L’un des réalisateurs de l’un des plus beaux films de ce début d’année, They Shot the Piano Player, nous raconte toute la genèse du projet

Publié le par Arthur Cios,

(© Dulac Distribution)

Ce faux documentaire animé basé sur des entretiens faits par Fernando Trueba 20 ans auparavant sur la disparition soudaine en 1974 d’une figure montante de la bossa-nova, est fou.

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Depuis peu, le documentaire se réinvente de plus en plus, pour le meilleur. Et si l’on vous dit que l’un des meilleurs films de ce début d’année est un faux documentaire animé, qui revient sur le destin d’un musicien de la bossa-nova, discret mais qui commençait à monter quand il a été tué pendant le coup d’État militaire d’Argentine en 1976, alors qu’il n’a que 34 ans ?

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On a demandé à l’un des coréalisateurs, Fernando Trueba, de nous raconter l’histoire assez folle de la conception un peu particulière de ce film — basé sur des entretiens réels qu’avait filmés le cinéaste quasiment 20 ans auparavant.

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“En 2004, j’étais à Salvador de Bahia au Brésil pour faire un film qui est sorti en France, qui s’appelle Le Miracle de Candeal. C’est un documentaire sur la musique brésilienne et je suis un grand amateur de jazz et de bossa-nova. Sur place, j’ai découvert ce disque où il y avait certains musiciens que j’adorais, comme Paulo Moura ou Raul de Souza. J’achète ces disques qui viennent d’être réédités. Et il y a un pianiste là, que je n’ai jamais entendu, ce qui est très beau mais je ne sais pas qui c’est ce mec qui s’appelle Tenório Jr.

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Quand j’ai essayé d’en savoir un peu plus sur lui, je suis tombé sur l’histoire de sa disparition. Alors j’ai fouillé mais je ne comprenais rien. Un Brésilien, tué en Argentine : ça n’avait aucun sens. Alors j’ai commencé à fouiller et à écouter les spécialistes. Je connais bien Caetano Veloso et certains musiciens, j’ai des amis brésiliens et tout ça. Et j’ai demandé à chaque fois, mais la plupart ne connaissaient pas, sauf quelques personnes comme Caetano Veloso. Il me dit qu’il était très bon et qu’ils avaient même un projet ensemble quand il rentrait d’Argentine.

Donc je m’y suis vraiment intéressé avec un assistant et avec une équipe à Rio de Janeiro et on commence à organiser des tournages de quinze jours, où on nous faisait deux interviews par jour. On était en 2005 et 2006. J’ai continué comme ça plusieurs fois et, au bout d’un certain temps, je me retrouve avec 140 interviews. On est allés au Brésil, à São Paulo, à Rio, en Argentine et aussi à Los Angeles, Boston, New York, en Arizona. On a parlé à des musiciens, à de la famille, à ses amis…

Je me retrouve avec un matériel énorme en me disant que ça fera un documentaire ou peut-être un livre. À cette époque, je fais mon premier film d’animation avec lui, Chico et Rita, et j’ai découvert le monde de l’animation. Je me suis rendu compte des possibilités narratives mais aussi des possibilités cinématographiques. Et pendant qu’on faisait le film avec Javier Mariscal, je lui parlais de l’histoire de Tenório tout le temps, mais sans savoir ce qui allait suivre.

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Quand on a fini Chico et Rita, je me disais : ‘Qu’est-ce que je veux faire ? Arrêter, annuler tout ça ? Ou faire un autre film ?’ Et c’est ce que j’ai fait. Puis un autre. Tout en pensant à Tenório. Avec l’idée qui commençait à traîner qu’il fallait le faire en animation. Donc à un moment, je l’ai proposé à Javier. Sauf qu’entre Chico et Rita et l’écriture de celui-là, j’aurais fait cinq films.

Parce qu’il fallait trouver la forme. On n’allait pas faire Chico et Rita 2, ni faire un simple documentaire avec des interviews bout à bout. C’est là qu’est venue l’idée de créer un journaliste qui allait enquêter comme j’ai enquêté, une sorte d’alter ego, accompagné de deux personnages fictifs (son ami brésilien et son éditrice américaine), et qui allait rencontrer les mêmes gens. On utiliserait les voix des interviews, qu’on redessinerait. Moi qui adore écrire des scénarios, c’était une expérience géniale.

Il fallait réordonner tout, créer un pont, une intrigue. Ce qui était évident pour moi depuis le début, c’était le récit politique derrière ce meurtre. Ce qui m’amène à ça, c’est la collision entre l’homme, la merveilleuse époque de la bossa-nova, quand le Brésil était un pays prometteur d’avant-garde, et l’horreur qu’est devenue l’Amérique latine après. D’une certaine façon, l’histoire de Tenório est la métaphore de tout ça.

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Mais c’était beaucoup de travail. J’avais 120 heures d’interviews, 150 entretiens. Je n’en ai utilisé que 32. Parfois juste pour des petits morceaux, parfois pour des moments plus longs, le tout en jouant sur le côté investigation, thriller, tout en montrant la beauté de cette musique, le tragique de l’histoire personnelle.

Javier a passé un an à chercher un style et à réfléchir aux textures nécessaires au fil de l’histoire. Une fois qu’il avait une identité visuelle assez unique, on a pu plancher sur la conception à proprement parler. Les personnages, cela nous a pris beaucoup de temps, parce qu’il fallait trouver le bon ton pour chaque séquence.

C’est difficile de réaliser que le temps a pris autant de temps, et que beaucoup des intervenants sont depuis morts. Mais au final, le but, je pense, était de mettre la lumière sur cet homme. Pas juste sur son destin tragique représentatif d’une époque, mais sur sa musique car ce qui compte, c’est que malgré la répression et l’effacement de l’histoire, la musique reste. Et restera toujours.”

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