Cette année, Tinder fête ses 10 ans. Une décennie de swipe, de matchs, de profils envahis par les filtres et de “slt, sa va ?” dès le premier message. Loin de moi l’idée de critiquer le dating en ligne et de le présenter comme la fin des rapports sociaux : depuis mes 18 ans, j’ai écumé pas mal d’applications différentes, et j’utilise Tinder de manière obsessionnelle depuis quatre ans. J’y ai vu et vécu de belles expériences, comme des matins gênants et des photos de pénis reçues dès les premières heures d’échange. Mais en une décennie, Tinder a-t-il changé notre manière de nous aimer ? Est-ce encore possible d’y trouver l’amour, ou au moins une relation saine et équilibrée ?
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Pour les cancres du fond de la classe, ou pour ceux qui vivent dans une relation pleine d’amour depuis dix ans (je vous déteste), Tinder est une application de rencontres créée en 2012. Plus besoin de vous présenter le principe : vous swipez, vous likez (ou non) en fonction de quelques photos et de quelques lignes de présentation. En clair, vous avez 10 secondes pour savoir si vous avez envie de coucher/acheter une maison en Ardèche/faire des bébés avec cette personne, ou si vous souhaitez l’envoyer aux oubliettes d’un algorithme sans fond.
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Au fil des années, l’application n’a cessé de gagner en popularité. Tinder revendique plus de 450 millions de téléchargements depuis son lancement. En dix ans, l’application devenue empire aurait permis plus de 65 milliards de matchs. Des chiffres qui donnent le vertige et qui témoignent de l’entrée de Tinder dans notre quotidien. Tu es célibataire ? Tu as envie de coucher ce soir ? Tu cherches un plan à trois ? Tu t’ennuies aux WC ? Va sur Tinder.
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Besoin de rien, envie de toi (et de ton capital social)
La principale raison de mon inscription sur Tinder ? La vie d’adulte, le télétravail, la même bande de potes depuis huit ans et une timidité chronique. “Les sites de rencontres sont des lieux dédiés à la rencontre. Dans la vie de tous les jours, on a au final très peu de lieux pour rencontrer des partenaires potentiels”, m’explique Nathalie Nadaud-Albertini, sociologue des médias. Se mettre sur les applis, c’est se rendre disponible pour rencontrer quelqu’un. D’ailleurs, beaucoup d’utilisateurs de Tinder l’utilisent… en voyage, comme Laeti, 35 ans. “J’étais au Japon, et on m’avait dit que la meilleure façon d’améliorer mon japonais rapidement était d’avoir un petit ami local !”, me raconte-t-elle. Elle n’y a peut-être pas trouvé son âme sœur, mais grâce à l’appli, elle a rencontré plusieurs amis.
Sortir de son cercle, rencontrer hors de sa zone de confort, rencontrer des gens différents… Ce sont des arguments que j’ai moi-même pas mal ressortis à des proches peu convaincus. “On peut y rencontrer une personne sans se limiter aux mariages et aux soirées en boîte”, analyse Hannah, la trentaine. Nico, 43 ans, m’assure y avoir vu “une myriade de personnes, des histoires différentes, une tranche de vie de la société…” Alice, 24 ans, m’a ainsi raconté comment elle a rencontré son actuel copain sur Tinder, alors qu’elle venait d’arriver dans une ville inconnue. “Je ne connaissais personne à part les amis de mon école et ça m’a permis d’avoir un pied en dehors de cet entre-soi, et jamais je ne l’aurais rencontré si ce n’était pas sur Tinder”, argumente-t-elle.
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Pourtant, la plupart d’entre nous continuent à liker et à sortir avec des gens qui leur ressemblent : malgré toute l’ouverture dont on veut faire preuve, on date généralement des personnes qui ont le même niveau d’études ou le même niveau social. Vous ne matchez qu’avec des petits hipsters blancs qui vapotent et vous parlent de leur amour pour Tarantino ? Ne vous inquiétez pas, moi aussi.
“Quelqu’un qui ne répond pas aux ‘critères standards dictés par la société’ peut avoir des difficultés à avoir des matchs et j’imagine que ça peut être difficile à vivre”, témoigne notamment Alice, la vingtaine. Dans son livre Les Nouvelles Lois de l’amour, la sociologue Marie Bergström expliquait ainsi que les sites de rencontre n’avaient pas brisé les barrières sociales, mais les avaient plutôt renforcées. Avec son enquête L’Amour sous algorithmes, la journaliste Judith Duportail confirmait ces recherches, en ajoutant que l’algorithme prenait en compte les niveaux de revenus et d’éducation pour matcher ensemble les profils similaires (ou à l’avantage social des hommes plus vieux et plus fortunés).
Et puis Tinder est un jeu de dupes. On met ses meilleures photos de profil, on réfléchit à sa bio, on tente ses pires disquettes. “Le premier contact qu’on a, c’est avec une mise en scène de soi. Du coup, quand on rencontre en vrai la personne, on peut ressentir un décalage”, développe Nathalie Nadaud-Albertini. Sabrine, 25 ans, m’a raconté qu’un jour, elle décide de rencontrer un mec qui “était vraiment cool par messages”. “Le date était horrible parce que le mec était insupportable. J’ai fait une blague sur un chien qui passait et il m’a fait la morale du genre ‘pourquoi tu dis ça, c’est hyper méchant’, alors que ça ne l’était pas”, se souvient-elle.
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Douche froide pour Sabrine et ce n’est pas la seule. Chacun tente de paraître à son avantage sur Tinder, toujours dans des clichés : les hommes tentent d’y démontrer leur virilité, les femmes, quant à elles, sont saturées de messages et parfois jugées pour leur liberté sexuelle. Surtout que pour les proches, s’inscrire sur Tinder peut revenir à un aveu d’échec : “Il y a l’idée que les apps mettent l’amour dans une dynamique rationnelle, et que la relation qu’on peut en tirer n’est pas une vraie rencontre”, ajoute la sociologue. À la fameuse question “Vous vous êtes rencontrés comment ?”, la réponse peut parfois arracher un rictus.
On ne naît pas dragueur, on le devient
Après plusieurs années de tests et de pratique plus ou moins acharnée, j’ai gardé de mes rendez-vous Tinder quelques règles d’or : toujours aller dans un lieu public, demander une photo ou un vocal avant de se rencontrer, avoir minimum trois sujets de conversation différents et surtout… ne pas enregistrer le numéro de la personne avant le troisième date. Ça évitera le moment gênant quand vous effacerez “Pierre 🐟” (parce qu’il adorait les poissons) de vos contacts après qu’il vous a viré de chez lui à 2 heures du mat’.
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“Chacun peut s’inventer une vie, une image, une nouvelle tête aussi. Et puis il y a une part de doute, c’est l’inconnu”, explique Rayan, la trentaine, qui a rencontré sur Tinder son conjoint. D’autant que draguer via écrans interposés implique de nouveaux codes, beaucoup de prises de tête sur l’heure à laquelle envoyer un message et quel émoji ajouter après chaque phrase. “Les seules ressources qu’on a pour comprendre tout ça, c’est les normes du couple et de l’amour. Avant de mettre en jeu des personnes, cela met en jeu des stéréotypes”, ajoute Nathalie Nadaud-Albertini.
Est-ce qu’on peut trouver l’amour sur Tinder ? Oui, bien sûr. J’ai des dizaines d’histoires de couples qui ont commencé par un match et un gif de The Office et qui aujourd’hui ont des enfants, une propriété privée et la bague au doigt. Moi-même, j’y ai rencontré de belles histoires d’amour, d’amitié, j’ai eu des discussions passionnées et du sexe incroyable. Mais ce n’est pas automatique et comme toujours, les applications sont ce qu’on en fait. Le meilleur comme le pire…
Oui oui, je parle bien de ghosting, de dickpics et de L’Arnaqueur de Tinder. Mais ça, c’est pour un prochain épisode.