Quelques pages seulement et voilà le lecteur happé dans un film de James Gray. Il y a du Little Odessa (1994), du The Yards (2000) ou encore de La nuit nous appartient (2007) dans l’univers que façonne Émilie Papatheodorou (ancienne co-rédactrice en chef à Konbini) dans son premier roman, L’Aube américaine.
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Une manière de peindre un New York effervescent, qui le jour grouille de vie, d’opportunités et de légèreté, mais qui, la nuit, se teinte d’une obscurité angoissante où les doutes et les questions existentielles vous assaillent.
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C’est dans cette ville tentaculaire que Théodora vit avec sa “giagia”, sa grand-mère en grec. Elle entretient avec elle une relation fusionnelle et l’accompagne au quotidien alors que la maladie d’Alzheimer s’en prend à sa mémoire et ses souvenirs. Entre elles s’est installé un amusant rituel. Par d’habiles tours de passe-passe, Théo parvient à faire parler sa grand-mère. Cette femme hors du commun se livre des heures entières sur son passé, la Grèce, son exil. On reconstitue pièce après pièce le puzzle d’une vie représentative de celle de tant d’émigrés passés par Ellis Island.
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Cette mémoire familiale, Théo la ressasse pendant de longues heures, le plus souvent la nuit, alors qu’elle prend le volant de son taxi et s’enfonce dans le dédale new-yorkais. Elle confronte l’existence chahutée de sa grand-mère avec la sienne, celle d’une trentenaire un peu perdue qui se débat avec le tourbillon de la vie, celle d’une amoureuse contrariée qui s’est entichée, lors d’une de ces nombreuses virées nocturnes underground au Mars Club, d’un cinéaste britannique qui a tout du bad boy infréquentable. Prise en étau entre cette grand-mère, son centre de gravité et les violentes fêlures d’Ethan, Théo va devoir faire un choix pour elle, un choix qui déterminera quel genre de femme elle veut devenir.
Avec L’Aube américaine, Émilie Papathéodorou donne à lire une histoire enivrante servie par une écriture bourrée d’images. La passion de la journaliste pour les États-Unis et le septième art vient infuser les pages de son livre. Au volant du yellow cab de Théodora, on s’offre une plongée vertigineuse et originale dans le New York des années 2010, une déambulation qui rappelle par certains aspects celle de Travis Bickle dans Taxi Driver. Mais rassurez-vous, pas de mass murder au programme, juste un roman foisonnant qui interroge tour à tour la question des racines, de l’exil, de l’identité et l’affirmation de soi, de la féminité et de l’amour.
On croit même par moments déceler au cœur de cette fiction un étonnant jeu de piste autobiographique tant le personnage de Théodora, trentenaire grecque déracinée, fait écho à son auteure. Mais par sa maîtrise, ce roman aspire à l’universel. Vibrant hommage à toutes les femmes puissantes qui peuplent notre quotidien, il est aussi une ode inspirante à la construction chaotique des êtres et à ces fragilités qui font la beauté de la condition humaine.
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