La Récupératrice, chapitre 7 : la dernière guerrière

Publié le par François Faribeault,

©chariospirale

Découvrez notre saga de science-fiction qui parle cette semaine de la fin de l’humanité (mais pas la nôtre).

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En 2024, Konbini se lance dans la fiction. Chaque semaine, retrouvez sur le site un nouveau chapitre des aventures de La Récupératrice, une mercenaire de l’espace qui accomplit toutes ses missions avec bienveillance et tendresse. C’est imaginé et écrit par François Faribeault, journaliste bourré de talent, incroyablement sympathique et agréable à l’œil nu (ce n’est pas lui qui a écrit ce paragraphe).

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— R, je te le répète, rentre vite. On t’attend pour l’examen de permis spatial.
— Therissa, c’est un message de détresse. Je suis la seule dans cette partie de la Galaxie à l’avoir capté. Ces gens ont besoin de moi.
— Alors transfère-le aux secours les plus proches. Ils enverront une navette.
— Combien de temps mettront-ils pour débarquer ? Et si c’était si urgent qu’on ne pouvait pas attendre quelques jours de plus ?
— Et si leur sauvetage te prenait trop longtemps ? Ou pire, et si c’était un piège ?
— Je me suis fait la promesse d’aider quiconque dans le besoin. Écoute, j’y jette un œil. Si je vois que ça prend trop de temps, je délègue. Sinon, je sauve les gens et c’est réglé. Dans les deux cas, je serai à l’heure pour mon examen.

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R coupa son micro et se rendit en direction d’une planète à gravité élevée cachée derrière son soleil. Dans les registres de l’Empire, cette planète tellurique portait le nom d’Astre-460 et était classée comme primitive, observée mais jamais visitée. Cependant, il était impossible qu’une planète n’ayant pas entamé sa conquête spatiale puisse envoyer un message dans l’espace. Quelque chose n’allait pas. La Récupératrice demanda à l’Unicube de scanner la surface : atmosphère stable, environnement propice à la vie, trace de civilisation absente. Dans un souci de précision, R demanda si le radar percevait des signes de vie intelligente : 4.

C’était peu. Peut-être étaient-ce des animaux ou végétaux ayant atteint un stade de leur évolution jamais vu auparavant ? Après tout, l’intelligence était quelque chose de bien subjectif. R demanda de vérifier le nombre d’êtres vivants humanoïdes, c’est-à-dire issus du primate. L’Unicube et R croyaient en la théorie de l’évolution : 4.

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R réfléchit. Soit il existait sur cette planète quatre grands singes maniant le feu et la pierre ayant trouvé un moyen improbable de contacter l’espace, soit il subsistait les quatre derniers humains de la planète. R décida d’aller voir de ses propres yeux.

Fabriqué par la Récupératrice elle-même, l’Unicube était un bijou technologique aussi puissant que mystérieux. Si d’extérieur il était un énorme cube multicolore, son intérieur ressemblait à un vaisseau spatial des débuts de la conquête de l’espace, gris et vulgaire. R adorait son intérieur, il allait bien avec sa combinaison. Aussi, son alliage lui permettait d’entrer dans l’atmosphère sans faire ressentir quelconque gravité ou pression à sa pilote.

Du ciel, R ne distinguait ni de tentaculaire mégapole ni de paysages modifiés artificiellement, éléments généralement associés aux civilisations avancées. Ce monde semblait demeurer vierge de toute empreinte humaine. Les quatre survivants se trouvaient exactement au même endroit, ce qui venait soutenir la théorie de la fin de l’humanité. R se posa à l’abri des regards, afin d’observer la situation sans les effrayer. Therissa avait raison, il se pouvait que ce soit un piège.

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R s’attendait à découvrir un paysage post-apocalyptique, rasé par une guerre sans fin ou un désastre écologique, mais elle fut accueillie par une colline jonchée de fleurs de mille couleurs. Ce tapis de douceur se voyait accompagné de sons atypiques, que R distingua comme des lames s’entrechoquant et des coups de fusil. En contrebas, les quatre humains s’affrontaient : un homme avec des bras très longs et squelettiques, un autre ressemblant à un ours tant par sa corpulence que par sa pilosité, une femme musclée aux cheveux d’or et une femme beaucoup plus petite que les autres. Tous étaient armés. Tous se battaient les uns contre les autres dans un ballet de sueur et de sang. R descendit la pente.

La guerrière aux cheveux d’or tourna la tête et regarda en direction de la Récupératrice. Elle sourit. Empoignant son épée, elle se lança sur l’ours, évita son attaque pour lui asséner un coup à la jugulaire. Il mourrait dans quelques minutes. Le grand homme en profita pour la tenir en joue de son long fusil. Deux coups partirent mais la guerrière les évita d’un saut sur le côté. La petite femme en profita pour se jeter sur elle, lance en avant, mais la guerrière en brisa le manche d’une main avant de la transpercer. Du sang lui gicla sur le visage. Puis elle s’avança vers l’homme au fusil. Pris de panique, ce dernier lâcha son arme et tenta de s’enfuir. La guerrière fut plus rapide et, dans un dernier mouvement, lui trancha la tête.

L’affrontement terminé, le calme revint sur la plaine. La guerrière reprit son souffle, s’avança vers la Récupératrice, la regarda longuement, comme si elle attendait une réaction de sa part. Puis elle planta son arme dans le sol et s’agenouilla.
— Grande Déesse, j’ai accompli votre dessein.
La Récupératrice était encore sous le choc de la scène s’étant déroulée sous ses yeux. En se posant sur cette planète, elle s’attendait à tout sauf à trouver une mise à mort entre des membres d’une même espèce. R prit l’inconnue par les épaules et la releva.
— Je ne suis pas votre Déesse. Ma pauvre, pourquoi les avoir tués ?
— Parce que vous me l’avez demandé. Vous nous l’avez demandé à tous.
R demeura dubitative. Son instinct lui signalait que quelque chose n’allait pas sur cette planète. Il n’était pas normal qu’il ne reste qu’un seul être humain dans un monde qui n’avait pas subi de destruction massive. R sortit de son sac une serviette.
— Tiens, pour le sang sur ton visage. Quel est ton nom ?
— Gladys.
— À quelle époque êtes-vous ?
— La saison des pluies se termine et celle des fleurs débute.
Évidemment qu’elle ne savait pas à quelle époque elle se trouvait. Mais à la vue des armes utilisées, des vêtements portés et des croyances en un être supérieur, R estimait que cette civilisation s’était terminée à l’âge de la poudre à canon.
— Pourquoi ne reste-t-il que toi ?
— J’ai gagné.
— Gagné ?
— Gagné le droit de vous accompagner dans les Cieux. C’était la promesse. Votre promesse.
Quelque chose n’allait clairement pas. Mais R se rendit à l’évidence : une inconnue débarquant du ciel dans un objet inconnu et vêtue d’un habit d’un autre temps ne pouvait qu’être une déesse.
— Alors déjà, sache que je ne suis pas une déesse. Je ne suis pas la personne que tu crois que je suis, et je ne comprends pas ce qu’il se passe ici. Mais si tu te sens de le faire, je veux bien que tu me racontes tout depuis le début.
— Je vivais dans la capitale. J’étais gladiatrice. La meilleure du continent. Je vivais de mes victoires remportées dans l’arène. Un jour, votre visage est apparu dans le ciel. Il était gigantesque.
— Mon visage ?
— Je crois, oui. Je n’en suis pas sûre. Il n’est apparu qu’une seule fois dans le ciel alors c’est un peu flou. Il demandait que l’élu la rejoigne dans les Cieux. Pour le choisir, il fallait que tous les humains s’entretuent. Le dernier en vie deviendrait une divinité. Alors nous avons tous pris les armes. Les faibles sont vite tombés. Les seigneurs aussi. Le plus long fut de trouver les derniers adversaires, le monde est bien plus grand que je ne le pensais. Mais votre venue signifie que j’ai remporté la victoire. Je suis l’élue.

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R fut horrifiée. Son cœur se serra. Elle se mit à trembler. Elle ressentait toute la souffrance qui avait eu lieu ici, comme si la mémoire des défunts trouvait refuge en son sein. Cette émotion vint l’écorcher au plus profond de son âme. Quel esprit détraqué fallait-il posséder pour manipuler une espèce entière jusqu’à la mort de celle-ci ? R ne put supporter ce flot de malheur. Elle devait agir. Elle devait faire le Bien afin d’équilibrer la balance. Et vite.

R observa les mains de Gladys. Elles étaient abîmées par les nombreux combats qu’elles avaient dû subir pour survivre. Combien de vies ces mains avaient-elles enlevées ? R les prit dans les siennes et une lumière en jaillit. Les blessures commencèrent à s’estomper.
— Vous êtes capable de guérir ?
— Ces mains sont capables de bien des choses. Sauf de blesser.
— Vous êtes bien une déesse.
— Je te répète que non.
La Récupératrice révéla alors la vérité à Gladys. Elle lui expliqua que le monde qu’elle avait connu toute sa vie n’était qu’un grain de sable dans l’immensité de l’espace qui l’entourait. Qu’il existait d’autres mondes comme le sien, nommés planètes, avec d’autres êtres humains plus ou moins grands, plus ou moins de la même couleur, plus ou moins drôles, plus ou moins habillés.

À qui appartenait le visage qui avait scellé le sort de cette civilisation ? R n’en savait rien, mais elle comptait bien le découvrir. Son récit terminé, R décida d’emmener Gladys avec elle. La laisser seule sur cette planète aurait été inhumain. Gladys accepta sans hésitation, et même avec une joie non dissimulée.
— Tu as l’air d’accepter ces révélations avec aisance.
— Ma vie n’a été qu’un enchaînement de duels et de combats. Quand la Grande Déesse, ou quiconque était-ce, nous a ordonné de nous battre, je n’y ai vu que la suite de ma vie. J’étais la meilleure dans l’arène, je devais devenir la meilleure du monde. Maintenant, je veux devenir la meilleure de ce que tu appelles “la Galaxie”.
— Tu comptes encore te battre ?
— Bien sûr ! Je suis heureuse de savoir que ma quête n’est pas terminée et que j’ai encore des choses à prouver. Je ne vis que pour ça. Je ne vis que pour être la plus forte.
R se demanda alors si c’était une bonne idée de la laisser voguer dans l’espace en solitaire. Alors, elle prit une nouvelle décision. Gladys l’accompagnerait partout où elle irait. Elle qui n’avait connu que la violence et la guerre connaîtrait un univers où il est possible de parvenir à ses fins grâce à la compassion et la diplomatie. La Récupératrice était bien décidée à tout faire pour aider Gladys à ne pas atteindre son rêve.

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La suite dans le chapitre 8.

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