L’histoire de Pone, Guilhem Gallart de son vrai nom, est hors du commun. Ce producteur, qui fait partie des plus doués de sa génération, a fait les beaux jours du rap marseillais dans les années 1990-2000 avec la légendaire Fonky Family – le crew qui a cristallisé il y a 18 ans “l’art de rue”, dans un deuxième album somptueux.
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Mais alors que l’aventure FF s’achève dans la gloire en 2007, et que chacun des membres du groupe se tourne vers une carrière solo, le destin de Pone se montre soudainement cruel. En avril 2015, on lui diagnostique une sclérose latérale amyotrophique (SLA), plus communément appelée “maladie de Charcot”, une pathologie neurodégénérative incurable qui paralyse progressivement l’intégralité des muscles du corps.
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C’est un comble pour Pone : celui qui a fait bouger les têtes de toute une génération avec ses instrus à la fois émouvantes et percutantes se retrouve immobilisé et contraint de vivre sous respirateur artificiel dans une chambre médicalisée. Il a beau être tétraplégique et avoir frôlé la mort à plusieurs reprises, ce génie des machines n’a jamais été aussi heureux et vivant qu’aujourd’hui.
Soutenu par l’amour inconditionnel de sa femme et de ses deux filles, il a progressivement appris à vivre avec sa maladie. Mieux encore, l’ex-producteur a fait de la lutte contre la SLA son principal combat. Sur son site Internet, La SLA pour les nuls, il met en lumière cette pathologie encore trop méconnue en racontant sa propre expérience, afin que plus aucun malade ne se sente démuni face à ce fléau.
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Dans cette nouvelle vie, l’artiste ne manque clairement pas de projets et s’est même récemment remis à composer… avec ses yeux, l’une des rares parties de son corps dont il a conservé la maîtrise. Pour le plus grand plaisir de nos oreilles, il a déjà composé plus de 70 morceaux depuis le début de l’année.
Devenu muet, Pone ne communique plus que par l’intermédiaire d’un ordinateur, mais il reste un bel exemple de courage. Rencontre.
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Konbini | Salut Pone. Comment tu te sens aujourd’hui ? Où en est ta maladie ?
Tu es atteint de la maladie de Charcot depuis 2015. Comment as-tu vécu la chose quand tu as appris que tu avais cette maladie incurable ?
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Tout s’écroule. Tu réalises immédiatement ce qui t’attend, quand tu connais la maladie. Je la connaissais car j’avais regardé sur Internet : c’était un peu l’épouvantail des sites de santé.
T’es passé par les cinq phases du deuil ?
Quand je l’ai appris, je ne me souviens pas avoir été en colère ni d’avoir eu une période de déni. Mais oui, j’ai eu une grosse dépression. C’est un énorme coup que tu prends, il n’y a rien de comparable. C’est difficile à décrire, mais c’est une situation globale où tu fais immédiatement face à la mort, à la fin de tout.
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Le déclic s’est produit lors de mon séjour en réanimation. J’ai touché le fond, physiquement. J’ai connu le coma, l’arrêt cardiaque, etc. Plus bas, c’est la mort. C’est l’amour de ma femme qui m’a sauvé, au sens propre comme au figuré. Elle s’est battue lorsque plus personne ne croyait en ma survie. J’ai découvert un amour infini. C’est ce qui m’a sauvé.
Tu as tant perdu, mais paradoxalement on a l’impression que tu n’as jamais été aussi serein, que ta maladie a fait de toi un homme nouveau, dans tous les sens du terme.
Exactement. On n’imagine pas l’importance de la paix, mais elle est la base de tout. J’ai du mal à exprimer ça, mais c’est cette paix qui m’a permis d’évoluer, d’accepter ma situation et de devenir une meilleure personne.
Ton combat principal, c’est ta maladie. Tu fais aussi de la prévention via ton association. Tu peux nous en parler un peu ?
En sortant de réanimation, j’avais un statut de survivant. Après quoi, j’en ai pris conscience et j’ai commencé à fréquenter des réseaux de malades. C’est à ce moment-là que j’ai constaté le manque d’information sidérant sur la SLA. J’ai voulu agir en ce sens. J’ai commencé à écrire des statuts informatifs et l’idée d’un site Internet dédié est partie de là.
Depuis, je me suis pris au jeu. J’ai demandé le concours de médecins, de programmeurs et aujourd’hui, sur le site, je propose de la prévention sans prétention, juste au travers de mon parcours et de mes propres expériences.
Le sujet est grave, mais tu arrives à le traiter dans tes écrits avec beaucoup de sincérité, de manière décomplexée, et même parfois avec humour.
Oui, je raconte les choses comme je les sens et sans prétention. Je pense avoir acquis les connaissances nécessaires pour être légitime. Aujourd’hui, je suis contacté par des malades, mais aussi par des professionnels de santé. Ils me sollicitent pour des techniques, des approches, etc.
Comment expliques-tu le manque cruel d’informations autour de ta maladie ?
Dans le cas de la SLA, l’espérance de vie est très courte sans trachéotomie. On a donc très peu de porte-parole et puis une majorité de médecins nous considèrent comme morts.
C’est scandaleux, indigne et à la limite de la légalité. Tu n’imagines même pas à quel point il faut faire du forcing pour certaines prises en charge. Il y a des directives anticipées – elles sont juridiquement opposables, mais malgré cela de nombreux médecins les ignorent. Seulement un médecin sur cent va proposer la trachéotomie comme une alternative. Ça a été mon cas, car ma femme a réussi à faire du forcing, mais je te parle de milliers de morts par an.
C’est parce que c’est risqué et que la prise en charge de ces traitements coûte cher ?
Oui, mais aussi pour des raisons éthiques.
Quand tu es tombé malade en 2015, j’imagine que tu étais persuadé que tu ne pourrais plus faire de musique. Comment tu as vécu cette possibilité ?
Très sincèrement, je m’en foutais. La musique ne m’a même pas manqué, quand j’y pense. J’ai eu l’envie de recommencer quand j’ai vu que c’était possible. Ça remonte à décembre 2018. J’ai téléchargé un logiciel pour essayer, et j’ai vu que je pouvais. J’utilise Ableton Live, un logiciel de production musicale classique.
Je m’en sers comme n’importe quel outil informatique qui fonctionne avec mon système, et avec lequel je peux interagir avec mes yeux. Il y a quelques trucs que je ne peux pas faire, mais grosso modo je peux tout faire.
Je maîtrisais le logiciel avant la maladie, donc pas de problème. Mais c’est sûr que c’est beaucoup plus long qu’avant.
Quatre ou cinq heures par jour, dans les jours normaux. Si je m’en fichais au début, la flamme s’est carrément ravivée.
Oui, parce que j’aime bien le contact. Il y a le hip-hop, mais je pourrais faire ça sur n’importe quoi. N’importe quoi, tant que ça m’inspire, bien sûr.
Tu as toujours plein de projets : livres, albums…. Où en es-tu dans tout ça ?