Critique : avec The Killer, David Fincher fait son film le plus pur (et donc absolument brillant)

Publié le par Arthur Cios,

(© Netflix)

Une fausse simplicité masquée derrière du génie, comme à l’habitude de son auteur.

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The Killer, c’est quoi ?

C’était évidemment l’une des plus grosses attentes de cette 80e Mostra de Venise : le nouveau film de David Fincher. Après le trop sous-estimé Mank, et alors que l’on a plutôt vu le cinéaste plancher sur des séries dernièrement (House of Cards, Mindhunter), le réalisateur revient avec un film. C’est un thriller (son premier depuis 2014), en bonne et due forme, que les fans du cinéaste attendent depuis fort longtemps.

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Pour comprendre l’importance du projet, il faut revenir à l’œuvre originale. Car The Killer est en fait Le Tueur, une saga de BD française démarrée en 1998 dessinée par Luc Jacamon et écrite par Matz. C’est une adaptation qui ne date pas d’hier. Les puristes le savent depuis plus longtemps encore, mais le commun des mortels l’a appris en 2013, quand est sortie une adaptation BD du Dahlia Noir, signée Matz… et David Fincher. On fait un petit détour, mais ça permet de mieux planter le décor.

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(© Casterman)

Matz racontait à l’époque qu’il avait rencontré le réalisateur de Fight Club puisque la Paramount avait mis une option sur une adaptation de leur bouquin et que Fincher était placé pour la diriger. Le courant est bien passé et quand, des années plus tard, Matz se retrouve à devoir scénariser la version dessinée du livre de James Ellroy, il se souvient que Fincher lui avait raconté qu’il essayait à l’époque de l’adapter (avec un certain Tom Cruise au casting, et bien avant que Brian de Palma s’en charge en 2006).

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Matz et Fincher, c’est une longue histoire d’amour. La volonté d’adapter la série, qui a désormais 13 livres et un spin-off, ne date pas d’hier. Il aura fallu attendre 2023 et un minimum de liberté d’agir au sein de son contrat chez Netflix, pour qu’il accomplisse enfin cette nouvelle monture — scénarisée par un certain Andrew Kevin Walker, qui avait déjà écrit Seven

The Killer, donc. L’histoire d’un tueur à gage méticuleux, précis, presque toqué, qui se retrouve à Paris et dont la mission se déroulera au final pas comme prévu — ce qui aura un impact sur sa vie privée qui ne va pas beaucoup lui plaire. Pardon, on essaye de ne pas vous spoiler, on fait comme on peut…

Vous me direz, la BD est publiée depuis de nombreuses années, elle n’est donc plus objet à spoil. C’est là que réside une des surprises qui font la grandeur du film…

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Pourquoi c’est bien ?

On ne va pas trop vous expliciter le pourquoi du comment pour l’instant, mais disons que l’adaptation est assez libre. Il faut dire que résumer 13 bouquins, avec plusieurs intrigues, en un film de deux heures semble impossible. Walker a de fait décider de piocher dans la saga. On retrouve donc notre tueur, sa minutie, ses monologues de pensées qui font la marque de fabrique de la BD, certains personnages. Côté histoire, c’est un savant mélange épuré des six premiers tomes — et encore.

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Plus que l’histoire, Fincher semble avoir saisi l’ambiance, et les cadres qui sont parfois similaires à ceux des cases du livre. De manière générale, la photographie d’Erik Messerschmidt (qui avait déjà travaillé sur celle oscarisée de Mank, et qui a fait celle de Ferrari) réussit à parfaitement replacer une vision de bande dessinée. Cela va de pair avec un montage et un découpage méticuleux, qui donne au tout un ton assez inédit.

Inédit, et qui rappelle par moments un certain… Steven Soderbergh. Certains citeront Piégée, notamment pour la scène de baston absolument folle. D’autres y verront la minutie et la précision de ces derniers films. On sait que son ami de longue date a vu le film bien en amont, plusieurs fois, et on se doute qu’il a donné des conseils à Fincher. Et l’alchimie Soderbergh/Fincher fonctionne à 1 000 %.

À côté de tout ceci, c’est, et de loin, le film le plus épuré de Fincher. Il retire tous les artifices possibles pour revenir à une fausse forme de sobriété maîtrisée avec brio, à commencer par une première demi-heure de préparatifs, aussi glaçante que tenante. De manière générale, le film passe cinq fois plus de temps à montrer les préparatifs d’une potentielle attaque que l’attaque en elle-même.

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Concrètement, cela va décontenancer les fans du cinéaste. Il faut bien comprendre que l’intérêt pour lui était de ne pas répéter un exercice déjà (sublimement) exécuté, à savoir Millenium. Il va donc à l’opposé et, contrairement à ce que ce vous pourrez lire ici ou là, il essaye d’offrir une approche différente. Il expérimente, sachant pertinemment qu’il ne touchera peut-être pas la grâce de certaines de ses plus grandes œuvres sans la réduire à un simple exercice de style.

Le tout avec un commentaire sur son époque bien plus conséquent que dans le livre. Le tueur ne peut travailler qu’avec les nouvelles technologies, en achetant des outils sur Amazon, en prenant un abonnement à salle de sport. Aussi impressionnant soit le processus de travail du Fincher, le film est glaçant car terriblement réaliste et plausible, reproductible. C’est même ce que le cinéaste a raconté en conférence de presse. Il veut vous faire avoir peur de votre voisin à la caisse de votre magasin.

Bon, il faut tout de même prendre en considération le talent certain de notre assassin, autant pour les armes à feu que pour les combats à mains nues. Là aussi, le film se concentrant bien plus sur les préparatifs que sur l’assassinat, nous n’avons qu’une seule scène de baston. C’est la plus mémorable de la filmographie de Fincher, mais il n’y en a qu’une seule.

C’est donc un film d’apparence classique et frustrant, si l’on ne prend pas le temps de lire entre les lignes d’un cinéaste qui essaye de se réinventer, en parlant de lui-même (que ce soit sur le contrat qu’il faut exécuter, ou sur la méticulosité maladive) et de son époque — le tout avec brio, comme d’habitude.

On retient quoi ?

L’acteur qui tire son épingle du jeu : évidemment Michael Fassbender
La principale qualité : la pureté de la mise en scène et de l’exécution d’un scénario millimétré
Le principal défaut : trop épuré pour certains qui voudraient voir du grand, grand Fincher, mais bon…
Un film que vous aimerez si vous avez aimé : Le Samouraï de Jean-Pierre Melville, Fenêtre sur cour d’Alfred Hitchcock pour sa première demi-heure, et pas mal de Steven Soderbergh
Ça aurait pu s’appeler : “Stick to the plan, don’t improvise”
La quote pour résumer le film : “En réduisant au minimum sa mise en scène, The Killer touche à ce que Fincher a pu faire de plus pur, autant dans son style visuel que dans son scénario.”

Article écrit lors de la Mostra de Venise le 5 septembre, mis à jour le 10 novembre.