Qui aurait cru, en 2002, qu’un jour, passer un mois sans réseaux sociaux serait perçu comme une expérience extraordinaire (littéralement “hors de l’ordinaire”) et quasiment impossible à réaliser ? Lorsque j’ai dit à mon entourage que j’allais me couper des réseaux pendant 30 jours, tout le monde a réagi comme si je m’apprêtais à partir un mois dans la savane sans habits ni nourriture. On m’a dit “Mais waaaaaw, c’est incroyable”, “Mais tu le fais pourquoi ? Est-ce que ça va ?”, “Moi je n’arriverais pas”, “J’ai essayé pendant une semaine une fois c’était duuuur”. J’avoue que je me suis sentie assez spéciale, comme si j’étais devenue la nouvelle Mike Horn. Mais avec du recul, je me suis demandé : comment en est-on arrivé à ce niveau de dépendance ?
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Eh oui, sur 8 milliards d’êtres humains sur terre, 4,62 milliards étaient actifs sur les réseaux sociaux en 2022, soit plus de la moitié. De plus, le temps moyen passé sur les réseaux par personne est de 2 h 28 par jour. Si on fait le calcul, ça fait près de 17 h 30 par semaine soit quasiment un jour entier. Mark Zuckerberg ne s’attendait sûrement pas à ça lorsqu’il a créé Facebook dans son dortoir d’université pour conquérir son crush.
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Aujourd’hui, les réseaux sont imbriqués dans toutes les facettes de nos vies. Ce ne sont plus uniquement des réseaux sociaux, mais des réseaux économiques, politiques, d’influence et pire encore… ce sont des outils qui nous renvoient à notre propre image. C’est une double personnalité virtuelle, qu’on doit veiller à entretenir, à défaut d’être quasiment isolés de la société.
Pour ma part, j’ai toujours été très attachée aux réseaux. Depuis le premier jour où je me suis inscrite sur Facebook – le 17 janvier 2009, il y a précisément 14 ans – je suis devenue, chaque année, de plus en plus accro aux likes, aux publications et au scrolling. Bon, travailler dans le monde des médias digitaux ne m’écarte pas de cet univers non plus. Cela dit, ma dépendance est plus psychologique et sociale que professionnelle. C’est bien pour ça que j’ai décidé de relever ce défi.
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Les règles du jeu
Le challenge a duré du 9 janvier au 6 février, donc exactement quatre semaines. Les règles étaient de désinstaller Instagram, YouTube, TikTok, Facebook et BeReal (oui, il y en a qui sont accros). Évidemment, j’ai gardé WhatsApp (histoire de donner un signe de vie à mes proches), Snapchat (pour raconter ma vie à mon groupe de meilleures amies) et Twitter (pour le travail). Le but principal étant de ne pas scroller et de ne pas guetter la vie des autres pendant un mois.
Tous les jours, je me suis promis d’écrire un petit paragraphe pour expliquer comment s’est passée ma journée sans réseaux. En ce qui concerne le travail, j’ai veillé à préparer un document dans lequel j’ai recensé tous les sites qui pouvaient me servir de veille. La veille du jour J, j’ai informé mes abonnés que je quittais Instagram pendant un mois.
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Voilà les trois points qui m’ont le plus marquée lors de ce “dry social media” :
#1 Le sevrage
Comme toute addiction, se priver d’une chose dont on est accro implique un sevrage. Évidemment, ce n’est pas la même chose qu’une personne souffrant d’alcoolisme qui, en période sevrage, peut avoir des tremblements, des hallucinations et même des crises convulsives. Mais quitter les réseaux sociaux implique de se défaire d’une habitude qui, pour ma part, était ancrée dans mon quotidien pendant plus d’une décennie. Au fil du temps, je me suis habituée à me réfugier sur les réseaux sociaux au réveil, avant de me coucher, pour passer le temps, pour ne pas penser aux problèmes et ainsi de suite.
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Les premiers jours sans réseaux ont été difficiles. Étant accro aux stories, je me suis baladée dans Paris les premiers jours de ma cure et je n’avais qu’une envie : montrer aux autres ce que je faisais. Je tiens à dire que les stories représentent pour moi une façon d’exprimer ma créativité, mais l’envie d’impressionner les autres prend souvent le dessus. J’ai également fait face à un sentiment de rejet (auto-infligé) étant donné que je ne recevais plus de notifications, ce qui est complètement infondé étant donné que j’ai volontairement choisi de quitter les réseaux.
Comme je n’avais plus la gratification instantanée de recevoir des likes et des commentaires, je me suis progressivement détachée de mon téléphone : j’ai commencé à le charger de l’autre côté de ma chambre et je l’ai même “perdu” plusieurs fois dans mon appartement (chose qui ne m’arrivait jamais puisque mon téléphone était devenu une extension de mon bras). Après une seule semaine, mon temps passé sur mon téléphone a diminué de 64 %. J’ai commencé à y passer en moyenne 1 h 22 par jour, alors qu’avant, mon temps s’élevait à plus de 4 heures en moyenne.
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Toutefois, le réflexe de vouloir voir des photos a persisté pendant deux semaines. J’ai donc commencé à scroller frénétiquement ma galerie photo. Mais après avoir fait le tour de mes 75 000 clichés au moins trois fois, mon addiction au scrolling a commencé à s’estomper. Je dirais qu’au bout de deux semaines, ma période de sevrage était révolue. La preuve, voici un extrait de mon journal de bord :
“J’aurais bien voulu checker mon téléphone, là. À la place, je prends un café, je feuillette le nouveau livre de photos que j’ai acheté hier, je parle avec mon coloc, j’écris mon feeling de vivre sans les réseaux, ensuite je vais courir. Et le matin, c’est hyper agréable de ne pas checker son téléphone.”
#2 Je suis plus présente
Non, je ne suis pas devenue une moine bouddhiste, je n’ai pas lu 10 livres de Baudelaire et je n’ai pas atteint le nirvana. Mauvaise nouvelle : vos problèmes vous suivent avec ou sans les réseaux sociaux. Par contre, l’impact psychologique positif est indéniable.
Étant une personne stressée, mon angoisse peut être déclenchée par de multiples facteurs environnants. En revanche, après cette expérience, j’ai senti qu’elle a diminué. Je sens qu’aujourd’hui, mon cerveau est plus “aéré” et je me sens moins dispersée. Selon moi, c’est dû au fait que je n’ai pas été exposée à la vie des autres pendant un mois et que je n’étais plus bombardée par un excès d’informations inutiles tous les jours.
Bien que se comparer soit un phénomène social naturel conçu pour que l’être humain puisse s’intégrer et donc vivre en société, les réseaux nous poussent à une comparaison malsaine puisque quasiment tout le monde n’expose que les meilleures facettes de sa vie. Mais que fait-on lorsqu’on est recroquevillé sur notre canapé un dimanche, habillé comme un sac, en déprime (et peut-être en gueule de bois) et qu’on ne voit que des gens qui vivent leur meilleure vie sur Instagram ? Difficile de ne pas comparer.
J’ai aussi remarqué que je me souviens davantage de mes rêves et qu’ils sont beaucoup plus précis et proches de la réalité. J’imagine que ça vient du fait de ne pas scroller avant et après dormir, permettant aux rêves de se consolider dans notre mémoire consciente.
#3 Mes relations sociales se sont améliorées
Étant profondément atteinte de FOMO (Fear Of Missing Out), “la peur de louper quelque chose” en anglais, j’avais une peur bleue d’être exclue de la société pendant ce mois-ci. Mais bien au contraire, j’ai senti que je n’ai maintenu des relations qu’avec les personnes qui comptent vraiment pour moi et les échanges avec eux étaient plus fructueux.
Au lieu de jeter un coup d’œil sur ma vie à travers les stories, beaucoup de mes amis m’ont contactée pour, tout d’abord, me demander si j’étais en vie, mais aussi (et surtout) pour me demander comment j’allais, pour de vrai. Résultat : je me suis retrouvée à avoir des discussions beaucoup plus profondes et personnelles.
Inversement, étant donné que je n’avais plus l’option de poster des stories aux yeux de toutes et tous, j’ai commencé à envoyer des photos aux personnes concernées, ce qui a débouché sur des échanges plus intéressants. Voilà un exemple de photo que j’aurais normalement postée en story et que j’ai finalement envoyée dans le groupe de mes colocataires :
Bien qu’on sache tous qu’une photo postée sur les réseaux n’est pas le reflet de la réalité, quelque part, notre cerveau veut croire à ce qu’on voit. En effet, j’ai déjà beaucoup entendu “tu as l’air super bien j’ai vu tes stories dernièrement” ou bien “je ne t’ai pas demandé comment tu allais parce que je voyais tes stories et tu avais l’air trop bien” lorsque j’étais sur Instagram, alors qu’en réalité, ça n’allait pas.
Expérience à refaire ?
Comme dirait le psychologue Skinner, “les conséquences d’un acte affectent la probabilité qu’il se reproduise”. Puisque mon expérience a été positive, je vais certainement la reproduire. Je suis arrivée à la conclusion que les réseaux me font parfois plus de mal que de bien. Mais si j’emploie le mot “parfois”, c’est bien parce qu’il y a aussi des avantages à être sur les réseaux. Pour ma part, ils me servent à découvrir des nouvelles adresses géniales (grâce à des comptes que je suis de mode, de nourriture et de voyage), à rencontrer des nouvelles personnes, à garder contact avec des amis qui vivent aux quatre coins du monde, à faire de la veille pour le travail (oui, être journaliste en 2023 implique de devoir savoir ce qu’il se passe sur les réseaux) et finalement, à m’inspirer des personnalités que j’admire. De plus, il ne faut pas oublier que les réseaux peuvent être un excellent moyen de trouver un travail ou même un logement (personnellement, j’ai trouvé tous les appartements dans lesquels j’ai vécu de bouche-à-oreille sur Instagram).
Lors d’une discussion, j’ai demandé à ma tante si elle préférait la vie avec ou sans les réseaux et sa réponse résume mon ressenti :
“Je suis née dans les années 1960 et à l’époque, il n’y avait pas WhatsApp. C’était l’époque des répondeurs automatiques et des cabines téléphoniques. Les temps ont changé. Selon moi, les réseaux ont accéléré la communication, mais ça a également envahi nos vies. Cette invasion me fait peur et j’essaye de l’administrer. Aujourd’hui, je suis psychologue et je travaille grâce à mon téléphone. J’ai des groupes de travail sur WhatsApp, je parle avec des personnes du monde entier grâce aux réseaux et j’adore ça. Mais, en même temps, je trouve qu’on est inondés de sujets et de publicités chiantes… Si tu me demandes si c’était mieux avant, je dirais que oui parce qu’il y avait moins d’anxiété et les choses avaient lieu naturellement. Il y avait un temps d’attente, contrairement à aujourd’hui.”
Pour ce qui est de la suite, je veux pouvoir utiliser les réseaux de façon modérée et instaurer des règles, comme ne pas utiliser mon téléphone à partir de 19 heures, ne pas l’utiliser pendant 30 minutes après le réveil et surtout, lorsque je suis en train de faire une autre activité (histoire de me focaliser sur le moment présent). Affaire à suivre…