Le revival des années 1990 ne nous aura décidément rien épargné. Dernière lubie en date : les Trolls, jouets fétiches des générations X et Y, ressuscités sur grand écran dans un film d’animation et faisant l’objet d’un véritable retour en flamme marketing.
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Entre le collier ras-du-cou (choker), le crop top, le chouchou, le jean neige, les baskets compensées, l’esthétique minimaliste normcore, Calvin Klein, l’éthique anticapitaliste du grunge et Nirvana… il y a à boire et à manger dans le retour fracassant des 90’s depuis trois ans. Ce puissant come-back peut s’expliquer en partie par la similarité dans la perte de repères de notre époque actuelle, meurtrie par la crise, et le sentiment de vide de la période où Kurt Cobain était le roi.
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En pleine “rétromania”, la nostalgie des années 1970 et 1980 ayant été moult fois éculée, les nineties sont devenues un terreau fertile d’inspiration. Sur Pinterest, Tumblr et Instagram, les filles et les garçons qui n’ont pas connu Beverly Hills, le baladeur cassette, la ceinture banane et les Spice Girls, postent des photos de ces objets de pop culture avec un regard fasciné.
Certaines se passionnent ainsi pour les Trolls, qu’elles recouvrent de vêtements bariolés, et se déguisent même avec des perruques de toutes les couleurs pour leur ressembler. D’autres les traquent sur Etsy ou dans les brocantes. Sur eBay, les vraies poupées des 90’s peuvent atteindre 50 dollars (environ 45 euros).
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Tro(ll)p laids ?
Mais que sont les Trolls exactement ? On ne parle pas ici des joyeux drilles/sociopathes postant sur des forums Internet et autres espaces de discussion des messages provocateurs prompts à des discussions houleuses et infinies. Petit rappel pour ceux qui sont nés dans les années 2000. Les Trolls sont à la base des jouets pour enfant inventés par la société Dam Things en 1959, à l’initiative du bûcheron danois Thomas Dam.
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La légende de leur création ressemble à un conte de fée. N’ayant pas assez d’argent pour acheter un jouet à sa fille Lila pour Noël, Thomas Dam lui a fabriqué une bête étrange en bois, inspirée de contes nordiques. Dans le folklore scandinave, le troll est un lutin habitant des montagnes ou des forêts. Certains d’entre eux nous écartent les puissances néfastes du monde invisible. Dans une version islandaise, les plus maléfiques dévorent les enfants comme Alf engloutit les chats.
Lila est devenue complètement mordue de son troll, le chérissant comme un trésor malgré sa non-ressemblance avec une jolie Barbie. Les autres enfants de la ville de Gjol le virent et en voulurent un également. Thomas Dam en créa ainsi d’autres, sous l’appellation “Good Luck Trolls”, qui valent aujourd’hui une fortune sur Internet.
Aux États-Unis, les Trolls se sont répandus dans les années 1960, se sont démodés dans les 70’s, et sont revenus en force à la fin des 80’s et dans les années 1990. Commercialisés par plusieurs marques, dans une version plastique, ils portaient alors plusieurs noms comme “Treasure Dolls”, “Norfins”, ou “Wishnik Trolls”.
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L’attrait des enfants pour ces poupées aux crêtes hirsutes et colorées, vient en partie de leur bizarrerie assez inquiétante (imaginez Einstein avec un gros ventre et une crête couleur néon) et leur drôlerie/fort coefficient de fun. Certains possédaient même un diamant sur le nombril, assorti à leurs yeux scintillants.
Dans les publicités télé de l’époque, on nous montrait comme posséder ces joujous allait changer notre existence. En mieux. On avait l’impression qu’en touchant leur nombril brillant, tout en faisant un vœu, ce dernier allait se réaliser. Certains gamins leurs faisaient aussi des coiffures délirantes ou des dreads dans la cour de récré, à l’aide d’un crayon, créant des monstres surréalistes. Des jeux vidéo contribuèrent à les rendre encore plus cultes.
Cinéma, maquillage, fringues, art : les trolls sont partout
En 2005, la marque fut modernisée sous le nom de “Trollz” (avec une série animée du même nom), mais n’a pas vraiment réussi à séduire un nouveau public. En 2009, Jeremy Scott a tenté de relancer la mode des Trolls, grâce à des T-shirts. Trois ans plus tard, des lolitas kawaii de Harajuku (un quartier de Tokyo) se mettent à complèter leurs tenues avec des trolls accrochés à leurs sacs.
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Mais c’est en 2016 que DreamWorks ressuscite vraiment le phénomène, surfant sur la mode lancée par la culture des Tumblr et des gifs, en sortant un long métrage d’animation autour de l’univers de la mini poupée chevelue.
Le pitch ? “Connus pour leurs cheveux fluos et magiques, les Trolls sont des créatures délirantes et joyeuses et surtout les rois de la pop. Mais leur monde d’arcs-en-ciel et de cupcakes est changé à jamais lorsque leur leader Poppy (Anna Kendrick/Louane Emera), accompagnée de Branche (Justin Timberlake/ M. Pokora), doit se lancer dans une mission de sauvetage qui l’entraînera loin de ce paradis“, nous apprend le dossier de presse.
Le 19 octobre, les Trolls seront donc sur les écrans de cinéma dans un film à la fois psychédélique, pop et fantaisiste signé par Mike Mitchell et Walt Dohrn, qui ont tous les deux bossé sur la franchise Shrek. On y découvre des personnages beaucoup plus mignons que les trolls de la mythologie nordique, comme Poppy l’héroïne rose bonbon qui veut sauver son monde des méchants (des créatures géantes de couleur verdâtre) en faisant du scrapbooking et en affichant une bonne humeur à toute épreuve. Les slogans “LOL” des affiches donne le ton : “Maboule à facettes”, “Je fais ce que cheveux”, “Regardez-moi dans les cheveux”…
Mais le marketing ne s’arrête pas là : la marque de cosmétiques branchée MAC leur consacre une collection de maquillage aux teintes folles et criardes, tandis que Toys”R”Us se remet à vendre les figurines hirsutes.
On trouve aussi des bagues Trolls DIY, des sneakers Trolls, des robes Trolls et même, comble du chic, des savons Trolls.
Le monde de l’art contemporain a lui aussi suivi la tendance Troll. Au dernier Art Basel de Miami, grande foire d’art contemporain, une sculpture cinétique faite de trolls aux cheveux roses et bleus, créée par l’artiste Daniel Rozin était présentée.
Ce nouvel engouement résulte sans doute du fait que ces bestioles correspondent bien à notre époque. Moins mièvres que les Polly Pocket, les Petits Poneys et les Bisounours, ces jouets semblent aussi moins normés, hygiénistes et genrés : d’ailleurs, ils n’ont pas de sexe.
Comble du mauvais goût et du kitsch dans une société parfois trop uniformisée et “normcore”, cette créature propose une autre vision du beau. D’où un fulgurant succès. Au point que la chanson de Justin Timberlake, “Can’t stop the feeling”, pour la bande-son du film fut l’un des tubes de l’été 2016. Un mythe des 90’s porté par un ancien membre de boy’s band à la chevelure douteuse (qui ressemblait à des ramen japonais) : la boucle est bouclée.