Dans une industrie pourtant dominée par les hommes, le cinéma s’est beaucoup intéressé au sujet de la maternité. Alors qu’il s’ouvre davantage aux femmes, le septième art s’emploie enfin de raconter la maternité dans ses différentes aspérités : difficultés à concevoir, dépression post-partum, deuil périnatal, burn-out parental ou encore belle-parentalité. Et parmi ces différents destins féminins, on offre désormais une (petite) place à l’écran aux femmes qui ne veulent pas devenir mères.
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Ainsi, depuis les années 1980, le sujet de l’avortement a été au centre de nombreuses productions cinématographiques et même récompensé par les plus hautes distinctions dans les festivals de cinéma. Mais si les représentations se multiplient, “le discours majoritaire est encore aujourd’hui relativement conservateur. Bien souvent, le sujet est souvent évacué par un twist narratif, la fausse couche, ou par la volonté finale de garder l’enfant”, nuançait Iris Brey dans les colonnes de Télérama. Ainsi, sans être ouvertement anti-avortement, il n’est pas rare que les fictions empêchent leurs héroïnes de sérieusement envisager l’IVG.
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Une étude réalisée par l’université de Californie en 2013 corrobore ses propos. En effet, entre 2003 et 2012, 116 productions américaines s’attaquaient directement à la question. Mais selon une autre étude réalisée par la même université de Californie en 2017, qui analysait quatre-vingts productions américaines sorties entre 2005 et 2016, dans 37,5 % des histoires où les personnages choisissent l’avortement, ce dernier se solde par des complications médicales, souvent majeures (contre 2,1 % dans la réalité). Dans 9 % des cas, il conduit même à la mort des personnages (contre environ 0 % en réalité).
La même étude démontrait que 9 % des personnages fictifs donnent leur bébé à l’adoption, contre seulement 1 % dans la vie réelle. À l’écran, l’adoption peut donc également être un moyen d’éluder la question de l’avortement tout en conservant l’intérêt scénaristique d’une grossesse non désirée. Ce fut notamment le cas de Juno, teen movie sorti en 2007, véritable carton en salles et devenu culte, auquel est déjà comparé Ninjababy, de la norvégienne Yngvild Sve Flikke, qui aborde lui aussi le sujet d’une grossesse non désirée qui se solde par une adoption. Mais pour nous, la comparaison s’arrête là.
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“Your baby has fingernails”
Dans cette comédie dramatique indépendante sortie en 2007, Elliot Page incarne une jeune fille de 16 ans tombée accidentellement enceinte et qui choisit d’interrompre cette grossesse non désirée. Mais déstabilisée par les propos d’une militante anti-avortement lui soutenant que “son fœtus a déjà des ongles”, Juno décide finalement de garder son enfant pour le confier à un couple ne pouvant concevoir. Quinze ans plus tard, Juno, pourtant référence cinématographique indéniable concernant la grossesse adolescente, peut être également perçu comme un film conservateur, porteur d’un message réactionnaire.
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Dans Ninjababy, comédie grinçante et romantique, la réalisatrice a choisi de ne pas laisser le choix à son héroïne. L’avortement n’est ni le sujet du film ni même une possibilité, car lorsque Rakel se rend compte qu’elle est enceinte, alertée par ses fringales et une poitrine qui a grossi, six mois ont passé, et elle va donc devoir mener cette grossesse à terme. “Je ne voulais pas qu’elle se pose la question de l’avortement car c’est la solution qu’elle aurait choisie et je ne voulais pas faire un film sur l’avortement”, nous a expliqué Yngvild Sve Flikke.
Adapté de la bande dessinée Fallteknikk d’Inga Sætre dans laquelle Rakel a 16 ans, comme Juno, lorsqu’elle tombe accidentellement enceinte et doit se débrouiller seule avec uniquement l’aide de sa meilleure amie, Ninjababy est un film sur le non-désir de maternité. C’est pour cette raison que la réalisatrice a vieilli son héroïne, âgée de 23 ans dans le film. “Je voulais vraiment qu’elle soit assez âgée pour pouvoir prendre soin d’un potentiel enfant mais ne pas le vouloir. Si elle avait eu 16 ans, on aurait simplement été triste pour elle. Là, je voulais jouer avec les attentes du spectateur et la vision qu’il a de ce personnage féminin.”
Ici, rien ni personne ne détournera Rakel de son choix, ni sa sœur aînée qui rêve d’avoir un enfant, ni son nouvel amoureux attentionné et compréhensif qui pourrait s’avérer un bon père adoptif, ni le géniteur de l’enfant, un goujat qui tente de la faire changer d’avis lorsqu’il se découvre de soudaines velléités de paternité. Ni même ce déplaisant embryon animé, le fameux “Ninjababy”, qui surgit dans sa vie par le biais de petits dessins qu’elle croque toute la journée et qui verbalise tout haut les angoisses de la jeune femme qui le porte et qui tente de la culpabiliser.
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Le modèle Donna
Ainsi, Ninjababy et son héroïne déterminée nous rappellent moins Juno qu’Obvious Child de Gillian Robespierre, que la réalisatrice norvégienne nous confie avoir visionné pour la préparation de son film. Dans ce long-métrage à mi-chemin entre la comédie et la comédie romantique qui aborde frontalement le sujet de l’avortement, Donna, stand-uppeuse trentenaire, tombe enceinte de Max, un garçon doux et bienveillant, après un coup d’un soir.
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Mais Donna ne veut pas garder cet enfant, et son choix est présenté comme rationnel et réfléchi. Sa décision, que le film interroge mais dédramatise, n’est aucunement prise à la légère. S’il y a aussi des intervenants extérieurs à l’histoire de Donna – amies, amants, famille –, de même que dans celle de Rakel, sa décision lui appartient de bout en bout et son IVG est mise en scène de façon honnête et concrète. Ainsi, avec justesse, humour et beaucoup d’émotions, Obvious Child dédramatisait la question de l’avortement sans pour autant la banaliser, de la même façon que Ninjababy aborde, avec créativité, bienveillance et beaucoup de liberté, le non-désir de maternité de son héroïne.
Mais la réalisatrice a aussi pensé son film comme une comédie noire, et dans une conclusion pleine d’émotions, Rakel devra justifier une ultime fois son souhait de ne pas garder l’enfant qui vient de naître au père biologique, car elle est, selon elle, une “égoïste de merde”. Ainsi, si la réalisatrice fait de son héroïne un modèle d’indépendance qui ne se laisse pas détourner de son choix pourtant difficile, elle n’oublie pas le regard que porte encore la société sur les femmes qui ne veulent pas d’enfants.