La première moitié de l’année aura été bien évidemment marquée par la pandémie mondiale de coronavirus et les différentes conséquences que celle-ci a engendrées. Mais ces six premiers mois, désastreux pour l’industrie musicale, se sont aussi révélés particulièrement propices à la créativité des artistes.
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Que ce soit des retours plus ou moins attendus, des confirmations espérées ou des révélations surprenantes, le cru 2020 s’avère chaque semaine un peu plus intéressant. Après le top de la rédaction de la dernière décennie, voici le top des albums de cette première partie d’année.
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Lil Uzi Vert – Eternal Atake
Il y a trois ans, Lil Uzi Vert était devenu la star ultime que le rap attendait. Avec une énergie hors-norme et une versatilité à toute épreuve, il s’offrait la route royale des légendes du rap. Puis plus rien. Repousser jusqu’aux extrêmes limites, ce nouvel album Eternal Atake est finalement sorti en mars quelques jours avant le confinement. Et il remplissait toutes ses promesses.
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Uzi y est toujours insaisissable, jamais là où on l’attend. Il détruit et module à l’infini les structures de ses chansons pour nous faire entrer dans une matrice où lui seul fixe les règles. Lil Uzi Vert ne choisit pas entre la mélodie et la performance, son album est vraiment un énorme parc d’attractions dans lequel on passe par toutes les émotions. Sûrement le disque rap de l’année. [AC]
Dua Lipa – Future Nostalgia
Lors d’une interview qu’elle nous a accordé, Dua Lipa expliquait que Future Nostalgia était un album très personnel, dans lequel elle avait rassemblé toutes les influences musicales qu’elle avait reçues étant petite, de Blondie à Gwen Stefani en passant par Outkast. La jeune chanteuse revenait donc avec un projet ambitieux qui devait confirmer sa position d’artiste majeur de la pop music d’aujourd’hui.
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À l’écoute de l’album, on comprend le titre Future Nostalgia. Une vague de nostalgie traverse les onze morceaux : les nappes mélodiques des synthétiseurs, portées par des basses vibrantes, nous plongent dans des sonorités disco. À partir de cette base, Dua Lipa impose sa patte autant sur la forme que sur le fond : à travers ses paroles, la jeune femme aborde des thèmes comme l’inégalité des sexes, montrant ainsi son engagement en tant qu’artiste de son époque. [HKK]
Isha – La vie augmente vol.3
Rappeur émérite fort d’une carrière entamée il y a une grosse dizaine d’années, Isha n’arrêtera jamais de battre le fer, chaud ou froid. Pour le troisième volume de sa série d’EP La vie augmente (jetez donc un coup d’œil aux pochettes des trois projets), le Bruxellois expose sa réalité frontale et sa vision d’une vie décidément bien rude. D’autant plus que son habileté se retrouve toujours au service de sa passion des mots, et le projet s’avère empreint d’un amour inconditionnel du rap.
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Remis en scelle par la nouvelle vague des rappeurs belges qui le citent comme référence, Isha brille grâce à sa plume et son audace, sans jamais se trahir. Mention spéciale assez évidente pour le titre “Les Magiciens” produit par Katrina Squad, et la liste de guest composé de PLK, Dinos, Sofiane Pamart et Green Montana. Malgré de beaux succès d’estime et une progression constante, il demeure l’un des rappeurs les plus mésestimés du public. Mais là n’est pas l’essentiel. Que ce soit avec sa noirceur ou sa sagesse, Isha ne cesse d’éclairer le rap francophone de son talent. [GN]
Mac Miller – Circles
Dernière chance pour ses fans de redécouvrir Mac Miller une ultime fois. Paru le 19 mars 2020, Circles pose en effet le point final à la carrière tristement écourtée du rappeur décédé en septembre 2018. C’est grâce au travail de John Brion qui l’a assisté et secondé sur toute la production qu’il a pu voir le jour cette année, résultant de l’alliance de son expertise au talent de Mac.
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Les douze titres de Circles nous emportent pour un dernier voyage dans l’intimité de cet artiste tant regretté. Avec un subtil mélange de rap, de soul et de pop, on semble encore le redécouvrir. S’il aborde à nouveau ses problèmes de dépression et d’addiction, il le fait cette fois-ci avec une douceur déconcertante. Les couleurs de ce dernier projet contrastent alors parfaitement avec la noirceur de Swimming, son album paru en 2018. C’est finalement avec une vive émotion, qu’on écoute ces dernières paroles. [PM]
Caribou – Suddenly
Il nous a fallu sans doute plusieurs écoutes pour réussir à offrir à ce disque tout l’amour qu’il mérite. Il faut dire que Dan Snaith est un artiste protéiforme, qui maintient avec son alias Daphni ses productions house/techno. Il a commencé en faisant de l’ambient, est devenu culte avec l’album Swim (2010) puis Our Love (2014). Forcément, après autant de temps sans aucune sortie sous cet alias, Caribou a évolué, et il fallait se faire à cette idée.
Une fois digérée l’affaire, Suddenly trouve tout son charme. Plus varié, plus précis, plus direct, moins dansant, moins riche (et ce n’est pas un défaut) que d’habitude, mais surtout plus personnel dans ses textes, Caribou régale dans ce disque touche-à-tout, qui servira de leçons de production à une génération d’apprentis à coup sûr. Difficile de ne pas être impressionné en tout cas par les qualités de compositeurs du Britannique. [ACi]
Népal – Adios Bahamas
La sortie du premier album studio Adios Bahamas de Népal était particulièrement attendue par ses fans depuis l’annonce de sa parution quelques jours après sa mort le 9 novembre 2019. Son équipe et ses proches avaient alors tenu à respecter sa volonté de dévoiler l’album le 10 janvier 2020. Ils ont expliqué vouloir que “sa voix perdure” à travers ce projet sur lequel il travaillait depuis plusieurs mois avant son décès. Dans la continuité de cette volonté, ils ont également annoncé il y a quelques jours l’arrivée de sa version physique.
En début d’année, dix nouveaux titres venaient ainsi s’ajouter aux deux singles “Là-bas” et “Daruma” déjà dévoilés en fin d’année 2019. Ils composent une œuvre aux sonorités variées et envoûtantes avec des feats de qualité. Népal, proche de l’Entourage, a notamment invité deux membres du collectif sur cette production : Doum’s et Nekfeu. Di-meh, Sheldon et 3010 ont également apporté leur contribution pour un projet à l’image du rappeur. Outre son habituelle dénonciation du système, son spleen et sa mélancolie, l’ensemble reste étonnamment positif, et vient ainsi clore en beauté la discographie de ce membre de la 75ème session qui restera dans les esprits du rap français. [PM]
Polo G – The Goat
Découvert en 2019 avec le surprenant et déjà maîtrisé Die A Legend, Polo G continue son installation dans le panthéon du rap. En s’autoproclamant The Goat, le rappeur de Chicago semble très ambitieux du haut de ses 21 ans. Mais son univers sombre et naturaliste mélangé à ses mélodies lancinantes offre une des propositions les plus rafraîchissantes du rap de ses dernières années.
En 16 titres, Polo G ne se répète pas, toujours à la recherche de l’hymne du ghetto, le refrain que tous les jeunes et moins jeunes pourront reprendre en chœur car il parle de leur quotidien, de leurs joies et de leurs galères. Pourtant dans sa vingtaine, Polo G semble atteindre la sagesse des vétérans. Une note qu’il joue jusqu’au bout avec “Wishing For A Hero” qui reprend le thème de “Changes” de 2Pac. Un message fort, une icône vivifiante.
[AC]
Tame Impala – The Slow Rush
On a d’abord connu Kevin Parker avec son rock psychédélique d’une qualité et d’une maturité incroyable, surtout pour un jeune musicien de moins de 25 ans. Le son a depuis évolué, tendant de plus en plus vers de la musique pop. Attention, ce terme n’est certes pas un gros mot, mais la musique de Tame Impala a toujours été au-dessus de ce que l’industrie musicale veut bien nous refourger dans son genre.
Ce dernier disque est encore un peu différent de ce à quoi nous a habitué l’Australien, abandonnant pour de bon ses racines rock. Sans doute que ses nombreuses collaborations avec les plus grands (Lady Gaga, Rihanna, Kanye West, Travis Scott) ont changé sa manière d’approcher la création musicale. Ici, le multi-instrumentiste surfe entre la disco, la pop, la musique électronique, et surtout approche ses productions avec plus de minutie que jamais. Il trouve au passage sa vraie patte, sa marque de fabrique reconnaissable parmi mille. Un disque à l’homogénéité exemplaire, et qui va marquer son époque, sans nul doute. [ACi]
Laylow – Trinity
Si l’expression “l’album de la maturité” est souvent employée à tort et à travers, il est difficile de ne pas l’utiliser pour qualifier Trinity. Après des années expérimentales faites de multiples EPs, notamment en compagnie de son acolyte montpelliérain Wit., qui ont fait de lui le rappeur le plus digital du game, Laylow a dévoilé son premier album en février dernier. Un disque au casting sans faute sur lequel l’artiste toulousain a réussi la prouesse de synthétiser et condenser son vaste univers sous un seul et même concept : un “logiciel de stimulation émotionnelle” qui dicte la tracklist du disque.
Son approche novatrice est alors mise en valeur comme rarement, notamment grâce à un travail sur les voix toujours plus précis. Les interludes, trop souvent grandiloquentes dans le rap français, viennent ici enrichir l’histoire de Trinity et justifient leurs présences. Un projet, à mi-chemin entre science-fiction et rap contemporain, parfait pour introduire l’œuvre de l’artiste. Cela tombe bien, l’album a connu un joli succès, tant d’estime que commercial, et Laylow est prêt à devenir l’un des rappeurs majeurs de la scène française pour la prochaine décennie. [GN]
BTS – Map of the Soul : 7
Après le succès incroyable de Map of the Soul : Persona, les BTS ne pouvaient plus décevoir. Le moins qu’on puisse dire, c’est que les sept garçons étaient attendus au tournant : avant sa sortie, Map of the Soul : 7 avait été précommandé près de… 3,42 millions de fois. L’impatience s’accompagnait donc d’une légère appréhension, et nous nous demandions si ce retour serait à la hauteur de nos attentes.
Hommes de peu de foi que nous étions ! Avec le sublime clip de “On”, les BTS nous montrent qu’ils ne se ménagent jamais, et pour cause, on ne peut que rester bouche bée devant les cinq minutes de chorégraphie intense. Du reste, Map of the Soul : 7 propose des titres pop de qualité, parfois aux influences R’n’B, qui pourront plaire au plus grand nombre. Le boys band semble donc avoir tenu sa promesse : revenir avec un album à la fois destiné à tous, et profondément marqué par l’esthétique musicale de la K-pop et ses envolées colorées. [HKK]
The Weeknd – After Hours
Pour le quatrième album studio de sa carrière, The Weeknd a pris son temps. Lancé depuis quelques années dans une course effrénée pour rejoindre les monstres sacrés de l’histoire de la pop, l’artiste canadien a compris qu’il était davantage utile de viser juste dans sa direction artistique plutôt que d’inonder les auditeurs de sa voix enchanteresse. After Hours, sorti en mars dernier, transpire de cette volonté.
On y retrouve autant des tubes internationaux que des pistes sur lesquelles le chanteur de 30 ans se laisse guider par ses émotions, toujours autant inspiré par ses vices. Avec, en toile de fond, une ville de Las Vegas aussi euphorique que cruelle. En résulte un projet rétro aux références cinématographiques fournies, animé par les influences disco, pop et R’n’B, qui alterne entre fête et dépression, cocaïne et Xanax. Moins à fleur de peau que sur My Dear Melancholy, moins démonstratif que sur Starboy, The Weeknd (re)trouve la formule idéale. À la poursuite de ses idoles, il s’inscrit au fil des ans comme l’un des plus fiers héritiers des mega-stars de l’industrie musicale. [GN]
Mais aussi : Thundercat – It Is What It Is, Fiona Apple – Fetch the Bolt, Freddie Gibbs and The Alchemist – Alfredo, The Strokes – The New Abnormal, Teyana Taylor – The Album, King Krule – Man Alive!, Don Toliver – Heaven or Hell, Theophilus London – Bebey, Run The Jewels – RTJ4, Varnish la Piscine – Metronome Pole Dance Twist Amazone, Yaeji – What We Drew 우리가 그려왔, Young Nudy – Anyways…
Article écrit en collaboration par Arthur Cios, Aurélien Chapuis, Hong-Kyung Kang, Pénélope Meyzenc et Guillaume Narduzzi.