Au départ, il y a des récits liés au bouddhisme d’un moine du VIIe siècle, Xuanzang en l’occurrence. Après des siècles de transmission orale et de transformation du texte, le romancier Wu Cheng’en compilera toutes ces histoires au XVIe siècle dans une version que l’on retrouve aujourd’hui, et pour la première fois, avec toutes les gravures et illustrations produites lors de l’édition japonaise du XIXe siècle.
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Un monument qui a inspiré un nombre d’œuvres pas possible, même les plus récentes. Alors qu’une discussion sur cette œuvre aura lieu à Angoulême ce samedi 20 janvier à 10 h 30 à L’Alpha, on a demandé à l’un des intervenants, Xavier Guilbert, et à l’enseignante-chercheuse spécialisée en histoire de l’art japonais Delphine Mulard, de nous raconter l’importance de l’œuvre dans la pop culture actuelle.
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Konbini | Quelle est l’histoire de ces illustrations et de cette œuvre ?
Delphine Mulard | La Pérégrination vers l’Ouest narre le voyage du moine Xuanzang en Inde au VIIe siècle. À partir de cet évènement historique, de nombreuses légendes sont tissées, qui aboutissent en Chine au XVIe siècle à la rédaction d’un roman-fleuve intitulé La Pérégrination vers l’Ouest, qui fait la part belle au premier disciple fantastique de Xuanzang : le singe Son Goku.
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Le roman est introduit au Japon au cours du XVIIe siècle et est pour la première fois traduit de manière intégrale dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Au début du XIXe siècle, une traduction partielle accompagnée d’images est proposée : il s’agit des images rééditées pour la première fois et de manière intégrale par les Éditions 2024.
Cette version de La Pérégrination vers l’Ouest paraît en quatre parties de 10 volumes chacune : la première en 1806 (illustration d’Ôhara Tôya), la seconde en 1828 (illustration d’Utagawa Toyohiro), et les deux dernières parties en 1835 et 1837 (illustrations de Katsushika Taito II, disciple d’Hokusai).
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Ces illustrations sont rééditées pour la première fois, mais à quel point sont-elles connues et importantes dans l’imaginaire collectif au Japon de manière générale ?
DM| La publication de cette œuvre se fait sur une période de 30 ans avec trois équipes différentes d’illustrateurs et de traducteurs. On pourrait dire que c’est un long-seller puisqu’il va être réimprimé tout au long du XIXe siècle. Contrairement à d’autres romans chinois comme Au bord de l’eau (Suikoden) et les Trois Royaumes (Sangokushi) qui ont lancé au Japon de véritables modes dans l’estampe et influencé la composition d’autres fresques littéraires, La Pérégrination vers l’Ouest n’a été que peu reprise en littérature ou par d’autres illustrateurs.
La seule exception à cela est le travail de Tsukioka Yoshitoshi, disciple de l’école Utagawa et qui propose des compositions sur feuilles indépendantes et en couleurs (ukiyo-e) de ce récit dans les années 1864-1865, ainsi qu’une nouvelle version illustrée intégrale en 1883, largement inspirée des compositions des 40 volumes de la première moitié du XIXe siècle.
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En dehors du travail de Tsukioka Yoshitoshi, peu d’artistes se sont emparés des thématiques ou personnages de La Pérégrination vers l’Ouest. Seul Son Goku échappe à cela. On le retrouve surtout sur des estampes de grand luxe destinées à circuler au sein des cercles poétiques et en dehors du monde de l’édition commerciale : ce que l’on appelle les surimonos. Le singe accompagne alors des poésies et est un motif vu et compris par un cercle restreint de spectateurs privilégiés et très éduqués.
Le succès du personnage de Son Goku et des épisodes de La Pérégrination vers l’Ouest au sein de la culture populaire semble donc être un phénomène récent qui remonte à la toute fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle.
À partir de quand peut-on trouver des œuvres modernes s’inspirant de celles-ci ? Quelles sont les premières œuvres à s’en inspirer ?
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Xavier Guilbert | Outre les nombreuses adaptations et traductions en roman, il y a une première adaptation animée en 1926, Saiyûki Son Gôku Monogatari (Jiyû Eiga Kenkyûjo). Il existe une version “live” en film au moins dès 1940 : Son Goku (Toei, réalisation de Kajirô Yamamoto). En manga, on a une adaptation par Osamu Tezuka dès 1952.
Est-ce qu’on parle d’une inspiration purement graphique, comprendre l’adaptation de la légende Son Goku et le roi singe dans DBZ, ou aussi philosophique ou dans le récit plus à proprement parler ?
XG | Les influences se retrouvent à tous les niveaux : non seulement dans une adaptation directe des personnages (même si réinterprétés, comme pour Dragon Ball), mais aussi dans l’intégration des schémas narratifs. On peut ainsi rapprocher l’intrigue de One Piece de La Pérégrination vers l’Ouest puisque Luffy obtient ses pouvoirs en mangeant un fruit magique, tout comme c’est le cas pour Son Goku dans le classique chinois.
La version reproduite dans l’ouvrage de 2024 n’est qu’un aspect de la diffusion de ce classique au Japon, qui prend beaucoup de formes et qui fait véritablement partie d’un folklore partagé (un peu comme les chevaliers de la Table ronde peuvent l’être chez nous, même si une partie des inventions/réécritures sont du fait d’auteurs anglais).
Concrètement, quel impact ont eu ces œuvres dans la conception même du manga moderne ? Dans le dessin, le trait, les cadres, etc. ?
XG | La naissance du manga moderne est généralement située en 1947, avec La Nouvelle île au trésor d’Osamu Tezuka (Shin Takarajima, scénario de Shichima Sakai). Grand amateur de cinéma et d’animation, Tezuka puise son inspiration dans beaucoup de sources occidentales pour construire sa narration, et notamment dans la représentation du mouvement. Cependant, les œuvres classiques comme La Pérégrination vers l’Ouest font partie d’une culture partagée, à laquelle on peut faire des références.
En cela, le début de Dragon Ball est un bon exemple, en proposant tout d’abord une parodie du classique, tout en reprenant certains tropes visuels : la représentation des montagnes, les récitatifs sous forme de parchemins, etc., avant que le récit prenne une autre direction et abandonne cette approche.
La Pérégrination vers l’Ouest. Intégrale des illustrations de l’édition japonaise de 1806-1837 est édité aux Éditions 2024.