Le célèbre noir Soulages se fait la malle. C’est un événement qui bouscule le monde de l’art et qui effraie autant qu’il fascine. Les toiles noires de Pierre Soulages, peintre français connu pour ses monochromes texturés et son noir lumineux, se mettent à dégouliner, comme des tableaux vivants qui muent éternellement. Peut-être que ces toiles endeuillées pleurent la disparition de leur maître, décédé en octobre 2022… Ou peut-être qu’il y a une explication plus cartésienne.
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Comme le rapporte le Huffington Post, des scientifiques du CNRS se sont penché·e·s sur ce mystère : pourquoi les peintures de Pierre Soulages coulent-elles au lieu de craqueler ? Ce phénomène est remarquable depuis quelque temps sur des dizaines de toiles qui devenaient poisseuses. Certes, il y a sur ces œuvres des coulures originelles dues à la technique du peintre qui superposait des couches et des couches de peinture et la raclait à la spatule pour créer du relief, mais ces aspérités-là n’apparaissaient pas auparavant.
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Pauline Hélou de La Grandière, restauratrice de tableaux et grande spécialiste de Soulages, atteste que c’est la première fois qu’elle voit une telle altération sur des tableaux du grand maître français. Grâce à des lampes UV et un système d’imagerie de luminescence, des spécialistes ont donc pu étudier, durant trois jours, ces changements de textures sur trois tableaux en se plongeant dans les collections du musée des Abattoirs de Toulouse.
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Plusieurs observations ont été établies. D’abord, les œuvres touchées par ces dégradations ont toutes été peintes à la fin des années 1950 à Paris. Ensuite, il y a de grandes chances pour que la peinture à l’huile utilisée vienne du même fournisseur. Enfin, l’huile contenue dans les pigments serait le cœur du problème, plus précisément le liant.
Ces analyses ont mené les scientifiques à des hypothèses diverses. La pollution au sulfure dans le Paris de l’époque qui venait de traverser, en 1959, un hiver glacial ainsi que l’usage des chauffages – à une température élevée – dans les ateliers d’artistes pourraient être responsables de ce liant capricieux qui sépare les pigments de leur huile. Dans ce contexte, cette série de toiles aurait séché dans des conditions particulières qui se répercuteraient dessus aujourd’hui.
Outre la pollution au sulfure, la restauratrice pointe également le transport et le vernissage des tableaux. La première couche de vernis aurait eu lieu (trop) rapidement après le dernier coup de pinceau du peintre puisque ces toiles ont été exposées directement après leur réalisation au musée toulousain. En tout cas, jusqu’à nouvel ordre, ces tableaux resteront sous haute surveillance pour veiller à leur conservation et adapter les soins (chimiques) qui les maintiendront en vie.
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Et si vous voulez admirer les œuvres de Soulages en vrai, des œuvres qui ne coulent pas et qui ont été réalisées sur les dernières années de sa carrière, direction le musée Rodez et son exposition-hommage “Les derniers Soulages” à partir du 23 juin.