Depuis plus de 15 ans, Konbini va à la rencontre des plus grandes stars et personnalités de la pop culture dans le monde entier, celles et ceux qui nous font rêver au quotidien à travers leur passion, leur détermination et leurs talents, afin de vous livrer tous leurs secrets.
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En 2023, la rédaction de Konbini a décidé de faire briller avant tout la jeunesse et la création francophones à travers 23 portraits de jeunes talents en pleine bourre, à suivre dès maintenant et dans les prochaines années. Des acteur·rice·s prometteur·se·s aux chanteur·se·s émergent·e·s, des chefs qui montent aux sportifs et sportives en pleine éclosion en passant par des artistes engagées de tout horizon, Konbini vous présente sa liste des 23 personnalités qui vont exploser en 2023.
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La fiche d’identité de Mariana Benenge, danseuse, 24 ans
- Lieu de l’interview ? Dans un café, à Pantin.
- Son signe astro ? Cancer.
- Comment elle aborde 2023 ? L’année de la lumière, du shine, de l’écoute. Du charbon toujours, mais pas contre sa santé.
- Le meilleur moment de son année 2022 ? La première P3, la soirée qu’elle coorganise, et voir toutes ces femmes au pluriel faire la fête ensemble.
- Qui elle inviterait à son dîner idéal ? bell hooks, Joséphine Baker, Michelle Obama, Oprah, Rihanna, Tina Turner, Whitney Houston, Mbilia Bel et Laverne Cox. Elle leur cuisinerait du pondu, du makayabu avec du foufou, des bananes plantains, du fumbwa, de la chikwangue. Le lendemain, raclette pour tout le monde.
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“À 8 ans, j’ai annoncé à ma mère que je serai danseuse, alors que je ne savais même pas encore que c’était un métier. Je volais sa sono pour aller à l’école.”
Portrait. Mariana Benenge est danseuse, chorégraphe, styliste, entrepreneuse et militante. Si elle a travaillé dur, et continue de le faire, pour endosser toutes ces casquettes, elle n’a forcé aucun chemin tant tout ce qu’elle entreprend lui vient du cœur et de l’instinct. Impossible, avec cette recette, de faire fausse route.
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Après avoir passé trois heures avec Mariana Benenge, d’autres caractéristiques émergent et s’agrègent à cette liste de qualificatifs professionnels. L’esprit d’équipe, de communauté, de famille de la jeune femme saute aux yeux : rares sont les “je” qu’elle prononce qui ne sont suivis d’un “nous”. Elle a le don de créer des “nous” partout où elle passe, mettant en avant les personnes oubliées, marginalisées, violentées. Son empathie et son désir de justice complètent cette volonté de créer des liens, par la parole, la fête, la mode ou la danse.
Si elle a de multiples cordes à son arc, Mariana Benenge est (peut-être avant toute autre chose) une danseuse, une amoureuse de l’expression corporelle. Elle se rappelle avoir toujours dansé, parce qu’en République démocratique du Congo, où elle est née, “tout le monde danse, c’est la plus belle manière d’exprimer notre joie, notre souffrance”. Son enfance est marquée par les danses traditionnelles congolaises et les shows organisés avec ses copines à l’école où, déjà, elle habillait ses danseuses.
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À sa venue en France, à 11 ans, elle découvre lors de ses escapades parisiennes la danse hip-hop et le krump, une danse qui la touche directement grâce à “son énergie et son rapport à la terre qui rappellent les danses traditionnelles congolaises”. Des escapades effectuées en cachette qui lui offrent une soupape de sécurité, une deuxième vie parallèle à son existence de collégienne dans un établissement où les élèves l’insultent, veulent lui “gommer” la peau et lui font subir un harcèlement moral que la direction décide de ne pas voir.
Après un bac ES et alors qu’elle poursuit ses petits boulots commencés dès ses 15 ans, du marché de Sarcelles aux grandes enseignes, elle rejoint une école de danse où elle découvre le waacking. Là, c’est “la révélation”. “C’est une danse qui m’a permis de me reconnecter à tout ce que je ne pouvais pas dire avec des mots et qui liait la mode à la danse”, explique-t-elle, enthousiaste. Inventé dans les années 1970 par “les mecs gays afro-latinx de Los Angeles, des gens qui ont souffert, qui voulaient se reconnecter à leur corps, à leur sexualité, pour combattre”, le waacking est une danse de l’émotion. Plus tard, le voguing lui permet de découvrir, dans les balls, la fierté d’être racisé·e et LGBTQIA+.
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Depuis, Mariana n’a cessé de connaître le succès en tant que danseuse – elle vient de danser pour “Baby”, le single de la Française la plus écoutée dans le monde, Aya Nakamura. Toujours dans le partage, elle est également devenue chorégraphe, pour offrir sa vision aux autres. Elle organise des workshops à travers le monde qui prennent la forme de “thérapies à travers la danse” et où elle prend bien garde à toujours revenir sur l’histoire du waacking. Elle souligne l’importance de “rendre à César ce qui appartient à César” en mettant en valeur les personnes créatrices de la danse et la communauté LGBTQIA+. La jeune femme est également la fière créatrice de Tantine de Paris, une marque “à [son] image, une marque de blédarde, de tantines, de tantines de la diaspora, pour avoir l’air riche même si tu n’es pas riche, pour tous les corps”.
“J’avais besoin de femmes qui me montraient comment embrasser mon corps.”
Cette dernière précision est loin d’être anodine. Pour la créatrice, la représentation est une valeur reine, fondamentale, c’est même “l’essence de la vie, une porte ouverte aux possibilités” et elle est fatiguée du jeu de certaines marques qui bookent sa taille 42 comme un argument “body-positif” et estiment que sa couleur de peau suffit à représenter “toutes les femmes noires”.
Mariana Benenge se souvient avoir eu besoin de femmes qui lui “montraient comment embrasser [son] corps” à son arrivée en France. Elle a désormais récupéré le flambeau et, grâce à ses cours et positionnements, elle veut montrer que “le changement commence par nous-mêmes”. “Je ne peux pas dire aux gens ‘aimez-vous’, si moi je ne m’aime pas – même si c’est le chemin de toute une vie.”
Mariana Benenge se remémore également le souffle vital que lui ont apporté les représentations LGBTQIA+ : “Avant de savoir que j’aimais les femmes, je ne comprenais pas [ce que je ressentais] et c’est des films, des séries qui m’ont aidée. Mais, au début, je regardais The L World et je pensais que seules les femmes blanches pouvaient s’aimer. Puis j’ai vu des femmes noires s’aimer, puis des blédardes.”
Son coming out est “plutôt récent”, confie-t-elle, mais il lui a permis de “s’assumer” encore plus, “de libérer” davantage son art. Toujours dans une logique de partage et de représentation, elle parle de lesbianisme et de queerness sur TikTok, suit les tendances avec légèreté pour montrer qu’elle existe, que les lesbiennes racisées, “blédardes”, existent et qu’elles ont une place.
@marianabenenge #collage avec @AMBER LYNNE When you know you know #pdlife #pride #lesbian ♬ son original - Mariana_benenge
“La P3, c’est un des trucs qui me rendent la plus fière, c’est quelque chose dont j’avais toujours rêvé.”
Si elle crée des espaces sûrs sur les réseaux, elle les transpose aussi en trois dimensions puisqu’elle est la fière créatrice, avec ses amies Stencia et Sephora Haze, de la P3, des soirées réservées aux femmes qui font salle comble depuis leur première édition, en juin 2022. Les trois femmes ont imaginé l’événement après s’être “rendu compte du manque de lieux réservés aux femmes, d’un point de vue de sécurité, mais aussi parce qu’il n’y a pas de lieu pour les lesbiennes, les personnes trans, les femmes queers, encore moins lorsqu’elles sont racisées”.
Le trio a donc créé ce qui leur manquait, malgré les embûches placées sur leur chemin : “Au début, personne n’avait confiance, on nous disait qu’il n’y aurait pas d’ambiance, que personne ne consommerait”, rembobine Mariana Benenge. Les trois entrepreneuses ne se sont pas démontées et le succès de leur création s’est chargé de taire les bouches médisantes.
Pendant ces soirées, comme dans la vie, elle transpire sur la piste et en coulisses : “J’ai toujours été entrepreneuse dans ma tête. En fait, je n’ai pas le choix que de réussir et d’y arriver, mais jamais seule. J’ai toujours eu un truc de clan, j’ai toujours voulu réussir avec mes ami·e·s.” Aujourd’hui, Mariana Benenge affirme que la création de la P3 est l’une de ses plus grandes fiertés, d’autant qu’elle est elle-même une “clubbeuse” invétérée : “Plus jeune, je faisais le mur avec la carte d’identité de ma sœur. Je ne fume pas, je ne bois pas : mon seul objectif, c’était de transpirer sur la piste de danse et aller boire de l’eau aux toilettes.”
Puisque la danse reste la meilleure façon d’apprendre à connaître Mariana Benenge – mais qu’elle ne peut se mettre à danser au milieu du café où nous sommes attablées –, je clos notre rencontre en lui demandant de me décrire une de ses performances. “Tu me verrais fermer les yeux, respirer, c’est le moment où je rentre en moi”, démarre-t-elle, en toute logique pour une personne qui porte aux nues la réflexion et la confiance en soi.
“Ça partirait des hanches, c’est ma base, c’est mon socle, c’est tout. Je bougerais beaucoup les hanches pour me mettre à l’aise”, poursuit-elle, mettant en lumière son amour du féminin, de la “sexyness”, son instinct protecteur pour les femmes. “Ensuite, je ferais entrer les bras”, éléments-clés du waacking.
“Ma devise, c’est de faire les choses par amour, avec amour et pour l’amour.”
“Puis, je regarderais les gens. Pour montrer que vous êtes là, vous existez, je suis là mais vous êtes avec moi. Ça me donne de l’énergie quand je regarde les gens”. Évidemment, pas de Mariana sans partage, pas de danse sans intention de “faire vibrer”. “Ma danse, c’est une social dance, ça s’échange”. Enfin, elle terminerait “par un runway“, parce qu’il n’y a pas de Mariana Benenge sans style, ni sans cœur, vous l’aurez compris.
Les recos de Mariana Benenge
- Une série : Harlem, de Tracy Oliver.
- Un livre : Ain’t I a Woman, de bell hooks.
- Un film : Get Out, de Jordan Peele.
- Un album : They Say I’m Different, de Betty Davis, à emporter sur une île déserte. Over It, de Summer Walker, en boucle en ce moment.
- Une œuvre : Le travail de la cinéaste Sarah Maldoror, découvert à l’expo “Ubuntu” du Palais de Tokyo.