La photographe états-unienne Annie Leibovitz appelle à “ne pas être timide” face aux nouveaux outils technologiques dont il faut “apprendre à se servir”. L’intelligence artificielle, le numérique ? “Cela ne m’inquiète pas du tout”, assure la portraitiste de renommée mondiale lors d’un entretien à l’AFP. “Nous avons une nouvelle palette d’outils à notre disposition pour aboutir à de nouvelles formes de présentations. Il ne faut pas être timide. À chaque progrès technologique, il y a des hésitations, des inquiétudes. Il faut simplement franchir le pas et apprendre à s’en servir”, a fait valoir la photographe installée comme membre associé étranger de l’Académie des beaux-arts, à qui Anna Wintour, directrice éditoriale de Vogue, a remis son épée d’académicienne.
Publicité
“C’est un grand honneur, mais c’est un honneur encore plus grand pour la photographie”, a déclaré Annie Leibovitz lors de son installation comme membre associé étranger de l’Académie des beaux-arts qui avait lieu à l’Institut de France. Elle a aussi rappelé que “l’Académie est venue tard à la photo, c’est un nouvel art pour elle, elle a accueilli en son sein un photographe pour la première fois en 2004”. “J’aime être derrière la caméra, pas devant. Mais à un moment on réalise qu’il faut franchir une étape et être là pour la prochaine génération d’artistes et de photographes. Après plus de cinquante ans de carrière dans la photographie, je crois que cela coïncide”, affirme-t-elle, à 74 ans.
Publicité
Les quais de Seine abritant l’Institut de France lui rappelaient des souvenirs. “Quand j’étudiais la photo, Cartier-Bresson était l’un de mes héros. Donc, être ici, à quelques pas du Pont-Neuf qu’il aimait photographier, c’est quelque chose pour moi”, confie-t-elle. Lorsque l’artiste états-unienne habitait à Paris avec l’écrivaine Susan Sontag, sa compagne de la fin des années 1980 à sa mort en 2004, “nous passions devant l’Institut de France [qui abrite l’Académie] tout le temps. Je ne savais pas ce qu’était ce bâtiment, Susan oui, probablement”, confie l’artiste.
Portraitiste star des grands noms
Née le 2 octobre 1949 au sein d’une famille de six enfants, la photographe originaire du Connecticut découvre sa vocation quand sa mère lui offre son premier appareil. Avant de devenir la portraitiste attitrée des stars, elle débute, à la fin des années 1960, avec des reportages pour le magazine Rolling Stone. Elle en deviendra plus tard la responsable photo. La photojournaliste fera plus de 140 fois la une du magazine, et immortalisera la reine Élisabeth, Barack Obama, Kim Kardashian et tout ce que Hollywood compte de gens célèbres.
Publicité
Elle a également signé la photo de John Lennon nu, enlaçant sa compagne Yoko Ono, pour Rolling Stone. Pris quelques heures avant l’assassinat de l’ex-membre des Beatles, ce cliché “n’existe que parce que je les connaissais depuis dix ans. Une photo, c’est toujours un processus”, confiait en 2017 cette grande perfectionniste au M, le magazine du Monde. Avec son objectif, elle pénètre dans l’intimité de ses sujets, comme les Rolling Stones qu’elle suit lors de leur tournée mondiale en 1975, immortalisant les concerts mais aussi les coulisses, les suivant jusque dans leurs chambres d’hôtel.
Si les artistes sont déjà omniprésent·e·s, ses images témoignent aussi de l’atmosphère des années 1970 : manifestations contre la guerre du Vietnam, campagnes électorales… Elle couche aussi sur la pellicule des hommes politiques et sera la seule à saisir Richard Nixon quittant la Maison-Blanche en hélicoptère après sa démission en 1974. “On avait parqué les autres journalistes dans un coin, j’étais au bon endroit”, se remémore-t-elle. Sa tactique : “Chercher la photo que personne ne prenait.”
En 1983, elle quitte Rolling Stone pour Vanity Fair (Condé Nast) et offre un écrin aux stars qu’elle sublime, de Demi Moore nue et enceinte à Arnold Schwarzenegger en haut d’une montagne. Elle photographie également tous les ans les acteur·rice·s du moment dans un numéro spécial Hollywood, plus glamour que jamais. Son dernier ouvrage, Wonderland, sorti en 2021, revient sur cinq décennies de photos de mode.
Publicité
“Point de vue”
“Comme journaliste, on doit être objectif. […] Il y a un code. On ne peut jouer avec ce qu’on voit. Même s’ils ont quand même un point de vue, quand ils décident d’où ils vont prendre la photo, dans quel cadre. […] Je suis une portraitiste, j’aime le conceptuel, Photoshop, tous les outils disponibles […], je peux donner mon point de vue, mes photos sont plus fortes”, expliquera-t-elle. Réputée pour ses mises en scène extravagantes, elle a par exemple fait fermer le château de Versailles pour immortaliser l’actrice Kirsten Dunst en Marie-Antoinette. Une folie des grandeurs qui a failli causer sa perte : en 2009, elle se retrouve au bord de la faillite avec une dette de 24 millions de dollars. Ses archives photo sont alors estimées à 50 millions de dollars.
Un accord est trouvé in extremis mais la presse fait ses choux gras du train de vie de la photographe, compagne de l’écrivaine Susan Sontag, autre enfant chérie de l’intelligentsia new-yorkaise, décédée en 2004. “Les questions budgétaires ne l’effleurent même pas mais, au final, elle vous rend une image que personne d’autre n’arrive à réaliser”, estimait dans un documentaire la rédactrice en chef de Vogue Anna Wintour.
Publicité
En 1998, Annie Leibovitz entame une collaboration avec le magazine Vogue, autre fleuron du groupe Condé Nast. En parallèle, elle mène une série de projets plus personnels et indépendants comme Women, où elle tire le portrait de célèbres femmes et de ses proches, comme sa mère Marilyn et ses trois filles : Sarah (qu’elle a eue à 51 ans) et les jumelles Samuelle et Susan, nées par mère porteuse. “Je n’ai pas deux vies. Il s’agit d’une seule et même vie qui comporte des photos personnelles et des commandes”, souligne la photographe qui a aussi effectué un reportage à Sarajevo au début des années 1990 et capturé le New York de l’après 11-Septembre.