorsese : des mafieux à Little Italy, le tiraillement entre l’instinct sanguin et l’ambition de grimper les échelons dans le monde des gangsters, une imagerie rappelant par moments la religion catholique, avec une esthétique semblable à son premier long (la couleur en plus), c’est-à-dire qui s’étend de la Nouvelle Vague au Nouvel Hollywood (dont il fait clairement partie, enfin d’une certaine manière) ou aux films de gangsters des années 1930, en passant par Fellini ou Cassavetes, sur fond de Rolling Stone ; le tout en réussissant à se créer une identité propre.

Mais Mean Streets n’est pas à cette place uniquement pour l’importance qu’il a dans la vie du cinéaste. C’est aussi et surtout parce que c’est un film tout bonnement remarquable qui, derrière ses ralentis et plans-séquences fous, dissèque le petit quotidien, les dialogues, les arrière-pensées des malfrats, sans jamais glorifier la violence qu’ils génèrent par défaut — ces hommes, dans ce New York craspouille, avaient-ils d’autres choix ?

Quand Scorsese commence à raconter ce qu’il connaît né un cinéaste, l’un des plus important de l’histoire de son medium.

#4. La Dernière Tentation du Christ (1988)

C’est là le geste le plus fou furieux de Martin Scorsese : lui, qui a toujours placé le Christ et la foi dans tous ses films, va faire le blasphème ultime ; raconter la vie de Jésus, pas uniquement en tant que Messie, mais en tant qu’homme. Quoi ? Le fils de dieu, un simple humain ? N’est-ce pas contradictoire ?

Les intégristes ont appelé au boycott et ont menacé le film, le scandale ayant pris une telle envergure que personne n’a vraiment regardé le fond du sujet. Car donner une humanité à Jésus, c’est le rendre plus proche du spectateur — la voix-off aide beaucoup également. On comprend ses doutes, ce qui l’habite, la haine des autres envers lui. La relecture, basée sur un écrit de Nikos Kazantzakis, est dingue. On a un Judas qui est en réalité le plus fiable des compagnons de route, tandis que Jésus veut baisser les bras à tant de reprises car il se rapproche doucement de la folie. C’est une relecture qui tend par moments vers le fantastique et a une fin de la plus grande audace. De la part de Scorsese, tout ceci semble trop fou pour être vrai.

Trop en avance sur son temps. Beaucoup trop fort. Trop intelligent et grandiloquent. Peu de gens le considèrent pour ce qu’il est : un des meilleurs films de son auteur.

#3. Taxi Driver (1976)

Tout a été dit sur ce film culte, si ce n’est qu’il l’est, comme un certain Loup de Wall Street, pas nécessairement pour les bonnes manières. On glorifie une certaine imagerie de la violence et on réduit son discours à celui de la marginalisation d’un homme dans la société ne pouvant mener qu’à la folie — comprendre les incels — en vrai, c’est logique (poke Joker) alors que le film est tellement, tellement plus.

C’est même contradictoire quand on se penche deux secondes dessus, qu’un film aussi arty, expérimental, lent, sans réelle intrigue, puisse être aimé de tant de personnes. Il y a sans doute quelque chose dans l’écriture de Schrader de ce marginal, ce paria que la société rejette (ou qui se croit rejeté) qui fait qu’on peut tous, quelque part, à un instant, se reconnaître en Travis. Que ce soit dans le désespoir, dans l’espoir renaissant, dans la désillusion que la politique peut faire changer les choses, dans le fait que l’intégralité de la société est aussi pourrie que nous.

Qui parle mieux de l’Amérique des années 1970 brisée par la guerre du Vietnam et de ce New York abîmé que Scorsese ? Comment un film peut-il être toujours aussi pertinent 50 ans plus tard ? Comment Scorsese a pu filmer cette ville de nuit comme personne auparavant — et comme personne ne pourra le faire par la suite ? Les frères Safdie moderniseront bien le procédé, mais le rendu sera différent.

#2. Les Affranchis (1990)

“Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours rêvé d’être un gangster.” C’est peut-être l’introduction la plus culte de toute la filmographie de Scorsese, la phrase de voix-off la plus connue et reconnue, qui présage le meilleur et le pire — ce rêve ne peut n’avoir qu’une seule issue — et donne la parole en filigrane autant au personnage incarné par Ray Liotta qu’à Scorsese en personne.

Que dire du film qui a marqué sa décennie au fer rouge, devenant la recette à reproduire à tout prix, et qui en même temps allait, en tout point, au plus loin de ce qu’est l’ADN de Scorsese, dans son écriture, dans ses motifs, dans sa vision de la mafia, dans son style visuel, dans son utilisation de la musique, dans l’ampleur de son récit et dans ses ruptures de ton.

C’est presque le meilleur de ce qu’a pu produire Scorsese…

#1. Casino (1995)

Il y a deux équipes : ceux qui considèrent que Casino n’est qu’une copie des Affranchis et ceux qui voient dans les Affranchis le sublime brouillon de ce que sera à tout jamais le grand, le monument de Scorsese. Vous aurez compris qu’on est ici dans la deuxième.

En quittant New York pour le Las Vegas des années 1970, Scorsese transcende le cliché du film de mafia pour offrir au monde la quintessence de ce qu’est un film de Scorsese. Tout y est, tout est là. De l’utilisation d’un microcosme (un casino) pour parler de la société plus globale à l’émergence brutale de la violence quand on s’y attend le moins, rappelant comme toujours que derrière la lumière des néons, se trouve la crasserie des self-made men. Le film parle de la désillusion d’un monde dont certains rêvent encore. Personne n’avait montré la capitale du jeu comme lui et personne ne pourra plus jamais le faire.

C’est un monument, que dire de plus ? C’est l’ascension et la chute les plus mémorables de la fin du XXe siècle. C’est certains des plus beaux plans du cinéaste. C’est le plus grand, pour toujours.