Le 1er août 2018, les réseaux sociaux s’enflammaient après la publication de vidéos de ce qui allait être adoubé comme “le plus grand divertissement du rap français”. Les flacons de parfum qui volent, les balayettes qui partent, les coups qui tombent : les internautes découvraient la “bataille d’Orly” opposant Booba à Kaaris (et leurs équipes respectives), et le début d’un arc composé de réfs inoubliables (“T’as parlé, moi j’ai parlé, j’assume, pas d’arbitre” ; “J’vais briser tes os, j’vais boire ton sang”) et d’un octogone qui n’aura jamais eu lieu.
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Six ans plus tard, Guillaume Cagniard interroge dans une expo intitulée “La Bataille d’Orly” les résonances de la bagarre en question, ses paradoxes, ce qu’elle veut dire de ses belligérants et, surtout, ce qu’elle reflète de nous, son public. À travers une série de tableaux, de sculptures et d’installations multimédia, l’artiste fait (presque) entrer l’événement dans les livres d’histoire à travers une lecture croisée basée sur une tradition picturale de la représentation épique et sur l’hypermédiatisation de la baston. L’artiste interroge :
“Toute l’idée autour de cet événement médiatique m’a fasciné : le mélange de réactions instinctives, de choses calculées, voir ces bandes rivales anciennement amies se mettre dans un lieu international, presque futuriste, pour une bagarre de deux clans, de deux armées. C’était délirant et en même temps, ça posait des questions plus larges sur ce qu’est l’engagement, le pouvoir, la revanche, la violence. Comment la violence est justifiée, qu’est-ce qui se passe quand tu te retrouves face à ton ou ta pire ennemie ?”
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Passionné d’histoire de l’art, l’ancien réalisateur de clips s’est inspiré pour ses compositions à l’aérosol de “fresques de la Renaissance, de représentations de bataille, de ces mélanges de violence et de douceur poétique, de ces moments presque religieux, de grâce”.
“Tous les bas instincts humains contre lesquels on essaie de lutter”
Pour créer son expo, Guillaume Cagniard a laissé s’exprimer tous les contrastes que convoque “la bataille” : “Il y a une réflexion sur le corps, l’esthétique du corps et l’esthétique photographique avec ces deux personnages, ces deux ‘gladiateurs’ aux corps parfaits. Ça pose une question sur les normes du corps, sur ce qu’est être un homme viril, puissant : bref, c’est quoi être un homme en 2024 ?” Ces paradoxes sont encapsulés dans les œuvres, à l’exemple de cette sculpture d’un poing brandi, “emblème de résistance”, qui tient un parfum Chanel, symbole de consommation. Créées “à la tronçonneuse”, comme “la violence poussée à son paroxysme”, avant d’être poncées, les sculptures reflètent ces pulsions de violences visibles dans les vidéos d’Orly. Guillaume Cagniard confie :
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“Ce sont des pulsions archaïques tellement ancrées en nous, tellement actuelles. C’est un thème hyper fort, pulsionnel, hyper instinctif, qui traite de peur, d’excitation, de voyeurisme. C’est tous les bas instincts humains contre lesquels on essaie de lutter et ça fonctionne un peu comme un exutoire. Même la création a agi comme un exutoire parce que c’est aussi des questions que je me pose. Je n’ai pas répondu à tout mais ça permet d’avancer, de comprendre, de réfléchir.”
L’exposition est créée comme un storyboard en trois temps : l’événement, au passé ; l’élan médiatique, au présent ; l’octogone et la réconciliation imaginaires, au futur. L’artiste a pris soin de représenter ses deux protagonistes dans leur cocon familial, dans des atmosphères douces, en plus de la bagarre. Une ambiance intime que Guillaume Cagniard a connue, puisqu’il est l’auteur du clip de Booba “Petite fille”, qui met en scène sa fille Luna. Ses connexions professionnelles avec Booba n’ont cependant pas influencé son travail artistique :
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“Visuellement, j’ai essayé de donner autant d’importance à Kaaris, que je connais moins mais que je respecte énormément, que j’écoute aussi. Booba a fait un post sur l’expo, c’était une belle surprise mais pendant la création, j’essayais de ne penser ni à l’un ni à l’autre, de ne pas dépendre d’eux. S’ils sont contents, je suis ravi ; mais s’ils n’avaient pas été contents j’aurais quand même fait l’expo. C’était trop important pour moi.”
Du 12 au 24 décembre prochain, le public pourra explorer ses propres réactions à la violence jusqu’à espérer, qui sait, une réconciliation entre Booba et Kaaris le 24 décembre, face à l’immense fresque représentant leur bataille ?
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L’exposition de Guillaume Cagniard “La Bataille d’Orly” sera visible du 12 au 24 décembre à la galerie Le 78, dans le 3e arrondissement parisien.