Au cours de cette 80e Mostra de Venise, Konbini vous fait part de ses coups de cœur ou revient sur les plus gros événements de la sélection.
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Aggro Dr1ft, c’est quoi ?
C’était l’une de nos plus grosses attentes : le retour de Harmony Korine, que l’on n’a revu qu’une fois depuis son grand Spring Breakers (2012) avec un film moyen sorti directement en VOD, The Beach Bum. L’idée de voir le nouveau long du cinéaste en hors compétition à Venise nous enchantait.
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Cela passait notamment par le fait que l’on nous avait vendu un film avec Travis Scott. Une collaboration intrigante, d’autant plus qu’on savait que le cinéaste avait contribué au film du rappeur pour accompagner la sortie de son récent album, Utopia. En effet, il est le réalisateur des quarante dernières minutes, durant lesquelles on voit le fameux concert filmé dans des ruines romaines.
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Quoi qu’il en soit, voir Travis Scott chez Korine, on est clients de base. Et quand on a su qu’en plus il s’agirait d’un film tourné en caméra à chaleur thermique, de quatre-vingts minutes seulement, et en mode mercenaire chassant une proie dans Miami, c’était plié. On ne pouvait qu’adorer.
Raté.
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Que s’est-il passé alors ?
Pourquoi c’est nul ?
Le gros, l’immense problème d’Aggro Dr1ft est qu’il n’est qu’une proposition expérimentale, faite pour innover, et qui n’a d’intérêt que pour ça. Comprendre pour sa forme plus que pour son fond.
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En réalité, c’est plus qu’un film tourné en caméra thermique. Le cinéaste semble changer en permanence les palettes de couleurs de ses images, en exploitant la binarité du chaud/froid captée par sa lentille. Un parti pris intéressant, auquel il faut ajouter des transformations graphiques semblant sortir d’une IA (pourquoi pas, même si le timing semble peu approprié vu les inquiétudes des syndicats hollywoodiens) et des créations numériques. Cela va de cornes de démon façon filtre Snapchat à un diable immense copiant le personnage principal dans le ciel.
À la limite, c’est une forme d’innovation. C’était d’ailleurs la note d’intention du cinéaste, cité dans le catalogue du Festival : innover, tenter de se rapprocher du jeu vidéo, qui est pour lui l’avenir du 7e art. Bon, on peut être d’accord ou non et le rendu ressemble plus à une cinématique d’un jeu PS3, mais passons.
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Le problème réside ailleurs. Korine a tellement voulu travailler la forme qu’il n’a rien fait sur le fond. Volontairement, puisqu’il raconte que les histoires l’ennuient… Le scénario est donc grosso modo inexistant, et ce qui est écrit est de loin le texte le plus beauf qu’on ait pu voir retranscrit sur grand écran. Pour faire simple, Aggro Dr1ft suit le meilleur mercenaire de Miami lors d’une dernière mission, à savoir tuer un gros méchant, qui semble être au final son ancien disciple, joué par Travis Scott (qu’on ne voit malheureusement pas plus de dix minutes, ce qui est dommage, parce que sa présence irradie l’image).
Un prétexte pour pondre une affreuse voix off pour son personnage principal, qui répète chaque phrase cinq à six fois, comme pour tout transformer en mantra – “je suis le meilleur”, “je vais le baiser”, “danse, sale pute”… Sans oublier le mantra de fin : “love is God ; God is love”. Parfois, c’est la femme de notre tueur qui se répétera à tue-tête : “où est mon mari”, “mon mari me manque” ; “c’est vraiment le meilleur”… Vous avez l’idée. Le tout entremêlé d’images de fascination pour des armes à feu en tout genre et pour les fesses de danseuses twerkant dans divers jacuzzis et autres baignoires.
Car oui, c’est un film profondément creux, où il ne se passe rien 90 % du temps – à part une baston finale vite expédiée et très peu impressionnante et une scène de décapitation pour le coup assez forte. En gros, un film d’ambiance mais avec des dialogues qui gâchent celle-ci et une beaufitude qui ruine tout le projet. On sent que l’auteur se sent terriblement cool et qu’il a étendu ce qui aurait pu être un court-métrage ayant plus sa place dans une exposition d’art contemporain expérimental de musée que dans un grand festival de cinéma. On vous a parlé du grand méchant qui ne fait que mimer des rapports sexuels à l’aide de son gros sabre ?
Et c’est sans parler du volume sonore faisant perdre dix points d’audition à chaque spectateur ou de la bande-son constituée d’instrumentales de rap basiques sans batterie changeant toutes les trois minutes tout au long du film – il y a littéralement deux moments de silence, durant pas plus de dix secondes chacun.
Pourquoi ce film existe ? Pour l’expérimentation ? Sans doute. Pour la provoc ? C’est évident. Preuve en est avec la conférence de presse où l’équipe du film est venue avec le fameux masque Snapchat sur le visage et où le réalisateur a répondu que les films linéaires l’ennuyaient et que l’esthétique des jeux vidéo était devenue la forme artistique du moment, lui qui disait il y a quelques jours que le trailer du dernier Call of Duty était plus beau que tout ce qu’a pu faire Spielberg et qu’il trouvait les TikTok plus intéressants que les films.
De la provoc, donc, gratuite. Et qui montre au passage une certaine incompréhension du médium vidéoludique. Car spoiler : les meilleurs jeux sont salués pour leur graphisme, peut-être, mais aussi et surtout pour leur récit et leur mécanique. Mais bon, Korine ne veut plus raconter d’histoire. Difficile de concilier cela avec son métier – pour l’instant en tout cas.
On retient quoi ?
L’acteur qui tire son épingle du jeu : Honnêtement, le peu de présence de Travis Scott a suffi à nous convaincre qu’il pouvait avoir une petite carrière sur grand écran.
La principale qualité : Un parti pris esthétique intéressant.
Le principal défaut : Un scénario d’une bêtise sale.
Un film que vous aimerez si vous avez aimé : …
Ça aurait pu s’appeler : Fuck yeah
La quote pour résumer le film : “Derrière une volonté d’innover l’objet filmique et un travail esthétique conséquent se cache l’un des films les plus ridicules et de mauvais goût vus durant cette 80e Mostra de Venise.”