Soixante ans après Iouri Gagarine, les Russes veulent à nouveau battre les Américains dans une course spatiale : cette fois-ci, il s’agit d’être les premiers à tourner un film de fiction en orbite et en apesanteur.
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La mission a été confiée à l’actrice Ioulia Peressild, 36 ans, et au réalisateur Klim Chipenko, 38 ans, qui décolleront du cosmodrome de Baïkonour avec le cosmonaute Anton Chkaplerov à bord d’une fusée Soyouz pour rejoindre du 5 au 17 octobre 2021 la Station spatiale internationale (ISS).
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L’équipage brûlerait ainsi la politesse à la star de Mission Impossible, Tom Cruise, 58 ans, et au réalisateur de Mr and Mrs Smith Doug Liman, 55 ans. Les protagonistes américains, contactés par l’AFP, n’ont rien révélé du calendrier de leur projet, qui devrait se faire en coopération avec la Nasa et Space X, la compagnie du milliardaire Elon Musk.
Annoncé en septembre 2020, quatre mois après le projet hollywoodien, le film russe Vyzov (“Le Défi” ou “L’Appel” en russe) ambitionne donc de devancer les États-Unis sur un de leurs terrains de prédilection.
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“Assez dormi ! Devenons les héros du pays !”, proclame sur les réseaux sociaux l’actrice Ioulia Peressild, qui se décrit comme une “patriote mais sans emphase”.
“On va la gagner, cette nouvelle course à l’espace ! Devenir les premiers est important, mais être les meilleurs l’est encore plus”, dit encore à l’AFP la jeune femme qui veut que le projet redonne leur stature aux conquérants de l’espace.
Le retour du cinéma en arme de propagande
“Beaux, sportifs, intellectuels, nos cosmonautes doivent revenir en couverture des magazines !”, s’exclame-t-elle. Parmi les producteurs, on retrouve Dmitri Rogozine, le patron de l’agence spatiale Roscosmos et ancien vice-Premier ministre, célèbre pour ses sorties anti-occidentales. Autre grand nom, Konstantin Ernst, patron de la chaîne télévisée Pervyi Kanal et qui met en scène depuis plus de vingt ans certains des plus grands moments du président Vladimir Poutine : défilés militaires, investitures présidentielles, cérémonies des Jeux olympiques de Sotchi.
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M. Rogozine a affiché ses ambitions dans les médias russes. “Le cinéma a toujours été une arme de propagande”, disait-il mi-juin au quotidien populaire Komsomolskaïa Pravda, alors que les deux rivaux de la Guerre froide voient leurs relations se dégrader d’année en année. Pour Moscou, il s’agit de marquer enfin des points, car dans le domaine des lancements de satellites, des vols habités ou des missions scientifiques, la Russie recule, échouant à innover sur fond aussi de corruption.
Selon Dmitri Rogozine, Tom Cruise et Doug Liman avaient approché début 2020 Roscosmos pour tourner leur film, mais des “forces politiques” qu’il n’identifie pas ont fait pression sur eux pour qu’ils renoncent à travailler avec l’agence spatiale russe.
“J’ai compris après cette histoire que le cosmos, c’est de la politique”, a-t-il dit à Komsomolskaïa Pravda, “de là est née l’idée qu’il fallait tourner un film russe”.
L’intrigue du long-métrage russe n’a pas encore été dévoilée, mais la presse évoque la mission d’une femme-médecin, envoyée d’urgence vers l’ISS pour sauver un astronaute. Le budget est aussi un secret bien gardé. Seul point de référence : la Nasa payait plusieurs dizaines de millions de dollars pour une place à bord de Soyouz.
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Ioulia Peressild n’en dira pas plus, lors d’une rencontre avec l’AFP au musée de l’Espace de Moscou, après une séance d’entraînements au célèbre Centre de formation de cosmonautes, où elle s’endurcit depuis fin mai. Fière d’avoir surmonté la centrifugeuse, Ioulia se prépare aussi à la survie en milieu hostile et à l’atterrissage.
La dimension minuscule du plateau de tournage, les quelque 230 m3 de la section russe de l’ISS, est un défi supplémentaire pour le réalisateur qui maniera également la caméra, l’éclairage, la prise de son et se chargera du maquillage. Et “nous devrons filmer dans l’espace des choses impossibles à tourner sur Terre”, confie l’actrice.
Née dans la famille d’un peintre d’icônes, Ioulia n’a jamais rêvé d’être cosmonaute, contrairement à nombre de jeunes Soviétiques. Et lorsqu’elle a été sélectionnée parmi 3 000 candidates, elle avoue avoir eu peur. “Je ne suis pas une super-héroïne”, dit la jeune femme, affirmant puiser sa motivation parmi les enfants lourdement handicapés qu’elle soutient via sa fondation Galtchonok. Ces “enfants doivent croire en l’impossible. Prendre une cuillère dans la main est, pour un handicapé, un défi au même titre que pour moi aller dans l’espace”, résume l’actrice.
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