Le musée Picasso, à Paris, accueille une exposition inédite et monumentale de Sophie Calle, célèbre artiste conceptuelle française qui recevait des inconnus dans son lit et séjournait au musée d’Orsay dans le cadre de ses performances. Cet événement – qui court jusqu’au 7 janvier 2024 – est dédié au peintre français, mort il y a 50 ans et dont les agissements envers les femmes ont été épinglés depuis #MeToo.
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“À toi de faire, ma mignonne” est née après une longue hésitation, “par crainte de ne pas être à la hauteur”, confie à l’AFP l’artiste bientôt septuagénaire. Son œuvre, métaphysique et conceptuelle, utilise tous les médias et s’appuie principalement sur l’autofiction, s’intéressant beaucoup au regard, au langage, à la disparition et à la mort. Photographies, dessins, textes, vidéos, sons, tableaux composites, objets personnels… Avec 700 pièces recensées, son univers singulier a investi les quatre étages du musée, où la plupart des œuvres de Picasso ont été reléguées au sous-sol lorsqu’elles ne voyagent pas dans le monde entier.
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“Je ne veux pas revendiquer d’avoir poussé Picasso au sous-sol pour des raisons féministes, je l’ai fait par syndrome d’imposture, par crainte de ne pas pouvoir me glisser parmi ses œuvres”, explique l’artiste qui a prêté son image à l’affiche de l’exposition, une photo d’elle, enfant. “C’est un peu comme si Picasso me tapait sur l’épaule et me disait : ‘À toi de jouer…'”, dit-elle.
“Cette présence fantomatique m’a moins inquiétée que son œuvre”
Après avoir “refusé de l’aborder pendant deux ans”, elle raconte s’être rendue au musée pendant le confinement de mars 2020 et être “tombée sur des tableaux confinés eux-mêmes, enveloppés dans du kraft, cachés à la vue pour les protéger de la poussière et de la lumière”. “Alors que je n’osais pas vraiment m’installer chez Picasso, cette présence fantomatique m’a moins inquiétée que son œuvre”, ajoute-t-elle.
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Les tableaux “confinés” qu’elle a photographiés sont exposés en grand format dans une harmonie de brun et de gris-bleu au rez-de-chaussée. Pour réaliser “l’exposition qui [lui] ressemble”, elle a “joué avec l’absence très présente” et “le fantôme” du maître, instaurant un dialogue codifié et tendre avec lui, à l’instar de la première section, intitulée “Picalso”, qui présente un dessin d’enfant de Sophie Calle, jugé digne de Picasso par sa grand-mère, et une phrase de sa mère : “Tu les as bien eus !”, en découvrant l’œuvre de sa fille entre des tableaux de Magritte et de Hopper au MoMA à New York en 1991. “Elle a pensé que j’avais du génie pour être arrivée à me glisser là, que j’étais drôlement maline. Mais elle n’a pas commenté mon travail !”, dit l’artiste.
Ainsi, elle expose des œuvres autour du “regard, des aveugles, de la muséographie, du fait de tout garder, de la peur de la mort”. Et la sienne, comme cette photo d’elle, enveloppée dans un linceul, entre deux œuvres dédiées à son père et à sa mère décédés, une “mise en scène”, dit-elle. Ses animaux empaillés, objets d’art, bijoux, vêtements, documents ou meubles, qu’elle a fait répertorier par Drouot, sont aussi exposés en nombre, “une façon de jouer avec ma panique de terminer à l’encan, et que tous les objets de ma vie qui ont compté pour moi, deviennent des objets morts, froids”.
Par peur de la mort, Picasso refusait de faire son testament. Sophie Calle a réécrit le sien, à chacun de ses voyages, raconte à l’AFP Cécile Godefroy, commissaire associée de l’exposition et responsable du centre d’études au musée. L’exposition se conclut sur l’inventaire des projets achevés, présentés sous forme de série noire, objet d’un ouvrage chez Gallimard, et ceux inachevés, présentés avec autodérision.
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