En 2024, Konbini se lance dans la fiction. Chaque semaine, retrouvez sur le site un nouveau chapitre des aventures de La Récupératrice, une mercenaire de l’espace qui accomplit toutes ses missions avec bienveillance et tendresse. C’est imaginé et écrit par François Faribeault, journaliste bourré de talent, incroyablement sympathique et agréable à l’œil nu (ce n’est pas lui qui a écrit ce paragraphe).
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Cette accolade, R avait du mal à en ressentir la chaleur. Pourtant, elle savait que le but d’un tel acte existait dans le réconfort et l’accueil qu’il offrait à l’autre personne. L’absence de barrière physique créait une bulle d’entre-soi faisant écho à un retour à la maison et ce foyer, bien que fictif et éphémère, renforçait le lien entre les deux individus. Mais R ne sentait rien. Ce câlin, elle l’acceptait avant tout parce que c’était son amie. Après plus d’un mois de missions à risque, elle avait dû s’inquiéter de son état. Et puis, elle était sa seule amie, elle devait bien en prendre soin.
D’extérieur, ce câlin paraissait convivial, mais pas autant que le hall où elles se tenaient. Lorsque R se détacha de son amie, elle remarqua chez elle un look encore plus apprêté que la dernière fois, une combinaison lisse de couleur sombre mais apaisante, tout l’inverse de son pantalon et sa chemise dépareillés.
— Tu as reçu le transfert ?
— Oui, tu n’as pas chômé ce mois-ci, R. Avec cet argent, on va bien avancer sur le nouveau centre.
— Tant mieux, j’ai hâte de te raconter mes aventures.
R savait que les histoires qu’elles partageraient se tiendraient à ce dont elle se souvenait et que son amie aurait la décence de ne pas demander si elle avait oublié des éléments. Elle accepterait tel quel tout ce qui sortirait de la bouche de R, que le souvenir soit vrai ou abîmé. Elle était son amie.
— Tu sais pour quelle raison Tournesol m’a convoquée ?
— Derrière cette porte, ce sera “Impératrice Tournesol”, ou “Votre Majesté”. Non, je ne sais pas. D’habitude, elle passe par moi pour te contacter.
— Dois-je m’inquiéter ?
— On va vite avoir la réponse.
L’amie de R remit en place le col de sa chemise et passa sa main sur le vêtement pour en effacer les pliures les plus tenaces. Elle se permit même de remettre en place quelques mèches rebelles. À la mémoire de R, elle était la seule personne autorisée à la toucher d’aussi près. Elle était son amie.
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Lorsqu’elles entrèrent dans la salle du trône, R redécouvrit avec surprise à quel point cet endroit était simple et impersonnel. C’était la pièce la plus importante du monde, l’épicentre du pouvoir d’une civilisation régnant sur plus de la moitié de la Galaxie et, pourtant, elle ne dégageait rien d’impérial. Certes on y trouvait du bleu azur et du bronze sur quelques décors, mais c’était uniquement pour respecter la charte graphique. Contrairement à bien des royaumes visités sur des planètes plus isolées, l’identité et l’aura de l’Empire ne tenaient pas dans un affichage de minerais rares et scintillants sur les murs, de mobiliers et objets issus d’ennemis vaincus ou de soldats armés jusqu’aux dents protégeant leurs dirigeants. Sa force résidait dans sa sobriété, son écoute et sa prévenance, d’où son nom d’Empire bienveillant. À son sommet, se tenait l’Impératrice Tournesol.
Cependant, devant R et son amie, assis sur le trône, se tenait un enfant. Respectant la coutume, l’amie invita R à s’agenouiller devant cette nouvelle autorité. R remarqua que les pieds de l’enfant ne touchaient pas le sol.
— Votre Majesté.
— Mesdames, relevez-vous, commença le jeune homme. Je peux comprendre un certain désarroi de votre part. Vous attendiez l’Impératrice et c’est un adolescent qui vous fait face. Je suis son fils. Je suis l’Empereur Tournesol.
La Récupératrice n’avait jamais entendu parler d’un héritier au sein de la famille impériale. Ou peut-être l’avait-elle oublié. Elle décida de laisser faire son amie, plus habituée à cet exercice où les divergences d’une mercenaire pacifique n’avaient plus leur place.
— Permettez mon indiscrétion, Votre Majesté, mais nous avons reçu une invitation de l’Impératrice. Qu’en est-il de sa présence ?
— L’Impératrice est morte. Elle a été assassinée.
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La Récupératrice tomba des nues. Elle croisa le regard de son amie qui, elle aussi, paraissait tout aussi choquée. L’Impératrice régnait depuis si longtemps et était si forte qu’il paraissait impossible qu’elle puisse mourir. Surtout assassinée.
— Vous êtes la Récupératrice ? demanda l’Empereur qui n’avait pas quitté des yeux ses invitées.
— C’est exact.
— Et cette femme, qui est-elle ?
— Monsieur l’Empereur, je vous présente Therissa. Vous ne la connaissez pas, mais votre mère si. Elle est mon am…
— Je suis la tutrice de la Récupératrice, la coupa Therissa en lui posant la main sur l’épaule. C’est moi qui fais… faisais le lien entre l’Impératrice Tournesol et la Récupératrice lors de son règne.
Le visage de l’Empereur s’éclaircit. Il lâcha un rire discret.
— Aaah oui, je me souviens de vous, ma mère m’en parlait souvent. Excusez-moi, j’ai beaucoup de choses à gérer en ce moment, j’avais oublié qu’en ces terres, la Récupératrice était toujours accompagnée.
L’Empereur se leva et fit les cent pas. Pour la Récupératrice, il parut encore plus petit. L’Impératrice étant plutôt de grande taille, elle pensa immédiatement qu’il devait tenir ça de son père. Si tant est qu’il était né d’un père et d’une mère.
— Vous étiez proches de ma mère, n’est-ce pas ?
— C’est exact, répondit Therissa.
— Lors de votre dernière rencontre, vous ne vous êtes entretenues que toutes les trois, c’est bien ça ?
— C’est exact.
— Combien de temps êtes-vous restées sur Champp ?
— La Récupératrice est partie trois jours plus tard pour un contrat. Je suis restée deux jours de plus afin de m’occuper de quelques affaires administratives pour Clairri, la planète dont nous nous occupons toutes les deux. Nos données de séjour ont été vérifiées.
— Ma mère a été retrouvée morte trois jours après votre entrevue.
R se moquait bien des officiels, gouverneurs et autres personnalités puissantes, mais Therissa lui avait toujours dit de ne jamais faire un pas de travers avec l’Impératrice. Elle supposa qu’il devait en être de même avec l’Empereur. Ici, les divergences d’une mercenaire pacifique n’avaient plus leur place. Alors, elle ne bougea pas d’un cil et fit confiance à son amie.
— Suspectez-vous la Récupératrice ?
— La police est chargée d’interroger toute personne qui a posé le pied sur la Planète-Capitale le mois passé. Mais il me semble que vous deux possédez un statut particulier. Du temps de ma mère, vous ne répondiez qu’à elle. Il va donc de soi que ce soit moi qui vous interroge.
Therissa croisa le regard de la Récupératrice. Elle lui sourit, comme pour lui dire que tout irait bien, comme si elle s’était préparée pour ce moment depuis bien longtemps.
— Je comprends vos doutes sur la Récupératrice. Mais voyez-vous, cela fait des années qu’elle travaille pour l’Empire et plus particulièrement pour l’Impératrice. Sa défunte Majesté, la Récupératrice et moi, avons créé un lien de confiance très fort et maintes fois nous nous sommes rencontrées de façon officieuse dans des lieux peu voire pas protégés. Si la Récupératrice avait souhaité mettre fin aux jours de l’Impératrice, elle aurait pu profiter de nombreux moments, à l’écart de tout témoin, même moi.
— Et son vaisseau ? Il est toujours impossible pour la sécurité de Champp d’en scanner l’intérieur. C’est un véritable angle mort pour nos systèmes.
— Il est vrai qu’aucune machine ne peut inspecter l’Unicube. La seule manière d’y entrer est d’être invité par la Récupératrice elle-même. C’est pourquoi à chaque fois que l’Unicube se pose sur un quai, une équipe spéciale est invitée à en vérifier l’intérieur. Malgré les années, ce rituel est resté intact.
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L’Empereur se rassit et souffla. Il réfléchit. Longtemps. Enfin, trop longtemps pour la Récupératrice. Elle sentait que jamais elle ne pourrait apprécier ce nouvel Empereur. Déjà qu’elle n’aimait pas les enfants, si en plus ils avaient un pouvoir de vie et de mort sur elle, c’était peine perdue. De plus, ses pieds ne touchaient pas le sol, alors que ceux l’Impératrice avait toujours été bien ancrés dans le parquet de la salle du trône et ce à chacune de ses visites. La Récupératrice adorait les vieilles personnes. Quand elle y pensait, elle ne savait pas si c’était plus pour leur sagesse, leurs rides qui dégoulinaient d’histoire, ou leurs gestes très lents qui faisaient parfois obstacle à la notion elle-même de temps. En tout cas, parmi tous les vieilles et vieux de la Galaxie, l’Impératrice avait été l’une de ses préférées.
— Ça s’est bien passé, non ? demanda R en sortant de la salle. Tu t’en es très bien sortie, ton éloquence m’inspire toujours autant.
— Toi, tu n’as pas écouté la fin de la conversation. Terminées les rencontres à trois, il va falloir gagner la confiance de l’Empereur. Il t’envoie sur la bordure de l’Empire pour renforcer les systèmes frontaliers. Il a peur des retombées qu’engendre la mort de l’Impératrice, surtout avec les civilisations encore fidèles aux Grands Dieux. Il n’est pas fait pour diriger. D’ailleurs, Kalindi me parlait beaucoup de son fils. Il est très intelligent mais solitaire. Être au pouvoir ne lui convient pas.
— C’est plutôt une bonne chose, alors. Les personnes qui souhaitent le pouvoir sont amenées à être corrompues.
— Le problème, c’est qu’il te suspecte toujours. Il va falloir que tu fasses attention ces prochains mois.
— Reçu cinq sur cinq, coach. Ne t’inquiète pas, je vais assurer, et nous ramener pas mal d’argent impérial. L’Empire a l’air d’adorer me payer pour le travail qu’il est censé faire lui-même.
Therissa ne réagit pas. Pourtant, R trouvait sa blague plutôt subtile. Elle vit alors son amie s’essuyer les yeux pour retirer quelques larmes. D’autres coulaient le long de ses joues. La mort de l’Impératrice ne touchait pas les gens de la même manière. R demeura silencieuse.
Une fois à l’extérieur et respirant enfin l’air frais de la Planète-Capitale, Therissa reprit la parole :
— Tu m’accompagnes sur Clairri ? Tu sais, nombre de réfugiés veulent rencontrer leur sauveuse.
— C’est vrai, oui, mais je ne suis pas à l’aise avec ces trucs-là.
— Allez, fais un effort, ça fait des mois que je leur dis que tu vas passer.
— Tu viens de dire que je devais gagner la confiance de l’Empereur, donc ce n’est pas le moment de me la couler douce.
— Bizarrement, ta mémoire fonctionne très bien quand il s’agit de fuir tes responsabilités, taquina Therissa.
R répéta la réplique de Therissa de façon moqueuse et les deux rirent. Puis, après qu’elles ont dîné ensemble, R se rendit à son Unicube, prête à conquérir l’espace de sa compassion. Ainsi débutèrent dans un flou chronologique les aventures de la Récupératrice pour récupérer de l’argent et sauver l’Empire.
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La suite dans le chapitre 6.
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