L’Autriche va-t-elle encore devoir restituer des œuvres de son emblématique artiste Egon Schiele, 80 ans après la fin de la guerre ? Elle jure en tout cas de sa bonne foi, face à la plainte d’héritier·ère·s états-unien·ne·s. Au cœur de cette nouvelle bataille judiciaire, la collection exceptionnelle d’un cabarettiste juif, qui possédait plus de 400 œuvres, dont 81 du célèbre expressionniste, avant d’être tué par les nazis à Dachau en 1941. Fritz Grünbaum, célébrité des Années folles, avait un certain talent pour débusquer les chefs-d’œuvre de demain : la valeur actuelle totale de l’ensemble est aujourd’hui estimée à quelque 500 millions d’euros, selon le quotidien autrichien Der Standard.
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D’après l’enquête menée par les autorités autrichiennes, la belle-sœur du malheureux collectionneur a pu récupérer le précieux lot Schiele avant la guerre avant de fuir à l’étranger puis de céder ses œuvres à un marchand d’art helvétique dans les années 1950. C’est donc en toute légalité que le musée Leopold de Vienne posséderait dix peintures et dessins – dont la célèbre huile sur bois Ville morte III (1911) – et l’Albertina, deux autres.
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Ses héritier·ère·s les réclament pourtant depuis plus de deux décennies, mais en 2010, une commission spéciale a recommandé au gouvernement de ne pas les rendre, après un rapport démontrant au fil de 112 pages qu’aucune spoliation n’était prouvée. Les recherches avaient été “méticuleuses”, précise aujourd’hui à l’AFP le ministère de la Culture et les choses se sont calmées, jusqu’à ce que la justice états-unienne en décide autrement.
Coup de théâtre
En 2016, la loi “Hear” (pour “Holocaust Expropriated Art Recovery Act”) prolonge le délai pour réclamer la restitution d’une œuvre, ce qui permet aux héritier·ère·s de Fritz Grünbaum de reprendre le chemin des tribunaux. Ils concentrent d’abord leurs forces sur des croquis de Schiele exposés aux États-Unis. Et coup de théâtre : en 2018, le parquet de New York valide une tout autre vision de l’histoire, celle reconstituée de leur côté par les plaignant·e·s.
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Fritz Grünbaum aurait bel et bien été spolié. Les nazis auraient d’ailleurs vendu sa collection pour soutenir l’effort de guerre. Depuis, les restitutions s’enchaînent. Peur de l’opprobre, des frais de justice ? Certains musées, comme le MoMA de New York, ont volontairement cédé, quand d’autres ont attendu une décision de justice. Un seul, sauvé par la prescription, a réussi à garder une pièce. En quelques mois, dix d’entre elles ont changé de propriétaire. Valeur totale : au moins 11 millions d’euros. Quant à l’Autriche, elle est à son tour visée par une plainte en décembre 2022, qui l’accuse de s’être “enrichie illégalement et de manière injuste”, selon le texte consulté par l’AFP, déposé auprès du tribunal de New York.
Le précédent Klimt
Mais à Vienne, on ne l’entend pas ainsi. Le gouvernement autrichien maintient que rien n’indique que la collection Grünbaum ait été volée sous le pouvoir hitlérien. Il va même plus loin en contredisant la justice états-unienne : “Les dessins restitués aux États-Unis sont également arrivés sur le marché de l’art” légalement, toujours “par l’intermédiaire” de la belle-sœur du cabarettiste. “Les preuves suggèrent que la collection était toujours en possession de la famille après la fin du régime nazi”, explique le ministère.
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Pour ce pays de 9,1 millions d’habitant·e·s qui a déjà restitué 15 800 œuvres et ne joue pas dans la même cour que les grands musées états-uniens, l’enjeu est de taille : le musée Leopold abrite la plus importante collection au monde des œuvres de Schiele. Considéré comme son “redécouvreur”, Rudolf Leopold avait acquis, avant sa mort en 2010, quelque 6 000 œuvres de l’âge d’or viennois, réunies dans ce cube en calcaire blanc bâti spécialement en 2001 au cœur de Vienne.
Dans les années 2010, l’institution avait déjà restitué deux dessins de Schiele issus du fonds Karl Mayländer, un autre collectionneur juif assassiné par les nazis. L’Albertina avait aussi rendu cinq croquis. Le monde de l’art garde surtout en mémoire un humiliant bras de fer, immortalisé au cinéma. Il opposait une requérante états-unienne réclamant cinq tableaux d’un autre artiste viennois célèbre, Gustav Klimt, à l’Autriche qui les avait rétrocédés la mort dans l’âme en 2006. Aux enchères, ils avaient ensuite trouvé preneur·se pour un montant total record de… 328 millions d’euros.