Mardi, Judith Godrèche a déposé plainte à la Brigade de protection des mineurs contre le réalisateur Benoît Jacquot pour viols sur mineure de 15 ans par personne ayant autorité, confirmant une information du Monde. Elle a eu une relation avec ce dernier lorsqu’elle était adolescente et les faits, qui datent de la seconde moitié des années 1980, sont possiblement prescrits. Selon le journal, M. Jacquot, 77 ans, “nie fermement les allégations et accusations de Judith Godrèche”. Sollicité début janvier sur ces accusations par l’AFP, le réalisateur n’avait pas souhaité commenter.
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La comédienne avait très récemment évoqué cette relation avec le cinéaste de vingt-cinq ans son aîné dans la série Icon of French Cinema sur Arte. La relation aurait débuté au printemps 1986, alors qu’elle avait tout juste 14 ans, et se serait achevée au début des années 1990. Mme Godrèche n’avait encore jamais mis en cause le réalisateur devant la justice. Devant les enquêteurs, Judith Godrèche a par ailleurs également dénoncé des violences au cours de cette relation, selon Me Heinich.
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“La petite fille en moi ne peut plus taire ce nom”, disait-elle début janvier dans une story postée sur Instagram, effacée avant d’être remise en ligne, dans laquelle elle parlait d’“emprise” et de “perversion”. “Il s’appelle Benoît Jacquot. Il manipule encore celles qui pourraient associer leurs noms au mien, témoigner. Il menace de me traîner en justice pour diffamation”, disait la comédienne de 51 ans, considérant que le cinéaste est “estimé pour sa perversion”.
“Qui a de l’estime pour les pratiques de Benoît Jacquot, connues de tous et toutes depuis trente-cinq ans ? Qui cautionne et valide ? L’agent qui le représente ? Qu’il m’a présenté à 14 ans ? Son producteur ? Même chose. […] D’où lui vient ce sentiment d’impunité ? Tout se savait. Et les mêmes sont aux manœuvres”, poursuivait-elle, disant craindre qu’on ne lui “tourne le dos” après ces propos.
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Sa prise de parole avait été motivée par le visionnage d’un documentaire ancien où Benoît Jacquot reconnaît le caractère illégal de sa relation passée avec l’adolescente face au psychanalyste Gérard Miller : “Oui, c’était une transgression. Ne serait-ce qu’au regard de la loi, […] on n’a pas le droit en principe, je crois. Une fille comme elle qui avait en effet 15 ans, et moi 40, je n’avais pas le droit”, peut-on l’entendre dire dans un extrait de ce documentaire daté de 2011 et que l’actrice vient de poster sur Instagram.
Le documentaire dont est tiré l’extrait, en accès libre sur YouTube, est décrit de la manière suivante : “Le psychanalyste et chroniqueur Gérard Miller recueille les témoignages de personnalités et d’anonymes qui ont transgressé leurs principes pour vivre leur amour.” Pour rappel, Gérard Miller est accusé par dix femmes, dont trois mineures, d’agressions sexuelles ou de comportement inapproprié entre 1995 et 2016. L’une d’elles a adressé une plainte au parquet, selon Mediapart.
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Judith Godrèche a été révélée dans Les Mendiants de Jacquot (1988) puis La Désenchantée (1990). Le cinéaste a construit son œuvre autour des actrices, des stars comme Isabelle Huppert ou des débutantes comme Isild Le Besco, sœur de Maïwenn, révélée à 18 ans dans Sade, premier de leurs six films ensemble. “Je ne peux filmer une comédienne que si j’en suis amoureux”, assumait en 2009 l’intéressé dans le journal Le Figaro.
Emprise, isolement et violence
À la fin de l’année 2023, dans un long entretien accordé à Elle, Judith Godrèche témoignait de sa relation d’emprise avec le réalisateur sans le nommer. Aujourd’hui, Le Monde publie une longue enquête sur cette emprise, qui rassemble plusieurs documents – photos, lettres manuscrites – et recueille des témoignages de l’entourage de l’actrice et du cinéaste.
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“C’est une histoire comme les histoires d’enfants qui sont kidnappés et qui grandissent sans voir le monde et qui n’arrivent pas à penser du mal de leur ravisseur. J’aurais voulu que Benoît accepte d’être mon ami, de ne pas m’avoir, je ne voulais pas de son corps. Très vite, il me dégoûtait”, a-t-elle écrit dans un texte préparatoire à son audition devant la Brigade de protection des mineurs de la police judiciaire de Paris, retranscrit par Le Monde.
Dans les colonnes du journal, Judith Godrèche se souvient du casting du film Les Mendiants où elle a rencontré Benoît Jacquot et dont le tournage débutera à l’été 1986, l’été de ses 14 ans. Sur le plateau, il tisse sa toile autour de l’apprentie comédienne, reste dans la pièce quand elle se change, lui coupe les cheveux et l’installe dans son hôtel non loin de sa chambre, alors que tous les jeunes acteurs dorment ensemble dans “la maison des enfants”, ce dont des acteurs du film attestent aujourd’hui.
Elle témoigne également de rapports sexuels brutaux – “Pour mes 15 ans, il décide que je dois jouir quinze fois, je n’ai pas le choix. Je fais semblant le plus vite possible” –, puis de violences physiques – “La dernière année devient un enfer absolu, il est violent, il me frappe” –, de l’isolement et du contrôle que le cinéaste exerce sur elle, dont la mère de l’actrice atteste. En 1986, les seuils infractionnels de rapports sexuels avec des mineurs étaient les mêmes qu’aujourd’hui, seuls les délais de prescription ont été augmentés par la loi.
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En 1989, Judith Godrèche quitte le lycée et suit des cours par correspondance, le “couple” achète également un appartement en partie financé par ses fonds alors qu’elle est encore mineure et ne peut pas disposer de son argent, mais ses parents acceptent qu’elle soit émancipée avant ses 18 ans. À cette même période, Benoît Jacquot l’incite également à changer d’agent et la pousse vers une de ses amies.
C’est à la même période que Vanessa Springora, qui a exactement le même âge que Judith Godrèche, subit la prédation de l’écrivain Gabriel Matzneff dont elle témoigne dans un livre, Le Consentement, sorti en 2020. Judith Godrèche a “cru que Vanessa Springora avait écrit un livre sur [elle]” mais n’a pas pu aller au bout tout de suite : “Trop similaire, trop violent.”
Benoît Jacquot a accepté de répondre au Monde et affirme ne pas “[se sentir] directement concerné”, assurant qu’il a été “très amoureux de Judith” et que cette dernière a également profité de son statut de réalisateur. Son seul remords : ses propos tenus face à Gérard Miller dans une séquence où il s’estime “ridicule, nul et arrogant”.