Âgées d’au moins 4 000 ans, les mystérieuses statues-menhirs sont menacées par l’érosion, avertissent les conservateur·rice·s, soucieux·ses notamment de protéger celles gardées à l’air libre, comme en Aveyron ou dans le Tarn, où elles sont particulièrement nombreuses. Dans ces deux départements, où des centaines d’exemplaires de ces premières figures anthropomorphes à taille humaine connues en Europe de l’Ouest dormiraient encore sous terre, certain·e·s particulier·ère·s qui en découvrent tiennent à les garder, comme la loi les y autorise.
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Dans son garage, Jean-Pierre Bascoul montre une statue-menhir biface qu’il a trouvée il y a un an et demi dans un champ. “Je l’ai un peu raclée avec la charrue”, regrette-t-il, signalant des traces superficielles. “J’aimerais qu’elle reste ici”, dit l’agriculteur de 61 ans, qui a déjà cédé une autre statue-menhir au petit musée de Murat-sur-Vèbre, dans le Tarn, mais envisage d’exposer chez lui ce nouveau “trésor qui est à tout le monde”.
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La communauté de communes des Monts de Lacaune, dont fait partie Murat-sur-Vèbre, compte l’aider à aménager un lieu d’exposition protégeant ce monument, précise de son côté Marie-Christine Granier, en charge notamment des musées dans cette collectivité. C’est déjà le cas pour Yvan Garenq, qui expose dans son jardin une statue-menhir découverte il y a 45 ans : “Je l’ai trouvée en labourant. C’est mon ange gardien”, s’amuse-t-il, ne cachant pas sa “fierté”.
“L’originale sur le terrain”
“C’est mieux de voir l’originale sur le terrain. Beaucoup de gens viennent la voir. Si c’était une copie, il y aurait moins de monde”, ajoute cet ancien agriculteur de 88 ans qui, pour mieux accueillir les visiteur·se·s, a installé une table en bois avec des bancs près du monument et de son abri que la communauté de communes est en train de reconstruire. Pour mieux les préserver, certaines statues-menhirs ont été mises à l’abri et remplacées par des copies installées à l’endroit où elles s’étaient été initialement dressées, et la communauté de communes vient “d’acheter un grand garage automobile” pour y entreposer des originaux, affirme Mme Granier qui poursuit inlassablement sa tâche de sensibilisation à la protection de ces monuments, également menacés par l’action humaine.
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“Sur un site, on avait même gravé ‘Marie, je t’aime'”, regrette-t-elle, et, complète Alain Robert, président du Centre de recherches du patrimoine de Rieumontagné, un agriculteur qui avait découvert une statue-menhir “m’a dit : ‘Ou tu enlèves ça ou je mets un coup de dynamite. Je voudrais labourer mon champ'”. Enfouies ou réutilisées pour la construction, ces statues, sculptées entre 3 300 et 2 200 avant notre ère, ont été redécouvertes à partir de la seconde moitié du XIXe siècle. Elles ont été classifiées en “féminines”, portant par exemple des colliers, ou “masculines”, avec un baudrier, tandis que d’autres attributs (visage, ceinture, mains ou pieds) sont communs aux deux.
Au-delà de leur apparence, on sait très peu de la signification de ces monuments appréciés d’artistes comme Pierre Soulages et façonnés dans du grès, du granite ou de la diorite. À partir des années 1970, l’intérêt pour ces statues s’est sensiblement accru, les tracteurs labourant plus en profondeur ayant facilité leur redécouverte, raconte M. Robert. Or, les parties sculptées de certaines statues-menhirs restées à l’air libre ont tendance à s’effacer. “Ça montre la fragilité de ces monuments qui ont été préservés parce qu’ils ont été enfouis. À partir du moment où on les sort de terre, comme tout vestige archéologique, ils se dégradent très vite”, selon Aurélien Pierre, directeur du musée Fenaille, à Rodez, qui possède des pièces réputées dont l’emblématique Dame de Saint-Sernin.
Quelque 160 statues-menhirs découvertes dans le Haut-Languedoc (Aveyron, Tarn et nord-ouest de l’Hérault), pouvant aller de quelques dizaines de centimètres à plus de deux mètres de hauteur, sont officiellement répertoriées mais “des centaines” d’autres resteraient à découvrir, selon M. Pierre, enfouies sous les champs ou les bois. Des pièces comparables ont été retrouvées ailleurs en France, en Italie ou en Suisse mais le Haut-Languedoc est une des zones à plus “forte concentration de statues-menhirs” d’Europe occidentale, ajoute-t-il. C’est pourquoi Mme Granier ou M. Robert, ainsi que d’autres défenseur·se·s du patrimoine, tentent toujours de sensibiliser la population à l’existence de ces monuments, afin d’en découvrir d’autres, de les protéger et de les “laisser en héritage aux générations futures”.
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