Mercredi 27 mars, à 22 heures 30, une demi-heure après la fermeture des portes du Palais de Tokyo, un groupe de jeunes hommes et femmes s’infiltre à l’intérieur du centre d’art contemporain. Après une descente en rappel “sur 4/5 mètres” et une course le long des tunnels du bâtiment, le groupe cagoulé dépose une grande toile, signée de l’artiste artemile, sur laquelle on lit la phrase : “Pour la culture, pour le futur”.
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L’infiltration est retransmise en direct sur le compte Instagram de Féris Barkat, cofondateur de l’organisation d’“émancipation grâce aux enjeux climatiques dans les quartiers populaires” Banlieues Climat et suivie par Loopsider. Dans les commentaires du live, quelqu’un menace d’“appeler les flics”, qui arrivent une heure plus tard.
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La directrice du développement de l’établissement, Raphaëlle Haccart, les rassure : l’initiative était une supercherie, pensée conjointement par Féris Barkat et le Palais de Tokyo afin de “briser les barrières entre l’art, la désobéissance civile et la justice sociale” et d’annoncer l’arrivée du militant au sein du Conseil d’administration du tout nouveau fonds de dotation du centre d’art.
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Ce fonds accueille “une gouvernance à part entière” qui inclut Banlieues Climat et qui vise à “récolter de l’argent pour financer des projets artistiques à destination des générations futures”, résume Raphaëlle Haccart. Ces projets, insiste cette dernière, seront discutés et choisis par le Conseil d’administration du fonds et les “nouveaux acteurs et actrices” qui le composent.
C’est pour asseoir son refus de coller aux codes traditionnels des élites que Féris Barkat a eu l’idée de cette annonce sous forme de canular. Suivant l’élan toujours intersectionnel de Banlieues Climat, le militant souhaite, par sa présence, “intégrer les premiers concernés des injustices sociales et climatiques dans les organes de gouvernance des institutions culturelles”, cela comme “un acte de réparation culturelle”.
Pour l’accompagner dans sa mission nocturne, il a sollicité des formateur·rice·s de Banlieues Climat, dont Ayman Hamidi. Ce dernier confie être déjà “passé devant le Palais de Tokyo”, sans jamais passer ses portes, voyant l’imposant bâtiment comme un lieu à l’intérieur duquel “on ne peut pas rentrer, on ne peut pas participer, on ne peut pas être un des leurs”.
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C’est bien cela que souhaite renverser Féris Barkat, qui insiste sur l’importance du “droit à la culture”, soit l’article 27 de la Déclaration universelle des droits de l’homme qui garantit “le droit de toute personne de prendre part librement à la vie culturelle de la communauté, de jouir des arts et de participer au progrès scientifique et aux bienfaits qui en résultent”. Plus que de pousser à entrer dans les musées, l’idée est de convaincre les jeunes qui croiraient que “ce n’est pas pour eux” de créer, d’oser imaginer être un jour exposé·e, entendu·e, vu·e.
“Même nous, on est dans les musées maintenant”
Ayman Hamidi confirme, espérant que cette “infiltration” convaincra d’autres jeunes de pousser les portes des musées et de la création. Il rappelle aussi à quel point certains enjeux sont longtemps passés comme decorrélés du quotidien des quartiers populaires et comme les choses changent : “Pour nous, dans les banlieues, dans les quartiers, l’écologie c’est le dernier de nos problèmes, de nos soucis, on en a d’autres. Mais dans quelques années, ce sera peut-être notre seul souci.”
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De la même façon, il loue le travail de Mohamed Bourouissa, qu’il vient de voir, puisqu’il est exposé actuellement au Palais de Tokyo : “Il montre sa famille, des contrôles de police intempestifs et ce qu’on peut ressentir, des jeunes en train de faire des selfies, quelqu’un avec un bracelet électronique, des choses qui nous touchent et montrent que même nous, on est dans les musées maintenant. On s’y sent, pour une fois.”
En intégrant le Conseil d’administration du fonds de dotation du Palais de Tokyo, parfois vu comme un temple de l’entre-soi, Féris Barkat souhaite relier les histoires, les individus et les communautés à un poste décisionnaire : “Il y a de plus en plus d’expos qui montrent les différentes classes populaires, mais est-ce que dans les organes de décision, ça bouge ?” Avec cette nouvelle mission, et à seulement 22 ans, il souhaite appuyer la nécessité du “pour nous, par nous”.
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