Notre rapport aux frontières, aux migrations et à l’identité interrogé dans un beau livre photo

Publié le par Lise Lanot,

© Bastien Deschamps

La philosophe Sophie Djigo et le photographe Bastien Deschamps nous offrent des images et des mots nécessaires.

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Le petit livre en noir et blanc affiche sobrement son titre et une couverture texturée, comme s’il nous promettait d’emblée sa volonté de toucher du doigt ses réflexions autour de la frontière, des drames qui s’y jouent, des espoirs qui s’y accrochent. Les images qui s’y étalent en pleine page, elles aussi en noir et blanc, ont le contraste poussé à son paroxysme, comme une volonté de faire ressortir les scènes immortalisées, leur dureté, leurs tensions et leurs dissemblances entre les rêves et la réalité.

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Les deux auteur·rice·s de Penser avec la frontière, Sophie Djigo et Bastien Deschamps, racontent en images et en mots l’exil et les voyages migratoires en tentant à tout prix d’éviter l’écueil du voyeurisme. Les visages sont semi-dissimulés ; les cicatrices et les conséquences de la violence sont montrées, non pas comme “une métaphore” mais comme d’énièmes preuves de ce qui se joue aux frontières de l’Europe. “Le dos de Youssef ressemble à une photographie aérienne de la vallée de l’Evros. On y aperçoit les sillons gravés par les violents refoulements à la frontière, les traces de coups qui érodent la chair, creusent comme des gorges plus sombres à même la peau. La terre ne ment pas, le corps non plus. Leur matérialité nous offre une cartographie de ce qui se vit aux frontières, une preuve à charge contre des politiques brutales savamment dissimulées.”

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© Bastien Deschamps

La philosophe Sophie Djigo et le photographe Bastien Deschamps ont travaillé autour de “la frontière la plus orientale de l’Union européenne”, entre la Grèce et la Turquie, au niveau du fleuve “aux noms multiples” : “pour les Grecs, la rivière s’appelle Evros, pour les Turcs, Meriç et pour les Bulgares, Maritsa.” Les images et les mots de l’ouvrage montrent le présent autant qu’ils convoquent le passé, rappelant qu’en “l’espace de deux décennies, les frontières se sont transformées en espaces militarisés axés sur la répression. C’est d’autant plus cruel qu’elles sont franchies par des personnes fuyant d’autres violences et d’autres guerres.”

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Sophie Djigo accompagne les images de Bastien Deschamps de réflexions élargies sur les politiques migratoires et la fixette qu’elles constituent pour certains partis politiques et médias. La philosophe questionne la notion même d’identité, notamment la façon dont elle est pensée comme “quelque chose de figé”, “comme une réalité insulaire et carcérale” (reprenant ainsi l’expression d’Amartya Sen d'”incarcération civilisationnelle”) et liée à une idée “d’appartenance ethnique”. Le livre nous enjoint de “penser avec la frontière” autant pour questionner ce que vivent celles et ceux qui tentent de les traverser, que la façon dont vivent celles et ceux qui demeurent à l’intérieur. 

Un groupe de personnes partage un repas dans la cave de l’hôtel Almeria à Edirne, Turquie. 21 novembre 2020. (© Bastien Deschamps)
Vue de la “Jungle”, comme appellent les migrant·e·s cette région montagneuse couverte de forêts du Nord de la Grèce, a pris une dimension quasi mythique au sein de ceux qui doivent la traverser. Peuplé à la fois de dangers réels comme les gangs des montagnes, certain·e·s locaux·les de la région qui dépouillent les migrant·e·s, et d’autres plus imaginaires, construits au fil des récits, la peuplant de monstres, loups et autres crocodiles. Pour celles et ceux qui n’ont pas les moyens de se payer les services d’un passeur ou qui n’ont pas été récupéré·e·s par le véhicule promis, c’est un périple de deux à trois semaines à travers la montagne pour rejoindre la ville de Thessalonique, leur première étape en Europe. 30 juin 2021. (© Bastien Deschamps)

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Le livre de Sophie Djigo et Bastien Deschamps est publié aux éditions D’une rive à l’autre.