J’ai vu Titanic 25 ans après tout le monde

Publié le par Constance Vilanova,

(© 20th Century Fox)

Regrets, musiciens zélés et sexe en bagnole, je vous raconte la perte de ma "Titanic virginity".

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J’ai toujours refusé de voir Titanic. Et ce pour quatre raisons. La première : l’état de transe dans lequel Leonardo DiCaprio a mis ma sœur, 13 ans, les paupières ensevelies sous du fard bleu et du crayon dans la muqueuse au moment des faits. Les VHS version longues, le puzzle, le poster, l’album de Céline : à cinq ans, je me demandais quelle sorcellerie avait bien pu agir sur elle et ses copines – réponse : les hormones. En tout cas, quelque chose ne tournait pas rond chez les adolescentes de 1998.

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Deuzio. À l’école, j’étais ce qu’on appelle à tort un “garçon manqué”. J’aimais le skate, Oüi FM et Greenday : je m’étais donné comme mission puérile de “ne pas être comme toutes les filles”. Titanic allait de pair avec Grand Galop et danse classique, c’était donc un grand “non”. L’héroïne s’appelle quand même Rose : il ne faut pas pousser.

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Troisièmement : une gigantesque flemme émotionnelle entrave tous mes choix de vie. J’appréhende plus que jamais de regarder des films ou des séries réputés comme “dramatiques”. J’aime le calme, la sérénité, les mers d’huile, comprenez l’antithèse d’un navire qui sombre et ses 1 500 morts. La rumeur dit que les larmes des spectatrices sont tout aussi responsables du naufrage que l’iceberg lui-même : je ne me sentais donc pas prête.

Enfin, quatrième argument : je suis snob. Ce film faisant partie intégrante de la culture de masse, je me sentais bêtement au-dessus de la mêlée en restant dans ma “Titanic virginity”.

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Le 27 février, convaincue par mes trois copines, des mouchoirs en prévision : je passe le cap. Au ciné et en 3D, s’il vous plaît. Vous vous doutez bien qu’au moment où je m’installe dans mon fauteuil molletonné, je connais déjà la fin de l’histoire. Je sais aussi, grâce aux réseaux sociaux et à feu 9gag qu’apparemment, la planche pouvait accueillir les deux héros. J’adore déjà la chanson de Céline Dion, car je l’ai apprise avec la chorale de mon collège en 2006. Mais je veux comprendre : suis-je vraiment passée à côté d’une expérience ? Le blockbuster a-t-il “bien vieilli” ? À l’instar de pléthore de romances des années 1990, porte-t-il un discours sexiste nauséabond ? Les effets spéciaux âgés d’un quart de siècle allaient-ils être efficaces ?

Je chiale, je ris, je m’énerve contre ce chien de Caledon Hockley

Lunettes vissées sur le nez, au premier rang pendant 3 h 14, contre toute attente, je passe un bon moment. Je chiale, je ris, je m’énerve contre ce chien de Caledon Hockley et je crie d’effroi quand Rose glisse alors que Jack l’a convaincue de ne pas se jeter dans les eaux sombres et glaciales de l’Atlantique.

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Selon l’avis général, je devais irrémédiablement tomber amoureuse de Leonardo DiCaprio et de son “visage parfait”. Mais lors de la fameuse scène de poker, celle où on découvre le play-boy, mon corps ne se met pas à vibrer. La faute à ses traits très adolescents. (Le petit frémissement palpable dans la salle de ciné m’a fait sourire et je dois avouer que j’ai essayé de toucher son visage parce que c’était en 3D et que j’ai eu l’air bien débile). J’ai été beaucoup plus émoustillée par le personnage de Brock Lovette, explorateur canaille des années 1990 qui accueille une Rose octogénaire sur son bateau à la recherche du collier super moche. Ça doit être la boucle d’oreille en or, la peau du visage tannée par les embruns et mon léger penchant pour les côtes bretonnes.

Côté personnages féminins, j’admets que Cameron offre une galerie de femmes super badass comme cette reine de Margaret Brown ou “L’insubmersible Molly” qui prête ses vêtements à Leonardo pour son dîner mondain et veut aider les naufragés alors qu’elle est dans son canot de sauvetage. Ne change rien, Molly, on t’aime.

Aux balbutiements du film : Rose m’agace. La bourgeoise pourrie gâtée qui veut s’échapper de sa petite vie mondaine me rebute… Mais ses répliques cyniques et le comportement de son immense tocard de fiancé me font basculer. Autant emprisonnée dans son corset que dans les conventions sociales (j’ai fait L), je rencontre finalement une héroïne drôlement intelligente et libre. Son immaturité sentimentale lui joue quand même de sacrés tours. Comment est-ce possible de sacrifier sa survie pour un mec rencontré il y a 24 heures ? Même un amour de colo, c’est trois jours minimum, ma belle ! J’en connais une qui n’a pas assez écouté les podcasts de Victoire Tuaillon…

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Sans toit ni pognon

Autre travers de trentenaire pragmatique : dès le début de leur idylle, je ne peux pas m’empêcher d’imaginer le quotidien de Jack et Rose aux États-Unis s’ils arrivent à bon port, sans toit ni pognon. Parce que c’est bien mignon de n’avoir que “10 dollars en poche”, mais peindre des prostituées parisiennes a rarement fait bouffer… D’autant que le RSA n’est pas accessible avant 25 ans… Et cette inflation qui galope…

Bref, passons et concentrons-nous sur les scènes d’amour iconiques. Au moment de la séquence à l’avant du bateau et du “Je vole” de Rose, bouche ouverte, prête à murmurer “Every night in my dream”, j’ai attendu en vain que la voix de Céline Dion me berce. Personne ne m’a prévenu qu’il s’agissait uniquement de la musique du générique. Très déçue par cette éternelle flûte de pan.

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Autre scène populaire : peut-on faire plus érotique que le passage du dessin au fusain dans la cabine de Rose ? Non. N’insistez pas : non. En revanche, qu’on me trouve une seule personne dont la première fois (et dans une vieille Renault en prime) rimait avec sensualité, plaisir et romantisme. Montrez-nous de la gêne, de la maladresse, un emballage de préservatif impossible à ouvrir, que diable !

Je mettrai de côté les plans sur le Titanic et ses passagers en images de synthèse qui ont le même réalisme que mon jeu Windows 98 Adibou. J’oublierai aussi ce quatuor à cordes qui joue pendant des plombes au point que j’ai eu envie de fracasser le crâne des musiciens avec un violon.

Oui, je le reconnais, même avec mon cœur de pierre : cette histoire d’amour m’a fait rêver. Oui, Je me suis rêvée à boire de la Guinness avec Jack dans une cale entourée d’ivrognes irlandais. Oui, j’ai pleuré à chaudes larmes quand le corps éteint de DiCaprio s’évapore dans les limbes. À la fin de la séance, quand j’ai vu tous les spectateurs essorer leurs paupières alors que c’était la millième fois qu’ils voyaient ce blockbuster, j’ai compris : j’ai été sacrément idiote de grandir sans Titanic.