Guerres, persécution et exil ont émaillé la vie de Marc Chagall, marquant profondément son œuvre. Un regard longtemps inexploré sur le peintre franco-russe, qu’ausculte une exposition présentée au musée La Piscine de Roubaix. “C’est un artiste qui a traversé deux guerres mondiales et l’exil. C’est la raison pour laquelle sa conscience était constamment en éveil”, souligne auprès de l’AFP Meret Meyer, petite-fille du peintre et co-commissaire de l’exposition “Le cri de liberté. Chagall politique”.
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L’œuvre de Marc Chagall, né dans l’Empire russe au sein d’une famille juive qui avait survécu aux pogroms, est notamment traversée par la révolution russe et les deux guerres mondiales. La portée politique de cette œuvre est pourtant longtemps restée en arrière-plan, en raison d’une production “qu’on avait tendance à réduire à un monde de rêves”, ajoute Mme Meyer. C’est le cas par exemple du tableau qui ouvre l’exposition, Commedia dell’arte (1959).
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Cette “métaphore du cirque”, selon elle, regorge de références aux engagements du peintre, entre une représentation de sa ville d’origine, Vitebsk, réduite en cendres pendant la Seconde Guerre mondiale, des ponts qui “forment un lien entre les mondes” et les acrobates qui symbolisent le temps suspendu, l’incertitude. Une sensibilité politique mise à jour ces dernières années, grâce à un “énorme travail d’inventaire, de numérisation, de traduction sur des textes particulièrement engagés et des poèmes”, complète pour l’AFP Ambre Gauthier, également commissaire de l’exposition et responsable des archives du peintre. Ces textes “permettent de mieux percevoir ce que l’artiste voulait vraiment exprimer avec ses tableaux”.
De Lénine au Christ
L’exposition met en miroir 150 tableaux, esquisses préparatoires et dessins allant du début du XXe siècle aux années 1970, avec une centaine de textes, “principalement écrits dans sa langue natale, le yiddish”, et longtemps ignorés. Ils apportent notamment un regard nouveau sur l’une des pièces maîtresses de l’exposition, le triptyque Résistance-Résurrection-Libération (1937-1952). “Longtemps considéré comme un triptyque classique”, c’était en réalité “une œuvre commencée en 1937” consacrée aux vingt ans de la révolution russe, puis “découpée en trois morceaux en 1943, à un moment où d’autres événements politiques marquent profondément Chagall”, explique Mme Gauthier.
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Conséquence de ce changement d’intention, la figure centrale de cette œuvre, Lénine dans l’esquisse préparatoire, devient un Christ juif dans le triptyque final, entouré de victimes des pogroms et de la Shoah. La destinée du peuple juif est centrale dans l’œuvre du peintre, notamment dans le tableau Au-dessus de Vitebsk (1922), autre œuvre majeure de l’exposition. Y est représenté, décrit Meret Meyer, “un Juif errant porté par une énergie positive”, esquissant un envol au-dessus de Vitebsk.
Jusqu’à la fin de sa vie en 1985, “la paix demeure le seul dessein de toute la trajectoire de Chagall”, souligne-t-elle. Un message qui résonne avec l’actualité, entre la guerre en Ukraine et l’exode forcé des Arménien·ne·s du Haut-Karabakh. “Évidemment, il y a des ponts, des passages en permanence” entre l’œuvre de Chagall et ces conflits, juge Ambre Gauthier. “D’où l’importance de cette exposition, maintenant.” Après Roubaix, où elle est visible jusqu’au 7 janvier 2024, l’exposition sera présentée à la Fondation Mapfre de Madrid du 31 janvier au 5 mai 2024, puis au musée Chagall de Nice du 1er juin au 16 septembre 2024.