Pour le grand public, les idols, ce sont ces lolitas fluo qui fredonnent des paroles sucrées et fleur bleue. À l’occasion de la 20e édition de la Japan Expo de Paris, qui s’est tenue le week-end dernier, des idols nous ont parlé de la réalité de leur quotidien, derrière la célébrité et les paillettes.
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Le 22 avril dernier, la salle du Shinjuku Blaze, à Tokyo, accueillait la 4e édition du concours de talents Tokyo Candoll, lancé en 2015 par les organisateurs de la Japan Expo de Paris. À la clef pour l’artiste ou le groupe vainqueur de la compétition : l’honneur de représenter la nouvelle génération d’idols japonaises à l’étranger, en se produisant lors du plus grand rassemblent de pop culture japonaise en Europe
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Cette année, ce sont les 14 chanteuses du groupe Banzai Japan qui ont séduit le jury avec leurs chorégraphies survoltées et leurs uchiwas, ces éventails japonais traditionnels. Elles ont ainsi chanté sur la scène Karasu de la Japan Expo 2018. Une opportunité exceptionnelle pour elles, comme l’explique Mei Yasuhara, membre du groupe : “Paris pour les Japonais, c’est très spécial. C’est une fierté de faire notre premier concert à l’étranger ici !”
Castings sauvages
Au Japon, le terme “idol” désigne de jeunes artistes des deux sexes — chanteurs, acteurs, animateurs, modèles, etc. —, souvent très médiatisés et sous contrat pour une durée limitée (allant de quelques mois à plusieurs années). Ils sont sélectionnés à l’adolescence sur des critères physiques et leur image, très contrôlée par les sociétés de production, contribue à faire de ces jeunes pop stars des modèles d’innocence et de perfection pour de nombreux fans.
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Sur scène, le sourire est de rigueur, mais en coulisses la compétition fait rage. Éliminées lors des deux éditions précédentes du Tokyo Candoll, les membres de Banzai Japan se sont distinguées cette année parmi des dizaines de girls bands venus de tout le Japon, au fil des trois tours de sélection qui leur ont permis d’accéder à la grande finale. Un univers très concurrentiel que Yui Chiyoda a bien connu, puisqu’elle a fait partie pendant un an de l’un des groupes d’idols les plus populaires au-delà des frontières du Japon, AKB48.
Depuis 2005, ce groupe forme des jeunes filles au chant et à la danse, et les propulse au cœur du star-system avec un art maîtrisé du storytelling. Pour se faire connaître dans le monde entier, AKB48 est constitué de différentes équipes — pour sa part, Yui faisait partie de la team Baito AKB. La formation se renouvelle en permanence, pour maintenir la moyenne d’âge entre 20 et 25 ans.
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Yui garde un vif souvenir de sa sélection : “Pour moi, ça a été très dur. J’ai participé à plusieurs castings et j’ai échoué à chaque fois. Le recrutement est impitoyable. J’ai tenté ma chance une dernière fois et, le jour de mes 25 ans, on m’a annoncé que j’étais retenue.”
Parfois, les candidates se heurtent aussi au refus de leurs parents. Ayumi Harukawa, qui fait aussi partie des Banzai Japan, se rappelle : “J‘ai remporté les auditions en cachette, et j’ai demandé l’aide d’une amie pour signer le contrat. Mes parents ont découvert plus tard les costumes dans ma chambre et ont mal réagi. On a beaucoup parlé et maintenant, ça va mieux.”
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Pas de temps morts
Pour être performantes en concert et supporter les voyages et répétitions, les idols se plient à une discipline digne d’athlètes de haut niveau, régime alimentaire strict et séances régulières de sport compris. Yui confirme : “Entre le moment de ma sélection et mon premier concert, il ne s’est écoulé qu’un mois, mais un mois d’entraînement intensif. On était 48 filles et il fallait retenir 30 chansons et chorégraphies. Les profs sont excellents mais d’une exigence redoutable. On terminait les journées pleines de crampes, mais sans se plaindre.” Côté alimentation, le défi a également été de taille pour cette passionnée de vins français.
Dans les journaux ou sur les réseaux sociaux, les idols mettent en scène leur camaraderie. Mei Yasuhara avoue cependant qu’elles ne sont pas forcément amies, même si elles savent qu’elles peuvent compter les unes sur les autres. Yui Chiyoda confirme :
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“Dans AKB48, je faisais partie d’une équipe qui n’était pas la plus mise en avant. Notre souhait à toutes était de rejoindre celles plus en vue, nous étions donc clairement rivales. Parfois, nous devions jouer les doublures lumières pour d’autres chanteuses. C’était assez ingrat, surtout que nous n’étions payées que 1 000 yens par heure [environ 8 euros, ndlr].”
Invitée à la Japan Expo, la chanteuse Misaki Iwasa est aussi une ancienne d’AKB48. Pour elle, “il y a trop de chanteuses en ce moment, c’est difficile de pouvoir exprimer sa personnalité face au public. La concurrence est forte car chacune d’entre nous essaye de se constituer la plus grande fanbase possible”.
Un public survolté
Retour aux sélections du Tokyo Candoll. Pour le profane qui assiste à ces soirées, deux choses retiennent l’attention. Les groupes proposent des styles très différents, de la pop sucrée au punk-rock, en passant par les solos de clarinette. Autre particularité : le public connaît par cœur les refrains, mais les chante avec une voix plus grave que les idols. En effet, dans la fosse, peu de femmes, mais beaucoup d’hommes de 20 à 60 ans qui chantent et dansent, inventant même leurs propres mouvements. Cette surreprésentation de la testostérone est à nuancer, car les groupes d’idols sont tellement différents que certains attirent aussi bien des familles que les filles (d‘ailleurs le public était assez mixte dans les concerts d’idols de la Japan Expo).
Après les concerts, les groupes participent souvent à une séance de rencontre avec les fans. Ils font la queue pour se prendre en photo avec les idols ou leur glisser un petit mot – du genre “Je t’aime” ou “N’arrête jamais de te battre”. Lorsque l’une d’elles quitte le groupe, elle livre un dernier concert où elle vit sa “graduation”, le moment où elle se libère du groupe pour se lancer dans une autre carrière. Misaki Iwasa nous confie : “Ma chance, c’est que je n’étais pas la plus célèbre des AKB, mais mon public m’a suivi quand j’ai commencé ma carrière solo.”
Nouveaux horizons
Bercée au chant traditionnel enka par ses grands-parents (une technique toute en vibratos démonstratifs, très différente de la J-Pop), Misaki a quitté la vie de groupe au bout de sept ans, pour lancer son projet solo. Pour elle, c’est un véritable soulagement : “Le rythme était intense donc j‘étais contente d’arrêter de rencontrer les fans tous les week-ends ou de suivre les cours de danse quotidiens, même si j’ai repris du poids. Et puis, maintenant, on ne s’occupe que de moi, j’ai même eu droit à mon premier kimono sur mesure.” Cette année, elle a initié le public français à son art : “Les chansons enka manient la langue japonaise avec beaucoup de finesse, c’est très poétique.”
Si Misaki est restée dans le domaine de la chanson, Yui Chiyoda a multiplié les expériences. Elle est ainsi devenue l’égérie d’un magazine de golf, actrice et mannequin de charme. Une pratique pas si inhabituelle pour les ex-AKB48 (mais impensable pour beaucoup d’autres groupes d’idols) et qui ne contrarie pas la suite des carrières de ces jeunes femmes. La preuve : Yui est aussi “shrine idol”. Son travail consiste à assister son père, prêtre shinto de son état, en accueillant les visiteurs dans son temple de Tokyo. Consciente que la fréquentation des sanctuaires est en baisse, elle a également monté la première chaîne YouTube pour expliquer les subtilités des rites shintos.
Entre la chanson, le golf, le mannequinat et le tourisme, l’éventail des possibles est large pour Misaki et les autres idols !