Les artistes irakiens sont les premières victimes choisies par les faussaires pour leurs trafics d’œuvres

Publié le par Konbini avec AFP,

© Aymen Henna/AFPTV/AFP

"Les faussaires remarquent les résultats des enchères. C’est une incitation à créer des contrefaçons de plus en plus poussées."

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Dans un musée de Bagdad, Mort au colonialisme est l’une des rares toiles authentiques de Shakir Hassan al-Saïd ayant survécu au chaos dans lequel l’Irak a plongé en 2003 avec l’invasion états-unienne et qui a dopé contrefaçons et trafics d’œuvres. Avec ses tons sombres allant du gris au bleu, Mort au colonialisme est l’un des joyaux de l’art irakien. Achevé dans les années 1970, il témoigne de décennies fastes pour les arts plastiques irakiens, où Shakir Hassan al-Saïd entretenait avec Jawad Salim le Groupe d’art moderne de Bagdad.

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“Les œuvres de Shakir Hassan al-Saïd ont une importance considérable pour l’art moderne irakien et même pour tout l’art moyen-oriental”, explique l’écrivaine Tamara Chalabi, directrice de la Fondation Ruya pour l’art contemporain. Dans les salles de vente, les tableaux du peintre décédé en 2004 tutoient parfois les 100 000 dollars. Soucieuse de protéger son patrimoine, sa famille a répertorié ses “archives complètes” – quelque 3 000 œuvres au total – et un catalogue sera publié prochainement, indique à l’AFP son fils Mahmoud Shakir Hassan al-Saïd, y voyant une “immunité” contre les faux.

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Car avec le chaos installé en Irak en 2003, régulièrement, “par appât du gain, il y a des tentatives de copier les œuvres”, s’indigne M. Saïd. “Il nous est arrivé de stopper plusieurs ventes de contrefaçons”, confirme le quinquagénaire, en contact avec des maisons d’enchères internationales et des galeries. “Dernièrement, nous avons repéré un faux à Bagdad”, ajoute-t-il. Il a contacté la galerie via les réseaux sociaux pour exiger le retrait du tableau, sans succès, son interlocuteur défendant son authenticité.

“Top 10”

Premières victimes des trafics et des faussaires : les très prisés pionniers de l’art moderne irakien. Leurs œuvres des années 1940, 1950 ou 1960 ont disparu avec des milliers de pièces volées dans des musées et institutions pillés en 2003. Dans un milieu restreint où tout le monde se connaît, la meilleure manière d’éviter les arnaques reste de s’adresser aux proches, voire à l’artiste lui-même s’il est en vie, ou à des universitaires.

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“L’art irakien, moderne ou contemporain est l’une des sources de production artistique les plus importantes du monde arabe”, rappelle Sultan Sooud Al-Qassemi, collectionneur aux Émirats arabes unis. Les prix pratiqués classent les pièces irakiennes dans “le top 10 des œuvres les plus chères” de la région, souligne le fondateur de la Barjeel Art Foundation, musée de Sharjah où sont exposées plus d’un millier d’œuvres du monde arabe.

“Aujourd’hui, certaines œuvres irakiennes se vendent à des centaines de milliers de dollars”, dit-il à l’AFP. “Les faussaires remarquent les résultats des enchères. C’est une incitation à créer des contrefaçons de plus en plus poussées.” Le casse-tête de l’authentification se pose dans toute la région – en Égypte, au Liban et en Syrie notamment –, mais “le problème est particulièrement aigu pour l’Irak, en raison d’un amoncellement de défis : l’exil des artistes, les guerres successives”, reconnaît Sultan Al-Qassemi.

“Réputation”

Aujourd’hui, le musée national d’Art moderne de Bagdad, affilié au ministère de la Culture, est encore à la recherche d’œuvres volées. Les données d’une centaine de pièces ont été communiquées à Interpol, indique l’ancien directeur de l’institution, Ali al-Doulaïmi, fraîchement retraité. Impossible toutefois de savoir avec précision ce qui manque, en raison d’un inventaire hasardeux.

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Sous Saddam Hussein, la machine bureaucratique s’échinait à lister à la main les œuvres dans des cahiers, méthode à la fiabilité proche de zéro. “Avant 2003, nous avions 8 000 œuvres. Aujourd’hui, il y en a environ 2 000”, selon M. Doulaïmi. Après l’invasion états-unienne, “nous avons acquis de nouvelles œuvres et des pièces perdues nous ont été rendues”. Une goutte d’eau dans un océan.

Ainsi en 2017, en raison d’un “désaccord sur la propriété”, Christie’s avait annoncé retirer des enchères à Dubaï un tableau peint en 1968 par Faeq Hassan. In fine, la toile n’a jamais été rendue à l’Irak. À l’époque, une député irakienne expliquait que ce tableau était vraisemblablement “exposé au club des officiers du ministère de la Défense” avant d’être “sorti clandestinement” du pays. Dans son élégante galerie Akkad à Bagdad, Hayder Hachem Naji déplore une “augmentation des contrefaçons qui nuit à la réputation de l’art irakien”.

“Parfois, les faussaires utilisent un vieux tableau qu’ils vont repeindre, le châssis et la toile seront anciens”, souligne le galeriste de 54 ans. Récemment, on lui a proposé d’exposer une toile attribuée au célèbre peintre d’influence cubiste Hafidh al-Droubi. Son propriétaire espérait en tirer 40 000 dollars. Il a poliment refusé. “Honnêtement, c’était une contrefaçon de très haute qualité”, admet-il.

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