Jane Birkin est décédée ce dimanche, selon les informations du Parisien. Elle venait d’annuler une nouvelle série de concerts. La chanteuse et actrice d’origine anglaise était âgée de 76 ans. Fille de l’actrice britannique Judy Campbell, elle arriva en France en 1968, à l’âge de 22 ans, après une courte carrière en Angleterre, pour y passer sa vie.
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Nous l’avions rencontrée en 2019, à l’occasion de la sortie de Post-scriptum, la publication du second volet de ses journaux intimes après Munkey Diaries.
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“Vedette et personnage le plus populaire de France”
Après un premier rôle de jeune femme sourde et muette pour le théâtre anglais, où elle mourrait “dès le deuxième acte”, Birkin sera retenue pour tourner dans Blow-Up de Michelangelo Antonioni, un film où elle “devai[t] juste être ingénue”, qui remportera le Palme d’Or à Cannes en 1967. Mais si elle fera la une de la presse, c’est surtout pour une scène de nu, acceptée par provocation — “mon mari John Barry était persuadé que je n’oserais jamais tourner nue vu que j’éteignais la lumière pour faire l’amour. J’ai donc accepté la scène par défi”, écrivait-elle dans ses journaux — et deviendra Jane “Blow-Up” Birkin aux yeux du monde.
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Après deux ans sans proposition, elle tentera sa chance outre-Manche et passera les auditions pour Slogan de Pierre Grimblat, “à qui [elle] doi[t] [s]a carrière en France”, avec Serge Gainsbourg, sans parler un seul mot de français. “Tout le monde a vu les essais aujourd’hui, ils étaient épouvantables”, se souvient Birkin qui décrochera pourtant le rôle d’Évelyne tandis que la France vivait des émeutes sociales historiques.
Peu de temps après, elle tournera La Piscine de Jacques Deray, aux côtés de Romy Schneider et Alain Delon et se souvient d’une ambiance “lourde et exotique”, d’un “terrain masculin intimidant” ainsi que d’humiliations de la part du réalisateur qui lui faisait répéter ses répliques avec un crayon dans la bouche afin qu’elle s’exprime plus distinctement. “Dans ce film, j’étais un personnage typique de mon époque et ça a ses limites.”
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Pourtant, La Piscine lancera définitivement sa carrière au cinéma en France et Jane Birkin enchaînera les projets. En 1974, elle s’essayera pour la première fois à la comédie populaire dans La Moutarde me monte au nez de Claude Zidi, “un film qui a cassé la baraque et m’a promue à la fois vedette et personnage le plus populaire de France”. Elle est repérée dans ce film par Claude Berry et Jacques Rivette, qui lui ouvrira grand les portes du cinéma d’auteur.
C’est en 1976 qu’elle tournera pour la première fois pour Gainsbourg, son compagnon, dans Je t’aime moi non plus et s’éloignera des rôles de Lolita auxquels elle était habituée pour jouer avec le complexe de son androgynie. “J’étais ce que Serge voulait puisque je lui avais inspiré l’idée.” Mais c’est Jacques Doillon qui la fera tourner dans son premier film d’auteur avec La Fille Prodigue en 1981 puis dans La Pirate en 1984, avec son frère Andrew Birkin.
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À propos du long-métrage, l’actrice déclarera que ce fut “le tournage le plus excitant qu’[elle ait] connu” et “le film dans lequel [elle est] le mieux”. Le film — l’histoire d’une femme mariée qui tombe amoureuse d’une autre femme — fera scandale à Cannes et Jane Birkin le défendra magistralement en conférence de presse. Plus tard, elle dira d’ailleurs être “plus fière de la conférence de presse que du film”.
En 1988, Agnès Varda lui consacrera un biopic, Jane B. par Agnès V., sorte de portrait un peu loufoque dans l’œil fantaisiste de la réalisatrice qui avait déjà filmé Birkin dans Kung-fu Master où elle incarnait une mère célibataire tombant amoureuse d’un ami de sa fille, un collégien de quatorze ans, interprété par Mathieu Demy, le fils de Varda. Charlotte Gainsbourg jouait le rôle de sa fille, Lucy.
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“Après avoir vu Sans toit ni loi, j’ai écrit une lettre de fan à Sandrine et Agnès qui m’a appelée en me disant qu’elle ne comprenait rien à mon écriture et qu’il fallait que je vienne lui expliquer ma lettre en personne.” Jane Birkin et Agnès Varda deviendront amies et la réalisatrice veillera sur elle après la mort de Kate Barry, sa première fille née de son mariage avec le compositeur John Barry, tragiquement décédée en 2013.
En 2006, à l’âge de 60 ans, Jane Birkin réalisera Boxes, son premier long-métrage, pour faire un bilan de son existence dans un film sur la famille et la maternité. Devant et derrière la caméra, elle tente de faire rentrer dans des cartons de déménagement son incroyable vie et tout l’amour qu’elle porte — ou a porté — à sa famille, ses parents, ses frères et sœurs, ses trois ex-maris et ses trois filles.
On t’aime… toi non plus
Dans une interview accordée aux Inrocks en 2019, Jane Birkin déclarait être “plus fière de sa carrière de chanteuse que d’actrice”, une carrière lancée par le sulfureux duo “Je t’aime… moi non plus”, initialement écrit par Gainsbourg pour Brigitte Bardot. Le morceau sera propulsé tout en haut des charts, sera élu “chanson la plus sexy du monde” par Le Guardian et banni par le Pape, “notre meilleur attaché de presse”.
Lorsqu’elle fera écouter le morceau à ses parents, Jane Birkin soulèvera l’aiguille à chaque respiration et comme “ils ne comprenaient pas le français, ils ont trouvé que c’était une très belle chanson”. “Je t’aime moi non plus” marquera le début d’une longue et unique collaboration et Gainsbourg composera pour Birkin sept albums studio.
Jusqu’en 1980, Jane Birkin surfera sur cette image d’anglaise ingénue, sympathique et sulfureuse mais en lui offrant le rôle d’Anne, la jeune femme dépressive de La Fille prodigue en 1981, Jacques Doillon la dépouillera de ses artifices et Birkin deviendra alors une icône du cinéma d’auteur et une artiste aux chansons mélancoliques. En 1987, alors âgée de 40 ans, elle mettra en scène cette nouvelle identité sur les planches du Bataclan, pour la réouverture de la célèbre salle de concert.
“Personne ne m’avait jamais demandé de chanter pour de vrai. Si j’ai été connue, c’est grâce aux émissions des Carpentier qui étaient en playback complet.” Elle se coupera les cheveux très courts, enfilera un pantalon trop grand et une chemise d’homme pour ne pas entraver la juste appréciation des chansons de Gainsbourg. Elle n’avait jamais chanté sur scène et dans tout Paris, des affiches clamaient “Est-ce qu’elle va oser ?”.
Au moment de leur séparation en 1980, Gainsbourg deviendra Gainsbarre, un alter ego déplaisant que Jane Birkin n’aimait pas, mais qui lui composera également les plus belles chansons avec l’album Baby Alone in Babylone.
Elle s’interrogeait à notre micro :
“Pourquoi il a fallu que je sois la personne par qui sa douleur passait, moi qui avais infligé ces mêmes blessures ? Est-ce que c’était une manière de dire que c’était à cause de moi, de rester avec moi, de rester complices jusqu’à sa mort ? Je ne sais pas, ça mériterait l’expertise d’un psychologue car c’est très rare qu’une personne vous écrive des chansons de vos vingt ans, jusqu’à sa mort alors que vous vous êtes séparés.”
Dans ses journaux, Jane Birkin écrira : “Je pense que ce qui restera de la famille Birkin, c’est les peintures de mon père et les sculptures de ma sœur, plus que nos chansons et nos films”. Car après une vie passée sous les caméras et les objectifs des photographes du monde entier, la chanteuse, actrice, muse, sex-symbol et icône soutient que “même si on déballe tout, on ne dévoile pas grand-chose”.