“La musique et moi, c’est une histoire de cœur” : Theodora nous parle de sa route vers la musique

Publié le par Simon Dangien,

© Adrien Antoine pour Konbini

Une conversation avec la jeune et éclatante Boss Lady. Elle revient sur son début de carrière, les chemins pris et ceux à venir, loin de ses Paradis Artificiels.

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Theodora vient de sortir son dernier single “Blues d’hiver”, synthèse de sa folie créatrice mise ici au service de ses pensées froides et hivernales. Sur une prod de Vilhelm, l’artiste continue de nous surprendre avec une identité toujours plus puissante dans l’attente de la conclusion de sa trilogie, Lili Aux Paradis Artificiels : Tome 3. Passée par de nombreux endroits comme la Grèce, le Congo d’où elle originaire ou encore Vitré en Bretagne avant de poser bagage à Saint-Denis, Theodora n’a de cesse de se réinventer, puisant sans relâche dans ses souvenirs de vie pour trouver de nouvelles inspirations.

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C’est une personnalité forte (ce n’est pas la Boss Lady pour rien) et inspirante que nous avons rencontrée pour parler longuement de ses paradis artificiels, de ses convictions, de la direction que prend son art à seulement 20 ans ou encore de la relation étroite qu’elle entretient avec son chouchou de frère Jeez Suave. Et si le blues d’hiver est pour elle le moment idéal pour se confier, c’est aussi le cas dans cet entretien, avant de partir faire la fête tout l’été.

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Konbini | Hier, tu étais invitée à performer “Dans le Club” aux côtés de Zamdane et BU$HI et, avant de terminer ton show, tu as eu quelques mots sur la situation au Congo et à Gaza, c’était important pour toi de t’exprimer sur ce qu’il se passe là-bas ?

Theodora | Oui, c’était important parce qu’on vit grâce à notre art, et il est aussi basé sur les gens qui nous écoutent. Ces gens qui nous écoutent avec plus ou moins d’intérêt, parfois juste le fait d’entendre un mot d’un artiste en particulier, ça va les faire réfléchir ou leur donner envie de se renseigner sur ce sujet. Je n’ai pas envie de me placer en messie ou quoi que ce soit, mais c’est quelque chose qui me tient à cœur. Je le vois comme une petite pierre à l’édifice.

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Tu as aussi récemment fait la première partie du Zawa Show qui recevait Mélenchon, comment ça s’est fait justement ?

[Rires] C’est rigolo parce qu’en fait, hier, à la Gaîté Lyrique avec Arte, j’ai découvert la suite de l’histoire. En fait, Dany m’avait contactée parce qu’il kiffait mes morceaux et qu’il démarrait un nouveau projet qu’ils m’ont présenté et j’ai découvert qu’Ilies, un mec qui tweete souvent sur moi en mode petite propagande, travaille avec eux et il a tellement fait la propagande qu’eux aussi sont devenus fans et c’est ce qui a mené à cette invitation. On en apprend tous les jours. [Rires] En plus, ils ont une communauté super bienveillante, ça s’est vraiment bien passé et c’est trop des bons, s/o à Dany et Raz !

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© Adrien Antoine pour Konbini

Il y avait aussi ton frère Jeez Suave qui t’accompagnait sur scène hier, il est avec toi aujourd’hui et c’est aussi ton manager, vous êtes tout le temps ensemble ?

La plupart du temps. Ce qui est sûr, c’est qu’on finit toujours par avoir une réflexion commune autour de choses qu’on n’a pas forcément faites ensemble et je pense que c’est encore plus important. Ça veut dire que même quand on n’est pas ensemble, au final, la réflexion, qu’elle soit musicale ou autre, elle tourne. En fait, comme c’est mon frère, c’est encore plus simple de réfléchir. On se revoit à la maison et on en reparlera une semaine après. On a commencé ensemble et le fait qu’on soit deux, je pense que pour l’un comme pour l’autre, c’était aussi une assurance. On est tous les deux complètement dedans, quoi ! Quand on s’est dit “On monte sur Paris”, on était tous les deux, quand on s’est dit “On commence complètement à être dans la musique”, il a quitté son alternance pour en trouver une dans la musique. Ça a toujours été comme ça, ça nous permet aussi d’avoir un regard extérieur, savoir si on est paro ou pas. Pour mon premier EP vraiment bien construit, Lili Aux Paradis Artificiels : Tome 1, c’était important qu’il soit produit intégralement par mon frère.

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Depuis ce premier EP, tu as travaillé avec d’autres compositeurs et producteurs, comme pour le morceau “FNG” produit par Mei et Mattu. Il fallait qu’on parle de ce titre, on sent que tu veux assumer le côté Boss Lady, appuyer cette indépendance, je me trompe ?

Eh, les gars, j’ai soufflé mes 20 bougies là, ça y est ! [Rires] Plus sérieusement, ce n’est pas tellement assumer ce côté Boss Lady, tu vois, c’est juste chercher l’équilibre. Le premier projet avec Jeez, il va avoir un an et dans ce laps de temps, je n’ai même pas eu le temps de vraiment penser à l’image que je donnais. Là, j’ai pris huit mois entre le dernier projet (Lili Aux Paradis Artificiels : Tome 2) et “FNG”, j’ai eu le temps de me poser et de réfléchir à ce qui était vraiment “moi”. Je dirais que ce titre me représente plus. Je suis toujours girly mais, en vrai, je fume du shit, je suis sexy, donc je suis girly mais pas si baby girly comme on pouvait le voir auparavant.

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Donc avec cette évolution, est-ce que Lili et ses paradis artificiels, c’est terminé ?

Eh ben… Ce n’est pas fini mais bientôt. Ce qui est sûr, c’est que le changement d’image aussi il est là pour accentuer ça, pour que les gens comprennent qu’en vrai, on vous a emmenés au paradis mais c’est bientôt le retour à la réalité, c’est bientôt le retour à Theodora et non plus Lili. En tout cas, on n’entrera pas en 2025 sans avoir fini la trilogie.

Est-ce que tu peux revenir rapidement sur ce titre : Lili aux Paradis Artificiels ?

Mon prénom complet, c’est Theodora et quand j’étais plus petite, on m’appelait beaucoup Lili ou Lilou. Je voulais vraiment faire un projet qui montre aux gens ce qu’est la musique pour moi, c’est un peu mon paradis artificiel. Cette trilogie, c’est comme une carte de visite pour les gens qui ne me connaissent pas comprennent que les bases de Theodora, c’est ça, c’est Lili. Plein de musiques, de sonorités, d’influences, d’images, plein de messages différents aussi, même contradictoires parfois.

Tu expérimentes beaucoup, tu prends des risques, tu es ouverte sur pleins de choses, et cette patte-là, j’ai l’impression que contrairement à Lili, elle ne va pas s’en aller.

Je suis faite de ce que j’ai écouté dans ma vie et j’ai écouté énormément de choses différentes. J’ai fait mon premier morceau quand j’avais 15 ans et déjà à ce moment-là, je pouvais passer d’un style à un autre. À l’époque, c’est vrai que c’était beaucoup plus désordonné mais ça fait partie de mon ADN musical de savoir comment manier différentes inspirations pour en faire une presse, tout en gardant ce côté hip-hop qui n’a jamais quitté ma musique. C’est ce que j’ai majoritairement écouté dans ma vie c’est même un fil conducteur, quand je passe d’une musicalité à une autre, le hip-hop reste, que ce soit dans l’écriture ou dans les top lines par exemple.

© Adrien Antoine pour Konbini

Plus jeune, tu as aussi fait beaucoup de danse, c’était une autre manière de t’exprimer ?

En fait, j’ai toujours voulu faire ça, je passais déjà par différents médiums. Au lieu de différencier par exemple les musicalités, j’allais faire de la danse, j’allais chanter, faire de la gymnastique et du judo. J’avais l’impression de toujours développer différents aspects créatifs, même pour le judo, ça pouvait m’apporter une certaine poigne, ça me rendait super énervée. [Rires] Pour la danse, j’ai commencé à deux ans et j’ai arrêté quand j’en avais genre 17. Ça prend moins de place à cause de la musique mais je kiffe toujours ça, j’adore les scènes des Américaines. Elles ont plein de danseuses, elles tombent du ciel, etc. J’aime trop. J’espère que je pourrai à un moment donné prendre ce temps-là pour m’appliquer vraiment sur la danse dans mes propres shows, mais chaque chose en son temps !

Ce qui est important quand on parle de ta musique, ce sont aussi les textes, très introspectifs, dans lesquels tu vas partager pas mal de tes pensées parfois très sombres. L’écriture, c’est encore un autre médium ?

Oui totalement, je pense que c’est un truc libérateur, ça permet de poser des idées sur papier, comme le chant est libérateur à sa manière.

Entre tes deux premiers EP, tu fais ressentir que ça va un peu mieux, mais l’introspection sera toujours là selon toi ?

Ces deux tomes, c’est vraiment les deux tomes qui représentent le plus mon entrée dans la vie, en habitant toute seule, en vivant avec mon frère. C’était un moment de ma vie très transitoire. Aujourd’hui, il y aura toujours cette branche-là mais je pense que parallèlement, il y a aussi une ligne plus relâchée qui est en train de naître avec des morceaux comme “FNG”, mais je suis jamais très loin de l’introspection. [Rires]

© Adrien Antoine pour Konbini

Tu évoques aussi la solitude que tu as pu toi-même vivre de par ton passé et tes nombreux déplacements avec ta famille. Avec la musique, comment ça se passe ?

Quand je commence à faire de la musique, je me suis complètement isolée. Il y avait cette réflexion, cet enjeu social de me dire : “Est-ce que je relâche un peu la musique pour repartir sur quelque chose d’autre ?”. Je me suis dit non, en fait, je n’ai pas envie, j’y crois trop. Je pense qu’en fait, la musique et moi, c’est une histoire de cœur. L’aventure fraternelle a aidé aussi mais l’autre dynamique qui est importante et que, j’ai l’impression, les gens oublient, c’est le fait de rencontrer d’autres musiciens. Je trouve que la musique, tu finis vite par t’isoler et les rencontres, ça te permet d’empêcher cet isolement qu’il ne faut pas banaliser. Il ne faut jamais essayer de rendre la solitude et l’isolement sexy, parce qu’en fait, ça ne l’est pas. Ça peut paraître cool parce qu’au début des projets, tu as l’impression qu’en étant seul, tu as beaucoup de temps pour tout accomplir. Sauf qu’au fil du temps, tu te rends compte qu’un humain, ça vit en groupe.

C’est une réflexion qui a mis du temps à mûrir chez toi ?

Depuis que je suis vraiment dans la musique, je me suis encore plus rendu compte de ça. La musique, ce n’est pas un métier qu’on apprend, c’est un truc qui sort de ton corps, de ton cœur et pour entretenir ton cœur, il faut vivre des choses avec des gens. Il ne faut pas, juste par passion, juste par amour pour un art, se tuer soi-même. Je pense que l’isolement, en vrai, c’est un peu te tuer à petit feu, même si tu ne meurs pas à la fin, tu gardes beaucoup de séquelles. En tout cas moi, j’ai l’impression d’avoir perdu beaucoup de skills sociaux alors qu’initialement, je n’étais pas une fille insociable mais au fil des années, des voyages, des déménagements, j’ai fini par perdre ce truc que je récupère peu à peu.

Si tu as beaucoup déménagé, il y a un endroit notamment qui t’a marquée, c’est Saint-Denis. Tu as dédié un morceau à la ville en 2023, “Le paradis se trouve dans le 93” et c’est le titre qui t’a propulsée sans que vous vous y attendiez vraiment toi et ton frère, tu vois le morceau comme une lettre d’amour ?

C’est une lettre d’amour pour le 93 mais c’est aussi une lettre de haine, un bouclier face à une inaction trop gravissime pour que le 93 n’ait pas sa déclaration. Je ne suis pas une haineuse donc je fais une lettre d’amour, mais les lycéens sont dans des lycées avec des rats, alors qu’en vrai, on n’est même pas si loin que ça du périph et la vie est trop différente. “Tickets-resto en guise de prime”, mais au moins les gens s’entraident un peu.

Tu viens de sortir un morceau qui s’appelle “Blues d’hiver”, produit par Vilhelm et tu avais tweeté ça, il y a quelque temps :

Ce son, c’est justement la synthèse de cette période ?

En fait, je marque la fin de l’hiver et de mon hiver. Je n’ai rien sorti durant cette période, les gens m’ont connue en mode été avec “FNG”, ils vont me revoir et vont croire que pendant un an j’allais super bien alors que non, c’est toujours des mois bien durs. [Rires] Donc là, je vous sors mon morceau clippé en Norvège qui vous montre mon hiver, mes huit mois sans rien sortir, livrés dans un morceau comme ça ensuite, on peut commencer à se dire “Bon, là, on fait la fête”. On va pleurer une dernière fois le dernier jour d’hiver et après on va fêter tous ensemble l’été.