En 2024, Konbini se lance dans la fiction. Chaque semaine, retrouvez sur le site un nouveau chapitre des aventures de La Récupératrice, une mercenaire de l’espace qui accomplit toutes ses missions avec bienveillance et tendresse. C’est imaginé et écrit par François Faribeault, journaliste bourré de talent, incroyablement sympathique et agréable à l’œil nu (ce n’est pas lui qui a écrit ce paragraphe).
Publicité
Avant que Clairri devienne une planète refuge où l’opprimé et l’orphelin pourraient commencer une seconde vie, Therissa prit soin de choisir une région éloignée de toute civilisation afin d’y construire sa maison. Ainsi, sa demeure fabriquée dans le respect des ressources offerte par la nature s’étendait au sommet d’une colline, à l’orée d’une forêt. Elle avait choisi ce lieu car depuis son porche, assise confortablement sur sa chaise à bascule, elle pouvait observer à ses pieds une rivière, accompagnée en fond par une vallée, éclairée chaque soir par un soleil couchant. Pour Therissa, il y avait dans ce tableau tous les éléments lui permettant d’apaiser ses pensées.
Publicité
Après une longue journée à gérer les problèmes administratifs des récents villages fondés sur Clairri, Therissa se prépara pour son moment de repos. Elle prit avec elle à manger, un plaid pour ses jambes, et le roman qu’elle était sur le point de terminer.
Elle n’eut pas le temps d’ouvrir son livre qu’elle vit en contrebas se poser l’Unicube. Elle sourit. Therissa ne comptait plus les fois où elle avait invité R à lui rendre visite sans que celle-ci ne daigne montrer le bout de son nez. Comme quoi cette réinitialisation de mémoire avait été une bonne idée.
Publicité
Therissa quitta son porche et descendit la colline pour accueillir son amie. R sortit du vaisseau, mais elle n’était pas seule. Lorsque Therissa devina la silhouette de Gladys, son sourire disparut.
— R, qu’est-ce que c’est que ça ? Sais-tu qui elle est ?
— Thara ! intervint Gladys en posant la main sur le pommeau de son sabre. Sale traîtresse ! Je savais que c’était toi qui te cachais derrière tout ça.
— Gladys, tu ne bouges pas ! cria R encore plus fort. Tu me laisses gérer et tu restes en retrait ! Je ne me répéterai pas !
Gladys recula immédiatement d’un pas. Therissa fut tout aussi surprise et se figea. R retrouva son calme et reprit la conversation :
— Therissa, je suis désolée, je ne répondrai pas à tes interrogations. Mais vu ta question, je suppose que tu sais qui est Gladys. Elle m’a tout raconté.
— Comment ça ?
— Non, attends, Therissa. Laisse-moi faire les choses à ma manière. Mes pensées sont emmêlées, j’ai besoin de mener cette discussion pour comprendre du mieux possible ma situation.
Alors, R partagea mot pour mot les dires de Gladys. Si elle doutait de chacun de ses souvenirs, sa dernière discussion avec Gladys restait gravée comme dans du marbre. Quant à la guerrière, elle préféra rester en retrait, en silence.
— Voilà, tu sais tout. Mais tu vois, toute cette vérité ne provoque aucune étincelle chez moi. Rien. Aucun rideau ne s’ouvre sur une identité cachée ou une mémoire enfouie. C’est pour ça que j’ai besoin d’entendre ta version. Ta vérité. Qui suis-je vraiment, Therissa ?
Therissa observa le visage de son amie. Bien loin de la colère, elle y lisait une certaine peine. Elle aurait voulu l’inviter sur sa terrasse pour discuter calmement, mais elle était accompagnée de Gladys. Elle se résolut à tout révéler ici, à même la pente qui la positionnait un cran plus haut que la Récupératrice, comme si elle la dominait.
Publicité
— Ton vrai nom est Ana. Je crois que c’est un diminutif d’un prénom plus long, mais je n’en suis pas certaine. Elle, c’est Calice, pas Gladys. Quant à moi, je m’appelle Thara. Nous trois faisions partie du groupuscule nommé les Grands Dieux.
Enfin, des “Grands Dieux”, c’est ce que nous prétendions être. En réalité, nous n’étions que de simples mortels ayant chacun grandi sur des planètes quelconques. Sur les milliers de milliards de vies peuplant l’espace, dix-neuf ont réussi l’inimaginable, celui de trouver un moyen de tromper la mort. Je fis partie des premières à obtenir la vie éternelle. Calice, des dernières. Toi, tu es la 13e. La pire de toutes.
Avant ton arrivée, nous régnions en paix sur une partie de la Galaxie. Notre peuple croyait en nous et c’est avec autorité et bienveillance que nous dispensions de notre expérience et savoir millénaire.
Puis, on t’a trouvée. Tu étais seule, sur une planète éteinte, l’esprit endormi. Il était évident que tu étais immortelle, alors nous t’avons accueillie. Très vite, tu t’es montrée instable, incapable de gérer tes émotions. Nous avons tenté de te contrôler. Impossible. Tu étais trop forte, tu n’en faisais qu’à ta tête. Le pire, c’est que nous t’avons suivi. Par peur ou par conviction, on a fait de toi notre Reine. Les êtres immortels que nous avons découverts par la suite ont voué un culte à ta personne. Calice y compris.
Les temps ont changé. Le règne pacifique des Grands Dieux est devenu celui de la tyrannie. La Galaxie était en feu. Toute civilisation qui osait élever la voix contre nous connaissait son extinction. Au-delà d’une Reine, tu étais devenue une arme de destruction massive. Au moindre caprice, tu éradiquais des centaines, voire des milliers de vies, sans aucun remords.
Avec Calice, vous vous amusiez à faire apparaître vos visages dans le ciel de planètes primitives afin d’obliger leurs habitants à se battre pour une place qu’ils n’obtiendraient jamais. Vous forciez des peuples alliés aux Grands Dieux à s’affronter dans des guerres fratricides uniquement car vous aviez parié sur l’un ou sur l’autre.
La Galaxie entière avait peur de toi.
Un jour, sur un énième caprice, tu commis le pire planéticide jamais connu dans l’Histoire : les 52 milliards de vies peuplant la planète que tu avais choisie comme domicile s’éteignirent en une nuit sous tes mains destructrices. On ne savait plus où était ta limite, autant dans ta cruauté que dans ta puissance. Tu étais inarrêtable. Je devais trouver un moyen de stopper ta folie meurtrière. Alors j’ai décidé de m’allier aux rebelles menés par l’héroïne Kalindi Tournesol. Ce fut le début de l’événement connu comme la Chute.
Calice dira que j’ai trahi les miens, mais la vérité, c’est que nous étions uniquement unis par la soif de pouvoir. Nous étions tellement intoxiqués par notre immortalité que nous ne remarquions même plus que notre temps était arrivé à son terme.
Pour tuer un immortel, il faut connaître le secret qui le lie à la vie éternelle. On appelle ça un serment. Pour certains, ça peut être un sentiment de vengeance, pour d’autres un objet à garder près de soi. En fait, c’était avant tout une promesse faite entre notre âme et un élément extérieur.
Je connaissais tous les serments de mes confrères et consœurs. Sauf le tien, Ana. Pourtant j’ai cherché. On a tous cherché. Connaître le secret de l’autre, c’était se protéger. Mais rien sur toi. J’ai passé plusieurs siècles à tes côtés mais jamais je n’ai eu une once d’indice quant au secret de ton immortalité. Ni même pour tes autres pouvoirs, les mains divines et l’intangibilité. Personne ne sait quand tu es née, ni d’où tu viens, ni ce que tu es vraiment. Personne ne le saura jamais. Même toi.
Ton seul point faible était ta mémoire. Alors on a misé là-dessus. Il fallait qu’on te pousse à rester un temps indéfini dans ton état d’intangibilité.
Depuis le planéticide, tu vivais sur un cimetière. Alors, on a fait sauter ta planète. Pour se protéger, ton corps se mit en état d’intangibilité. On t’a laissé flotter dans le vide spatial, nos vaisseaux empêchant quiconque de venir te récupérer.
Un an après, nous avons décidé d’agir. Nous t’avons réveillée, espérant qu’une partie de tes souvenirs avait disparu. Les résultats ont dépassé nos espérances. L’entièreté de ta mémoire s’était évaporée. Tu étais une page blanche, prête à devenir une toute nouvelle personne.
Deux choix s’offraient au nouvel Empire Bienveillant : t’enfermer dans une pièce pour l’éternité ou tenter de te changer. Nous avons opté pour la seconde option. Je fus garante de ton comportement et de ta rédemption et je répondais directement et uniquement à l’Impératrice. Nous avons trouvé une planète vierge de toute vie pour y construire un refuge. Puis notre mission a débuté.
Il t’a fallu peu de temps pour te montrer compétente dans ton domaine : sauver des vies. Hélas, de temps en temps, tes souvenirs s’entremêlaient. Tu perdais pied et questionnais ton identité, alors, nous avons mis en place un protocole permettant de réinitialiser ta mémoire. Ça a fonctionné à merveille pendant des décennies, mais cette fois-ci, quelque chose a changé. Je pense que l’apparition de Calice dans ta vie en est la raison principale. Nous voici donc réunies aujourd’hui, toutes les trois.
Thara s’arrêta là. Peut-être avait-elle oublié des détails mais le plus important avait été révélé. La boucle était bouclée. Ana tomba à genoux. Des larmes s’échappèrent de ses yeux.
La suite dans le chapitre 20.
Publicité
Retrouvez tous les chapitres dans la rubrique La Récupératrice.