Extrait de l’album The Infamous, “Shook Ones Part II” de Mobb Deep est l’un des titres les plus emblématiques du rap américain. Repris par Eminem sur son célèbre freestyle final dans le film 8 Mile, ce morceau vicieux et dérangeant est devenu un indispensable de toutes les soirées hip-hop du monde. Alors que l’un des deux membres du groupe, Prodigy, nous a quittés il y a 4 ans, creusons un peu plus l’histoire de ce titre et de cet album classique.
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L’histoire autour de ce morceau est aussi anodine que mythique. Le morceau s’appelle “Part II” car il a une première partie, sortie en face B d’un maxi extrait du premier album du groupe, Juvenile Hell. Mais c’est un flop, qui poussera le label de Mobb Deep à l’époque, 4th & B’way Records, à les mettre à la porte. Pourtant, c’était un lancement rêvé avec le label historique des légendes Eric B. & Rakim et leur Paid in Full.
Mobb Deep revient alors au point mort. Mais l’entourage du groupe pense qu’il tient vraiment quelque chose avec le refrain de “Shook Ones”, brutal et réaliste. Prodigy et Havoc décident de le remixer et de faire une deuxième partie. Havoc va proposer un autre instrumental presque par hasard, qui est aujourd’hui l’un des plus connus de l’histoire du rap.
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De son côté, Prodigy réécrit entièrement son couplet pour le rendre plus dur, plus extrême et plus imagé. Avec un clip tourné sans moyens dans leur quartier, “Shook Ones Part. II” devient pourtant la rampe de lancement parfaite pour The Infamous, le deuxième album de Mobb Deep.
Un album à plusieurs facettes
Prodigy et Havoc sont les chefs de file d’une nouvelle génération à Queensbridge, quartier brûlant de New York. Héritiers du Juice Crew, ils proposent une véritable visite guidée de leur environnement, très proche des enjeux sociaux de l’époque. Chaque morceau est une vignette cinématographique, une immersion totale dans une zone de guerre où les rues et les gens sont tels quels. Quelque part, Mobb Deep invente le vrai rap de proximité, décliné depuis à l’infini.
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Alors que le groupe est surtout connu pour son style lugubre et fataliste, The Infamous montre d’autres facettes. Entièrement composé sous Hennessy et PCP, l’album alterne entre énergie brute new-yorkaise et détente ensoleillée. Même si le fond reste violent et dépressif, cette spontanéité apporte un équilibre salvateur, un extrait du parfait mélange des identités de Prodigy et Havoc. Deux salles, deux ambiances.
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Car il y a aussi un membre caché de Mobb Deep sur cet album, un chef d’orchestre qui va arrondir les angles, celui qui ajoute discrètement la dernière touche à l’ensemble. En effet, Q-Tip, l’éminent leader d’A Tribe Called Quest, a participé à l’ensemble de la production du disque. À l’époque, son groupe a révolutionné le rap américain avec surtout son album The Low End Theory.
Pendant l’élaboration de The Infamous, il va aider Havoc à trouver son style de production unique avec ses batteries sèches comme le désert de Gobi, ses samples tournés en bourrique et ses basses sous-marines comme dans À la poursuite d’Octobre rouge. Impliqué sur le mix final, Q-Tip permet à l’album de trouver un espace à mi-chemin entre la crasse souffletante de RZA du Wu-Tang et le balancement élégant des Native Tongues. La réussite se trouve dans les détails.
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Le troisième homme
The Infamous est aussi l’album qui révèle Big Noyd, le membre non officiel de Mobb Deep. Présent sur trois morceaux, il est peut-être le meilleur synonyme du mot hard-core. Comme AZ avec “Life is a bitch untiiiil youuuu die” sur l’album Illmatic de Nas, il n’aura suffi que d’un couplet, son entrée fracassante sur “Give Up the Goods”, pour qu’on propose un pont doré au Rapper Noyd.
Il repart directement avec un contrat de 300 000 dollars, duquel il ressortira déjà un premier album très solide en 1996, Episodes of a Hustla. Malheureusement, les labels et la prison auront raison de sa carrière. Big Noyd restera cette étoile filante prenant naissance dans les entrailles de cet album de Mobb Deep.
Ce disque est aussi le symbole d’une scène en pleine mutation. Le microcosme rap de New York est en ébullition en 1995. Le Wu-Tang surfe sur sa révolution des 36 chambres, Nas marche sur l’eau après son premier classique Illmatic et Biggie est devenu Jésus, déjà prêt à mourir. Tous ces rappeurs se croisent et se toisent lors de freestyles devenus anthologiques, notamment dans l’émission radio de Stretch Armstrong et Bobbito Garcia.
Il n’est donc pas étonnant de retrouver ces excellents rappeurs sur l’album. Raekwon, Ghosface Killah et Nas apportent de très bons couplets sur “Eye for an Eye” et “Right Back at You”. Lorsque The Infamous sort, tous les regards sont tournés vers le duo de Queensbridge et l’album deviendra le nouveau mètre-étalon, qui influencera un autre classique sorti peu de temps après : Only Built 4 Cuban Linx… de Raekwon et Ghostface Killah. Mais c’est une autre histoire.
Au final, The Infamous de Mobb Deep est le point de départ d’une galaxie musicale, d’une école du rap qui aura des ramifications multiples, jusqu’en France.