Les 23 de 2023 : Dylan Suillaud, le prodige des films à la verticale

Publié le par Julie Morvan,

© Dylan Suillaud

"Je suis fier de pouvoir travailler dans quelque chose qui m’épanouit à 100 %."

A voir aussi sur Konbini

Publicité

Depuis plus de 15 ans, Konbini va à la rencontre des plus grandes stars et personnalités de la pop culture dans le monde entier, celles et ceux qui nous font rêver au quotidien à travers leur passion, leur détermination et leurs talents, afin de vous livrer tous leurs secrets.

Publicité

En 2023, la rédaction de Konbini a décidé de faire briller avant tout la jeunesse et la création francophones à travers 23 portraits de jeunes talents en pleine bourre, à suivre dès maintenant et dans les prochaines années. Des acteur·rice·s prometteur·se·s aux chanteur·se·s émergent·e·s, des chefs qui montent aux sportifs et sportives en pleine éclosion en passant par des artistes engagées de tout horizon, Konbini vous présente sa liste des 23 personnalités qui vont exploser en 2023.

Publicité

La fiche d’identité de Dylan Suillaud, cinéaste, 24 ans

  • Lieu de l’interview ? Son bureau de montage où il passe “70 %” de son temps, avec son “matériel de gros nerd”.
  • Son signe astro ? Verseau, “malheureusement”.
  • Son meilleur moment de 2022 ? Le moment où il a décidé de tout arrêter pour faire des films sur TikTok à plein temps.
  • Comment il voit 2023 ? Un tournant professionnel, soit quelque chose qui s’inscrit dans le temps, soit un changement.
  • Sa citation pour se motiver ? “Faisons des choses que l’on veut faire, même si ça n’a aucun sens, et on verra bien ce qui se passe.”
  • Pour ou contre les gens qui font du bruit dans les salles de cinéma ? Il s’en fiche. “Je suis le premier à faire du bruit. Pour moi, un film est un spectacle, il faudrait crier dans la salle, se mettre debout, manger ultra fort…”

Publicité

“Au lieu de dénigrer les portables et de forcer les gens à aller au cinéma, pourquoi on ne s’en servirait pas pour raconter une histoire ?”

Portrait. Lorsque l’on appelle Dylan, on a à peine le temps de laisser retentir la sonnerie qu’il décroche aussitôt. Le ton enjoué, le débit de paroles soutenu, il nous souhaite une bonne année 2023 avant de nous raconter son réveillon, le tout ponctué d’éclats de rire contagieux. Un échange vif et rythmé, à l’image de ses réalisations sur Internet. Car du haut de ses 24 ans, Dylan est l’un des rares Français à faire du cinéma sur TikTok. Des pépites cinématographiques d’une dizaine de secondes, aux plans savamment composés, aujourd’hui suivies par plus d’un million d’internautes sur son compte @suillaud.

Après lui avoir posé quelques premières questions légères et lorsqu’on commence à aborder le tout début de sa carrière, il s’amuse : “J’ai cru qu’on allait faire des vannes pendant toute l’interview, mais là, ça devient hyper sérieux !”. Les souvenirs fusent, saupoudrés d’autodérision et de réflexions existentielles. En une phrase, on passe de Socrate à l’avenir des jeunes dans le cinéma. “Je digresse, je digresse”, s’excuse Dylan.

Publicité

“J’étais en échec scolaire car l’unique chose à laquelle je pensais c’était être youtubeur.”

Comment en est-il arrivé à pouvoir vivre de sa passion pour la réalisation, se retrouvant même sur les marches du festival de Cannes 2022 ? Tout est parti d’un rêve de gosse, celui d’être comédien. “Je voulais faire du théâtre, j’étais même plutôt bon quand j’étais petit”, se rappelle Dylan. Au collège, il se met à regarder des vidéos de Squeezie sur YouTube, “comme un gros geek pur et dur”, et c’est la révélation : il commence à faire ses propres vidéos au lycée, dans l’espoir d’être le nouveau Squeezie.

Petit problème : “Moi, je regardais Squeezie dès ses débuts, donc j’étais resté sur les références de 2013-2014, mais on était en 2020… Donc à un moment, ça bloque !” Qu’à cela ne tienne, Dylan persévère et décide de tout donner sur le montage pour devenir youtubeur… quitte à laisser les études de côté. “J’étais en échec scolaire car l’unique chose à laquelle je pensais c’était être youtubeur.” Un six de moyenne générale plus tard, il parvient à intégrer in extremis une licence d’art du spectacle à Rennes et prend conscience de la situation.

Publicité

Option n° 2 : si son rêve de devenir l’un des nouveaux youtubeurs en vogue était compromis, qu’à cela ne tienne, il allait devenir leur monteur. Dylan se remémore de cuisants souvenirs d’e-mails envoyés un peu partout pour postuler en tant que monteur sur des chaînes YouTube. “Vraiment la honte, avec des chapeaux chapeaux (^^) et tout”, explique Dylan, “en mode ‘eh frérot ça va mon reuf haha'”. Pourtant, sa bouteille à la mer parvient à l’un d’entre eux : Terracid du Wankil Studio, qui l’engage.

Dylan travaille alors sous le pseudonyme “Pulsation”, se faisant notamment connaître lors d’un “Mineclash”, une rude compétition entre monteurs sur Minecraft :

Une terrible défaite détermination sans faille qui le fait peu à peu connaître dans le milieu. Il monte ensuite pour Colas, Anonimal, et même le Bazar du Grenier : “j’étais très content”, se rappelle-t-il. Mais les temps sont durs sur YouTube et une fois en master 1, l’envie de tourner le titille : “Je me dis ‘putain mais ce que je veux, c’est mettre la main sur la caméra !’ “. Le montage pour YouTube ne suffit plus à Dylan. Il se tourne donc vers un stage en tant que monteur dans une agence d’influence. Et là, il découvre TikTok.

“Au bout de la 5e vidéo, ça a pété.”

Au début, Dylan nous avoue qu’il n’était pas du tout emballé par l’appli : “J’aimais bien la réal et l’influence mais je méprisais TikTok, et puis, après j’ai découvert deux, trois gars qui faisaient de la réal dessus”. Recider, Zac Stracener, I Phil Good Yo… Des réalisateurs, tous anglophones, spécialistes du format vertical :

@recider Monophobia: The fear of being alone. #cinematography #fyp #foryou ♬ original sound - Nate 🍇

“Je me suis dit ‘Waouh mais c’est trop bien, ils font des films à la verticale, c’est ça que je veux faire !'”, se rappelle Dylan. Mais il met huit mois à concrétiser cet enthousiasme. Il commence à créer sur son temps libre, le week-end. Le but : s’en tenir à produire une vidéo par semaine, même si ça n’était pas parfait. “Je travaillais du lundi au vendredi à l’agence, et le samedi et dimanche, je ne faisais que des vidéos.”

Il chope très vite les codes de la plateforme, les exigences si spécifiques de l’audience : le remplissage d’un cadre à la verticale, les plans courts, la lumière, l’importance des trends musicales, le défi narratif de devoir raconter une histoire en seulement 20 secondes… Il publie la première vidéo en août 2021, persévère… “Et au bout de la 5e vidéo, ça a pété. Donc je suis parti de l’agence” :

@suillaud Feels like Pygmalion. #jeunefillealaperle #painting #pygmalion ♬ Homage - Mild High Club

Dylan reste très lucide sur ce succès : selon lui, c’est la chance qui lui a permis de réussir, plutôt que le travail ou la persévérance. “Je ne crois pas au concept de méritocratie chez les créateurs, pour moi, ça a été inventé par les élites”, affirme-t-il. Avec les applis et leurs algorithmes, on a tendance à dire qu’on a réussi tout seul alors que c’est insensé. On oublie qu’il y a plein de personnes dans le monde qui n’ont pas accès à tout ça.” Il aurait tout aussi bien pu arrêter au bout de deux mois, faute de résultats.

“Je suis fier de pouvoir travailler dans quelque chose qui m’épanouit à 100 %.”

Heureusement, ces résultats se font voir, et le jour où il signe sa première OP pour TikTok, il décide de démissionner pour se consacrer à la plateforme. “Tout quitter pour TikTok c’était totalement con et personne n’aurait fait ça, mais j’ai vu le contrat et je me suis dit ‘c’est bon je me casse’. Et aujourd’hui, je suis fier de pouvoir travailler dans quelque chose qui m’épanouit à 100 %.”

@suillaud Ensemble jusqu'aux Enfers ❤️ #hell #love #cinematography ♬ original sound - Leoh

Sa copine est à ses côtés à ce moment-là et rajoute être très fière de lui pour s’être lancé dans ses rêves et y être allé à fond. “Il réussit à transmettre des émotions comme ça, en seulement 30 secondes, il a une sensibilité assez incroyable”. Oui, elle est sans doute sa plus grande fan, reconnaît Dylan. Avant que, amusante coïncidence, sa mère ne tente de le joindre au même moment sur son téléphone. “Sûrement une autre très grande fan”, avance-t-on. Il confirme en riant.

“Je suis juste un gars qui essaie.”

Pour autant, quand on demande à Dylan comment on pourrait appeler ce qu’il fait aujourd’hui, il hésite. Non, il ne se considère pas comme artiste ou réalisateur : “Je n’y arrive pas, j’apprends encore tous les jours. Ce serait hyper prétentieux de dire que je suis réalisateur.” Seule l’appellation “filmmaker”, lui convient, même si pour lui, ce qui le définit avant tout, c’est d’être “un gars qui essaie de faire des films”. “Ouais, je ne vois pas d’autres termes… je pense que tu peux mettre ça !”, s’amuse-t-il.

Car, en attendant de diriger sa propre équipe, Dylan fait tout : écriture, tournage, acting, montage… Le tout en optimisant chaque détail pour toucher l’audience la plus large possible. “Ce que j’essaie de faire, c’est de créer ce que les gens aimeraient voir, qu’ils se reconnaissent dans ce que je raconte”, explique-t-il. D’où le choix du muet : s’il n’écrit aucun dialogue, c’est pour toucher les viewers partout, en France comme à l’international.

“Je raconte toujours une part de vrai, mais aussi une part de ce que j’aurais voulu faire et que je n’ai jamais réussi à faire.”

Son succès ne serait alors qu’une histoire de stratégie ? Pas que. Car, une fois que l’on se penche sur son contenu, si certaines vidéos sont tirées d’univers fantastiques ou oniriques, d’autres puisent dans des thèmes bien plus réalistes : l’amour, vécu à deux ou à sens unique, la solitude, le harcèlement scolaire, les troubles mentaux, les addictions comme l’alcoolisme… Des réalisations, certes, optimisées pour être les plus visibles possible, mais aussi guidées par une sensibilité remarquable.

@suillaud Un paradis pour les oubliés #alone ♬ mr. forgettable - david kushner

“C’est sûr qu’il y a des sujets qui me touchent plus”, reconnaît Dylan, qui sont inspirés de vrais moments vécus, mais aussi de ceux qu’il n’a jamais pu vivre. “Dans mes vidéos, je raconte toujours une part de vrai, mais aussi une part de ce que j’aurais voulu faire et que je n’ai jamais réussi à faire. C’est un fantasme de ma vie.” Dans la sphère intime comme familiale : “Le film où je suis avec la photo de famille et je me barre, c’est ce que j’aurais voulu faire chez moi mais que je n’ai jamais fait. Parce que j’avais trop peur, parce que ça ne me ressemble pas…”.

@suillaud Run away #parentsarguing #cinematography ♬ original sound - Claudia Alende

“Je ne pense pas qu’on fasse mieux que le cinéma. Par contre, on tente de nouvelles choses, et c’est intéressant.”

La réaction favorable du public l’encourage à persévérer, malgré son jeune âge et ce que peuvent penser des personnalités plus âgées dans le secteur de la réalisation. Il faut laisser la place à l’expérimentation : “Je ne pense pas qu’on fasse mieux que le cinéma. Par contre, on tente de nouvelles choses, et c’est intéressant. Maintenant, on a des téléphones à la verticale, qu’est-ce qu’on en fait de ça ? Au lieu de dénigrer les portables, de forcer les gens à aller au cinéma alors que les jeunes ne veulent plus y aller, pourquoi on ne s’en servirait pas comme d’un outil pour raconter quelque chose ?”

@suillaud She didn't open #promdate #brokenheart #cinematography ♬ original sound - ay cabron

Surtout dans le milieu du cinéma, censé être “ouvert à tout le monde”, affirme Dylan. N’importe qui, peu importe son bagage culturel, son éducation ou son intellect, a le droit d’aller voir un film et de ressentir quelque chose, selon lui. “Le cinéma est une attraction à la base, tout le monde a le droit de la comprendre. C’est pour ça que je trouve Tenet insupportable à regarder par exemple, car ça met de côté certaines personnes.”

Le maître-mot pour avancer, peu importe son âge, c’est donc l’action, martèle Dylan. “Il faut faire des choses. Toujours expérimenter et apprendre, avec ses propres moyens, même si on n’a rien. Trouver ce qui nous plaît, persévérer et faire sa place.” Toujours en essayant d’apporter quelque chose de nouveau, “qui peut apporter aux nouvelles générations. Quand tu sens que tu es prêt à prendre le risque, tu le fais et si ça ne marche pas tant pis, tu réessaies, tu apprends.”

@suillaud Don't be shy #lovestory #cinematography ♬ original sound - Esteve

De son côté, Dylan compte justement prendre de nouveaux risques en 2023. “J’attends deux choses : soit qu’un producteur vienne me voir et me fasse confiance pour faire un film… Soit, si personne ne veut me produire, le faire moi-même.” La société de production existe déjà. Elle s’appelle Cornea, aurait pour but de rassembler des talents d’Internet et de produire toute sorte de contenu vidéo. “Ce serait vraiment un rêve, épanouissant pour plein de gens.”

Les recos de Dylan Suillaud

  • Une série ? The End of the F***ing World de Charlie Covell, disponible sur Netflix.
  • Un album ? La BO du film Fatal de Fatal Bazooka.
  • Un film ? A Scene at the Sea de Takeshi Kitano.

Pour suivre les prochaines réalisations de Dylan Suillaud, vous pouvez le retrouver sur TikTok et Instagram.