En 2024, Konbini se lance dans la fiction. Chaque semaine, retrouvez sur le site un nouveau chapitre des aventures de La Récupératrice, une mercenaire de l’espace qui accomplit toutes ses missions avec bienveillance et tendresse. C’est imaginé et écrit par François Faribeault, journaliste bourré de talent, incroyablement sympathique et agréable à l’œil nu (ce n’est pas lui qui a écrit ce paragraphe).
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Dans un royaume lointain, un Roi régnait avec bonté sur ses sujets. Il était aimé et aimant, et son peuple le lui rendait bien. Mais un jour, une usurpatrice fit son apparition. Elle retourna le peuple contre lui et le força à quitter le trône comme la région. Trois mois s’étaient écoulés depuis sa fuite dans une forteresse délabrée au fin fond d’une forêt, et le temps commençait à se faire long. Alors son conseiller lui proposa d’engager un assassin, afin de prendre la tête de l’usurpatrice et revenir au château en vainqueur. Le plan était simple et facile à mettre en place mais l’exil entraînait des restrictions. Il n’avait donc le budget pour engager qu’un seul assassin. Ne restait qu’à trouver le bon candidat.
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Hélas, si le conseiller savait son roi bon, il le savait aussi excentrique. Alors, lorsqu’il apprit que son Seigneur avait engagé non pas une personne mais deux, il dut intervenir, et ce, même si c’était dès le petit-déjeuner :
— Mon Seigneur, nous avions convenu qu’avec notre budget, un assassin local était l’option la plus judicieuse. Celui que nous avons trouvé est abordable. Il est discret, efficace et avec lui, les probabilités de réussite sont fortes. On ne peut se permettre de miser sur quelqu’un d’autre.
— Ah Cregan, mon plus cher conseiller et ami de longue date, lâchait le roi entre deux bouchées. Toujours à questionner mes décisions à ce que je vois.
— Non, mon Seigneur ! Pas d’”ami de longue date” avec moi ! Expliquez-vous !
— J’ai enfin reçu le message de mon cousin, poursuivit le Roi après avoir retiré des miettes de pain de sa barbe. Tu sais celui avec un bras en moins ? Il était dans une situation aussi épineuse que la nôtre et a fait appel à une certaine mercenaire. Quelque temps après, le problème était réglé. Alors, j’ai jugé bon de demander ses coordonnées.
Cregan souffla et passa sa main dans ses cheveux. Il remarqua qu’il en avait encore perdu. Pour lui, c’était encore une journée où il ne parvenait pas à restreindre les débordements de son Seigneur.
— Mon cher Cregan, je sais que sans toi, ma tête trônerait à la pointe d’un pic à l’entrée de mes terres. Sans toi, nous n’aurions pas trouvé refuge en ce lieu sûr – certes sombre et poussiéreux – mais sûr. Sans toi, je ne serais pas entouré de mes plus fidèles gardes. Mais vois-tu Cregan, j’aimerais quand même tester cette mercenaire. D’ailleurs, elle est déjà en chemin. Elle devrait arriver cet après-midi, avec l’autre assassin.
L’après-midi, le Roi accueillit les deux agents de la mort dans ce qui servait de salle de trône. Cregan était dubitatif. D’un côté, l’assassin se présentait dans une tenue sombre, le corps couvert par une large cape. Un masque couvrait son visage, dévoilant seulement son regard froid. Au-delà de sa tenue, Cregan sentait une aura obscure se dégager de cet homme. Dans cette pièce, il était clairement l’individu le plus dangereux. De l’autre, la mercenaire arborait un style beaucoup plus original pour la profession. Même si elle était habillée d’une sorte de combinaison complète, son visage restait à découvert. Elle portait des lunettes de vue ainsi qu’un sac à dos rapiécé. Cregan observa sa posture. Aucune aura de mort ne s’en dégageait. Elle jetait des coups d’œil autour d’elle, comme si elle venait de se réveiller d’une sieste plus longue que prévu. On aurait dit une simple voyageuse, au mieux une exploratrice. Mais en aucun cas une assassin.
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Soucieux, Cregan se pencha pour murmurer à son Roi :
— Mon Seigneur, cette… mercenaire… quel problème a-t-elle réglé chez votre cousin ?
— Elle était chargée de récupérer un artefact dans une grotte. Une grotte humide. Qui provoquait quelques rhumatismes à mon cousin.
— Cette grotte revêtait quelques aspects menaçants ?
— Oui. Elle était humide.
— Vous êtes sérieux ? répondit Cregan en élevant son murmure. Mon Seigneur, elle n’a clairement rien à faire ici ! On ne parle pas de récupérer un bijou là, mais bien de tuer quelqu’un. Et pas n’importe qui.
— C’est trop tard pour faire marche arrière, répliqua le Roi. Maintenant qu’ils sont là, autant en profiter. Mettons-les en compétition. Voyons lequel de nous deux avait raison.
Cregan se leva et salua les invités avant de présenter ses excuses quant à la physionomie quelque peu rustique des lieux. Puis, il introduit l’hôte de la demeure, véritable Seigneur du Royaume de Opheronash, le Roi Malanj VI. Il enchaîna en présentant l’objectif du contrat : apporter la tête de l’usurpatrice Vivian, ancienne conseillère du Roi, accusée de trahison envers le Royaume. La récompense : une bourse d’or et deux d’argent. Une somme appropriée pour une mission aussi difficile. L’assassin leva la main. Après que Cregan l’autorisa à s’exprimer, il s’avança d’un pas aussi silencieux qu’une feuille se déposant sur le sol. Cregan crut que l’assassin ne marchait pas, mais glissait à même le sol, tel un serpent. Un frisson d’excitation le traversa.
— La somme était bien celle convenue, commença l’assassin. Cependant, on m’avait promis un contrat solo. Je vois que nous sommes deux pour la même cible. Est-ce un travail d’équipe ou un duel ?
— C’est une compétition, répondit le Roi. Le ou la gagnante sera payée comme prévu, pendant que l’autre repartira bredouille.
L’assassin jeta un regard à sa rivale. Elle essuyait tant bien que mal ses lunettes à l’aide de sa manche.
— Très bien, ajouta-t-il. Donnez-moi trois jours.
Sans attendre quoique ce soit de plus, l’assassin salua le Seigneur et fit volte-face. Lorsque sa silhouette s’évapora derrière la porte d’entrée, Cregan se tourna vers la jeune femme :
— Et vous, mercenaire, avez-vous une remarque ?
— J’ai oublié.
— Pardon ?
— Cet homme masqué. Le troubadour. Je l’ai déjà rencontré, mais aucun moyen de me souvenir où et quand. Pourtant, j’ai une bonne mémoire pour les physiques atypiques.
Le Roi et son conseiller se regardèrent. Cregan haussa les sourcils et recentra le sujet.
— Est-ce que les termes du contrat vous satisfont ? Votre confrère est déjà en route et…
— Pas vraiment.
— Comment ça “pas vraiment” ?
La mercenaire s’avança d’un pas. Cregan remarqua que ce pas était lourd, manquait de grâce et de légèreté. La botte de la mercenaire s’était aplatie sur la pierre froide, provoquant un écho à travers la pièce. C’était tout sauf le pas d’une assassin silencieuse.
— Tout d’abord, le temps imparti. Je dirais plutôt une semaine. Je viens d’arriver alors j’aimerais prendre le temps de me rendre à la capitale afin de m’imprégner de la culture, visiter les lieux iconiques et tomber sur des endroits secrets mais charmants.
— Votre confrère vient de nous proposer trois jours pour réaliser la mission. Vous rendez-vous compte des enjeux ?
— Ensuite, cette histoire de tête ne me plaît guère. Je pense plutôt vous amener la personne entière.
La mercenaire s’avança encore de quelques pas. Quelques gardes présentèrent leurs armes mais Cregan leur fit signe de rester en position. La mercenaire porta son regard vers le Roi Malanj.
— Monsieur… Prince… Quel est votre… Puis-je demander la nature de votre relation avec la cible ?
— Vous n’avez pas besoin de connaître ce genre de détail, coupa Cregan. L’usurpatrice Vivian est une ennemie du Royaume et…
— Nous avons été amants, répondit le Roi. Nous avons été amis, puis amants.
— Ah ! s’exclama la mercenaire. En voilà une belle information ! Voyez-vous, je pense qu’il est important de ne pas négliger la diplomatie. Pourquoi en venir tout de suite à la violence ? Pourquoi ne pas discuter avant de couper des têtes ?
— Cette sorcière mérite la mort ! injuria Cregan.
— Qui sommes-nous pour décider de la mort de quelqu’un ? poursuivit la mercenaire. Qui êtes-vous pour prendre cette décision ? Majesté Seigneur, vous avez été intime avec cette personne, votre relation mérite mieux que de se terminer par l’un qui coupe la tête de l’autre non ? Certes, elle vous a chassé du trône par la violence, mais n’est-ce pas justement le moment pour s’écarter du cycle de la haine afin d’embrasser la paix et la sérénité ? Vous savez, les mots peuvent parfois accomplir de bien plus grands dessins que les coups. Ne pensez-vous pas que vos paroles pourraient amener le Royaume à une plus grande destinée qu’un vulgaire bain de sang ?
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La mercenaire termina son discours par un timide sourire qui releva légèrement ses lunettes positionnées de travers sur son nez. Le Roi Malanj fit mine de réfléchir, puis se redressa avant de fixer la mercenaire.
— Vous êtes bien la Récupératrice ? demanda-t-il.
— Oui. Enfin, c’est un des termes qu’on emploie pour décrire mon métier.
— On vous paye pour récupérer des choses contre de l’argent ?
— C’est exact.
— Alors je vous demande de récupérer la tête de cette despote. Ni plus. Ni moins.
La Récupératrice grimaça. Le Roi et son conseiller attendirent une réponse. Mais rien. La Récupératrice se gratta le nez, joua avec ses cheveux pour les remettre en place, et essaya avec ses yeux d’observer ses sourcils.
— Monsieur Roi, comment avez-vous eu mon contact ?
— Par Sygol, mon cousin de Malesvania.
— Mmmh, Sygol… Sygol… un grand type avec des cheveux roux ?
— C’est bien ça.
— Je ne vois pas qui c’est. Mais lorsqu’il vous a conseillé mes services, il vous a bien dit que je n’utilisais nullement la violence ?
— Il est vrai, mais je pensais que…
— Tut tut. Il n’y a pas de mais ! Donnez-moi maximum une semaine, et j’apporterai la tête de cette personne, mais accompagnée du reste de son corps. Ensuite, j’exigerai que vous discutiez.
Le Roi finit par accepter les conditions de la Récupératrice. De toute manière Cregan et lui doutaient de sa réussite, tant le gouffre séparant l’assassin et elle semblait infini. Avant de prendre congé de ses hôtes, la Récupératrice s’approcha d’un des murs de la salle. Elle sortit de son sac un objet blanc de petite taille, pas plus grand ni plus épais qu’un doigt.
— C’est une arme ? demanda le conseiller.
— Non, une craie. Ça ne se mange pas.
Elle dessina deux traits verticaux et parallèles reliés en leur sommet par un arc de cercle. Elle prit ensuite du recul, scruta son œuvre, puis y ajouta un autre petit cercle et quelques détails sur les contours.
— Peut-on demander ce que vous faites ? se permit une nouvelle fois le conseiller.
— Une porte, souffla la Récupératrice. Ça ne se voit pas ? D’habitude, je prends plus de temps pour faire un truc joli, avec des moulures, des angles droits à 90 degrés, mais je manque de magnésium et vous ne me donnez qu’une semaine pour mon travail, donc je m’adapte.
— À quoi cela sert-il ?
— Surprise. Ne l’effacez surtout pas. En tout cas, à l’aube du 6e jour, regardez à l’Est.
En sortant, elle demanda à un garde si elle ne l’avait pas déjà croisé quelque part. Le Seigneur et son conseiller restèrent sans voix.
La suite dans le chapitre 2.
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