La Récupératrice, chapitre 10 : le manoir hanté

Publié le par François Faribeault,

©chariospirale

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En 2024, Konbini se lance dans la fiction. Chaque semaine, retrouvez sur le site un nouveau chapitre des aventures de La Récupératrice, une mercenaire de l’espace qui accomplit toutes ses missions avec bienveillance et tendresse. C’est imaginé et écrit par François Faribeault, journaliste bourré de talent, incroyablement sympathique et agréable à l’œil nu (ce n’est pas lui qui a écrit ce paragraphe).

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— zepofkjzadckazd. gfkicgiucjgvhck. coisdopfkqosd.
Cette histoire n’est pas faite pour les âmes sensibles. Cette histoire n’est pas faite pour celles et ceux effrayés par l’obscurité. Cette histoire n’est pas faite pour celles et ceux dont le sommeil est difficile à trouver. Cette histoire n’est pas faite pour celles et ceux dont le cœur est fragile. Car cette histoire nous plonge dans les tréfonds de ce qui se fait de pire chez l’être humain.

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— zepofkjzadckazd. gfkicgiucjgvhck. coisdopfkqosd.
Ces mots étaient un piège. Quiconque s’approchait du manoir sur la falaise se risquait à les entendre. Et quiconque les entendait était voué à mourir. On disait ces mots prononcés par le fantôme du Comte, un homme qui avait fini sa vie dans une solitude infinie et un désespoir inimaginable, et qui tentait par ces mots d’attirer de la compagnie. C’est ce qui arriva à Ambre.

Ambre était une jeune fille courageuse et espiègle. Elle adorait les aventures, elles lui permettaient de s’évader de sa triste vie. Ainsi, chaque matin, avant que son alcoolique de père ne se réveille pour la tabasser, elle fuyait la maison à la recherche d’un nouvel endroit à explorer. Un jour, à l’orée d’un bois, elle tomba sur un gigantesque manoir prostré sur le bord d’une falaise.
— zepofkjzadckazd. gfkicgiucjgvhck. coisdopfkqosd.
Bien que lugubre, le manoir lui murmura de s’approcher. Bien qu’en ruine, le manoir lui promit des trésors. Quand sa main tourna la poignée de la porte d’entrée, son sort fut scellé.

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L’âme torturée par les esprits qui y régnaient, Ambre perdit la vie dans d’atroces souffrances. Mais au-delà de la douleur, c’est un sentiment de haine qui la marqua au fer rouge. Pourquoi devait-elle mourir alors qu’elle n’était qu’une enfant ? Pourquoi elle et pas son père ? Pourquoi punir l’insouciance de l’enfance plutôt que la violence du père ? Pourquoi châtier le courage et la curiosité plutôt que la maltraitance et la cruauté ? C’était injuste. Condamnée à errer sous forme d’un spectre dans les couloirs du manoir aux côtés de ses nouveaux frères, Ambre décida de s’accrocher à cette rage. Elle avait payé pour rien. Les prochains paieront aussi.

Sa nouvelle victime se tenait devant elle, immobilisée par l’effroi. Afin d’épicer l’âme avant de la dévorer, Ambre fit fondre son visage, révélant des orbites vides et une mâchoire difforme. Du sang noir débordait de ses cavités et laissait une traînée derrière chacun de ses pas. Il ne restait qu’à faire sentir son haleine putride pour compresser l’âme de sa proie en un seul sentiment : la peur. Puis elle se rassasierait.

Ambre ne comprit pas quand un objet lui passa au travers. Elle ne subit aucun dégât mais dû prendre quelques secondes pour reprendre sa forme de revenant. Elle remarqua que cet objet était une épée. Elle en avait déjà vu par le passé, certains soldats en utilisaient. Avant qu’elle puisse de nouveau se mettre en scène, la lame la traversa une nouvelle fois, cette fois-ci au niveau du cou.
— Je te dis que ça ne sert à rien d’essayer de trancher un fantôme. C’est le concept même du fantôme.
— Oui je sais, désolée. J’ai promis d’être non violente sur cette mission, mais ça valait le coup d’essayer, non ? Ma lame est capable de couper des démons, pourquoi pas une gamine transparente avec une forte acné ?

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D’un geste du bras, R baissa l’arme de Gladys. De l’autre, elle tenait dans sa paume son Unicube, éclairant le couloir que son amie et elle tentaient de traverser sans que Gladys ne s’arrête à chaque rencontre pour tester sa lame.
— En fait, c’est un peu comme ton pouvoir, non ? Toi aussi, tu deviens un fantôme. En quelque sorte.
— Pas vraiment. Mon intangibilité fonctionne de deux manières. Si je l’utilise sur un court instant, elle fonctionne comme un saut, ou une accélération succincte. Mon corps quitte la réalité pour y revenir quelques secondes après, ce qui me permet de franchir un mur ou éviter un coup fatal. Mais si je reste plus longtemps dans cet état, alors… Arrête de passer ton arme à travers cette enfant, ça ne sert à rien ! Il faut ressentir de la peur pour activer toute forme de contact.
— Mince, j’aimerais tellement avoir peur !
— Oui, mais nous ne sommes pas là pour ça. Donc range ton épée pour le reste de la mission. On doit trouver le Comte. C’est lui, la source de tout ce mal. Suivons les murmures.

— zepofkjzadckazd. gfkicgiucjgvhck. coisdopfkqosd.
Pendant leur marche jonchée d’esprits en colère, R et Gladys en profitèrent pour discuter de sujets allant de la naissance d’une étoile à la texture d’une combinaison spatiale, en passant par l’acier-monde dans lequel avait été forgée l’épée de Gladys. Plus elles avançaient, plus les murmures s’intensifiaient.
— Pourquoi tu travailles pour l’Empire ?
— Je travaille en partie pour l’Empire. Ma meilleure amie et moi avons un projet : faire d’une planète, Clairri, un lieu où la guerre, la violence et la haine n’existent pas. On y invite tous les peuples opprimés ou en voie d’extinction à venir se réfugier. L’Impératrice soutenait ce projet, alors depuis, je remplis quelques contrats pendant que Therissa gère tous les trucs administratifs sur Clairri.
— Comment vous avez fait pour contacter directement l’Impératrice ?
— Je ne sais plus trop. Je crois que Therissa possède un réseau assez large. En tout cas, ça nous a bien sorties de la panade.
— Quelle panade ?
— Je ne sais plus trop. Ah ! Nous y voilà. Cet escalier doit mener directement à la chambre du Comte. Ils aiment bien vivre dans les tours et tout.

À l’étage, les murmures s’étaient stoppés. R ouvrit doucement la porte pour découvrir la dernière pièce du manoir, habillée de tapis, tableaux, d’un lit et d’une cheminée allumée. Le fantôme du Comte se trouvait à genoux au milieu de la pièce. Il semblait prier, son corps transparent flottant à quelques centimètres du sol. Ce lieu paraissait être le plus calme de la demeure.

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Lorsque R et Gladys avancèrent, la porte se referma. Le Comte releva la tête, tendit la main et cria les mots que les murs chuchotaient depuis leur arrivée.
— ZEPOFKJZADCKAZD. GFKICGIUCJGVHACK. COISDOPFKQSD.
Tous les esprits apparurent et envahirent la chambre. Ils volaient dans tous les sens, traversant les murs pour réapparaître du plafond et du plancher. Les fenêtres éclatèrent, accompagnées d’un vent violent raflant meubles et tableaux. R et Gladys ne pouvaient réfléchir, et encore moins communiquer. Un fantôme passa à travers Gladys et celle-ci tomba à genoux.
— Les salauds ! Ça fait mal !
— Ils te transmettent leur douleur. Tu dois faire la paix en toi pour ne pas la ressentir.

Gladys se boucha les oreilles et fit tout pour se retenir de dégainer son épée. De son côté, R avança dans la tempête en direction de sa cible. Le Comte criait de plus en plus fort ses mots, et donnait l’impression qu’il allait en faire exploser sa voix.
— ZEPOFKJZADCKAZD ! GFKICGIUCJGVHACK ! COISDOPFKQSD ! ZEPOFKJZADCKAZD ! GFKICGIUCJGVHACK ! COISDOPFKQSD !

En s’approchant, R distingua sur le visage noirci de solitude du Comte des larmes. Elle comprit qu’à la colère du Comte se mélangeait de la tristesse. Lorsque sa main entra en contact avec celle du fantôme, le temps s’arrêta. Le Comte fixait le vide mais ses mots devinrent enfin compréhensibles.
— J’ai peu de temps. Ceci est mon histoire. Mon nom est Zel-Hymia. Dans une époque lointaine, mon pouvoir m’a permis de devenir un Grand Dieu. Je m’estimais si chanceux de faire partie de la plus haute autorité de la Galaxie. Mon mari, ma fille et moi avons vécu nos plus belles décennies.
Puis il y eut la Chute. Les Grands Dieux ont été chassés et tués. On a tué mon mari et ma fille. Je me suis caché ici, sur ma planète natale. Et j’ai erré. Ce n’est pas la solitude qui m’a emporté, mais la colère. La colère d’avoir perdu les gens que j’aimais alors qu’ils ne le méritaient pas. Mon serment aurait dû me rendre heureux, non l’inverse. Ce qu’ils ont subi est injuste. Le monde est injuste. J’aimerais juste me reposer.

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R sut ce qu’elle devait faire. La colère du Comte était un aimant pour les autres esprits, faisant de ce lieu un nid à sentiments obscurs. Elle allait mettre fin à ce chaos. Elle porta la paume de sa main au niveau du cœur du Comte.
— Zel-Hymia, votre douleur s’arrête ici. Vous n’avez plus à souffrir. Rejoignez votre mari et votre fille.
Le Comte se détendit. Le vacarme cessa, la tempête se calma et les autres esprits, dont Ambre, commencèrent à disparaître. Même sous sa forme spectrale, le Comte semblait reprendre des couleurs. Lorsque R posa sa main sur sa joue pour en essuyer les dernières larmes, le visage du Comte s’illumina. Il plongea son regard dans celui de la Récupératrice.
— Ana ? C’est toi ?

Surprise, R retira brusquement sa main. Le Comte commençait lui aussi à se dissiper.
— Ana ? C’est bien toi, je ne rêve pas. Tu es en vie. Tu m’avais manqué. Tu avais promis de…
Avant qu’il ne puisse terminer sa phrase, les restes du fantôme du Comte s’évaporèrent. Tous les autres esprits rejoignirent l’au-delà, et le manoir devint une simple demeure abandonnée. Gladys se releva et vint au chevet de son amie.
— R, tu vas bien ?
— Il m’a appelée Ana.
— C’est quelqu’un que tu connais ?
— Non. Ça devait être son mari. Ou sa fille. L’amour qu’il ressentait à leur égard a résonné en moi. Ce Comte était l’un des Grands Dieux, mais il était avant tout un homme aimant. Gladys, tu es sûre que c’était bien une demande de mission officielle ?
— Je ne sais pas. Le joyau vert, ça signifie que c’est une mission ?
— Le bouton vert signifie que c’est un appel de détresse. Plus jamais je te laisse les commandes du vaisseau en mon absence.

La suite dans le chapitre 11.

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