Depuis 2012, Michael David Quattlebaum Jr. opère sous le nom de Mykki Blanco. Un alter ego décadent, figure de la scène queer et de la cause LGBTQ, qui pour la première fois nous ouvre les portes de son intimité grâce à l’album Mykki. Rencontre.
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Que l’on adhère ou non à sa musique, Mykki Blanco laisse rarement indifférent. Depuis ses débuts il y a quatre ans avec “Haze.Boogie.Life”, ce rappeur et performer américain est devenu l’un des chefs de fil de la scène rap queer, un statut qu’il a atteint grâce à des morceaux puissants, voire hardcore, un franc-parler déroutant et une identité transgenre qui ne cesse de brouiller les pistes entre féminin et masculin. “Prenez-vous un Mykki qui peut faire les deux“, déclarait-il fièrement sur page Facebook en juillet dernier.
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En embrassant son homosexualité et en faisant fi des stéréotypes de genre, Michael David Quattlebaum Jr. (de son vrai nom) est naturellement devenu l’un des hauts représentants de la communauté LGBTQ, à laquelle il n’hésite pas à s’adresser régulièrement via sa page Facebook. Se voulant proche de ses fans, Mykki se sert des réseaux sociaux comme d’un journal intime. En juillet 2015, quelques mois après avoir annoncé qu’il souhaitait mettre fin à sa carrière musicale pour se tourner vers le journalisme d’investigation, le rappeur s’est fendu d’un post pour annoncer sa séropositivité. Un geste fort et courageux, qui a un peu plus renforcé son message de tolérance et d’acceptation de soi.
Après des années passées en tant qu’artiste indépendant, à enchaîner les festivals à travers le monde et à nous abreuver de mixtapes, Mykki Blanco s’apprête aujourd’hui à dévoiler son tout premier album, sobrement baptisé de son prénom de scène, Mykki. Et pour cause : pour la première fois, Michael David Quattlebaum Jr., qui jusqu’ici s’était limité à partager une image d’infernal party-goer, nous invite à passer de l’autre côté du miroir. “Avec cet album, je veux que les gens découvrent qui je suis réellement à l’intérieur”, nous confiera-t-il. Rencontre avec l’un des artistes les plus engagés de sa génération.
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“On a fait le Roméo et Juliette le plus radical et le plus queer possible”
Pour annoncer la sortie de ton album Mykki, tu as dévoilé le clip de “High School Never Ends”. Comment est née cette idée de romance tragique à la Roméo et Juliette ?
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La première version que nous avions pensée avec Matt Lambert, le réalisateur de ce clip, était en fait plutôt joyeuse. On voulait raconter l’histoire d’une famille de queers hippies, une famille dans laquelle je vivrais sur une ferme et au sein de laquelle j’aurais eu un enfant. C’était le plus gros truc de la vidéo : moi avec un enfant. Moi en parent.
Tu aimerais être parent ?
Oh, je prévois d’être parent ! Je suis une personne très très très énergique, et je sais que quand j’aurai 40 ans ce sera toujours le cas, donc j’ai besoin d’avoir un enfant, pour me canaliser. Mais je n’en aurai qu’un, c’est beaucoup trop de boulot [rires] ! Je m’occupe beaucoup des enfants de ma sœur, ce qui me donne un bon entraînement, d’autant plus qu’ils ont des personnalités très différentes et, quand tu élèves des enfants, tu dois être neutre. J’entends par là que tu dois avoir de la discipline, c’est essentiel, mais quand tes enfants ont des idées, tu te dois de les encourager, parce que tu ne sais jamais où ces idées peuvent les mener dans la vie. Mais ouais… on disait quoi déjà ? [Rires.]
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Le clip de “High School Never Ends” !
Ah oui. Donc l’idée première était celle-là, et puis on s’est dit qu’il fallait qu’on la rendre plus intéressante. On s’est dit : “OK, changeons cette famille de queers hippies en une famille de queers… anarchistes ! Ah, et il faut aussi qu’un grand désastre se produise. Pourquoi pas une fin du monde qui conduirait tous les survivants à vivre sur cette ferme ? Ou alors le gouvernement qui aurait pris le contrôle sur tout, et dont le monde entier devrait se cacher ?” C’est comme ça qu’on a modifié l’idée de base petit à petit.
Et puis il nous fallait aussi prendre en compte l’aspect esthétique de la vidéo. On voulait faire quelque chose de très cinématographique, raconter un film en moins de dix minutes. Le thème de Roméo et Juliette nous a paru évident pour cela. On a fait le Roméo et Juliette le plus radical et le plus queer possible [rires] !
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“En Europe, j’ai clairement vu une montée du racisme avec la crise des réfugiés”
Au-delà de l’esthétique cinématographique qui s’en dégage, ce clip évoque également la crise des réfugiés en Europe…
Oui. Ce qui est important dans cette vidéo, c’est qu’elle ne se concentre pas sur un groupe de Blancs punks et anarchistes, mais sur un groupe de queers et anarchistes brown. L’objet de ce clip n’est pas tellement cette romance vécue par un queer transgenre ; l’objet de ce clip, c’est cette romance vécue par un queer transgenre et brown.
Depuis 2012, je vis par intermittence en Europe, et j’ai clairement vu, dans certains pays et certaines villes, une montée du racisme avec la crise des réfugiés. Et c’est quelque chose auquel je n’étais pas préparé. Plusieurs fois, j’ai senti cette ambiance pesante, où rien n’est dit mais où les gens te regardent de travers, ou te servent après tout le monde dans les restaurants. […]
Je déteste dire ça, et j’adore vraiment mes fans italiens, mais à mes yeux l’Italie est devenu l’un des pays les plus racistes de l’Europe depuis le début de cette crise des réfugiés. En novembre 2015, j’étais dans le nord de l’Italie, et pour la première fois, un mec m’a hurlé dessus dans la rue en me disant qu’il fallait que je “rentre dans mon pays”. J’étais vraiment choqué, parce que ça fait cinq ans que je vais en Italie, et jusqu’alors les gens m’avaient toujours traité avec respect.
“Tant que le gouvernement n’agit pas, les gens vont continuer à devenir fous”
J’imagine que tu ressens également ce genre de tension chez toi, aux États-Unis…
Oh my god… Ce qu’il se passe est terrifiant. Les gens ne se sentent pas en sécurité.
Toi, tu te sens en sécurité ?
Pour être honnête… oui et non. Ces choses-là se produisent depuis des années ; simplement, avant, la technologie n’était pas aussi présente. Il y a aussi une histoire de classes sociales, dont peu de médias ont fait état. Avant, on avait l’impression que ces tueries ne concernaient que les classes qui étaient considérées comme les plus pauvres. Donc quelque part, si tu étais afro-américain mais que tu étais élevé dans une classe plus aisée, tu te sentais protégé.
Mais aujourd’hui, on se rend compte que ces tueries sont totalement aléatoires, qu’elles concernent tous les Afro-Américains. Aujourd’hui, tu peux te faire tuer parce que tu montres (conformément à la loi) tes papiers d’identité lors d’un contrôle routier ! C’est arrivé deux fois, à Sandra Bland et à Philando Castile.
Et, face à cela, j’ai l’impression que le gouvernement ne fait pas les bons choix – ou plutôt qu’il ne fait rien du tout ! Je me demande quel niveau d’indignation on va devoir atteindre pour que le gouvernement se bouge enfin.
Du coup, les gens décident de faire leur propre justice, comme on a pu le voir à Dallas en juillet dernier…
Oui. Et les officiers qui ont été tués à Dallas étaient innocents, ils avaient des familles ! Voilà où tout cela nous conduit : à la démence. Quand les gens ont le sentiment que tous les policiers incarnent le mal, et que rien n’est fait pour que cela change, ils font leur propre justice, comme tu l’as dit. Un des officiers tués ce jour-là était d’ailleurs très engagé auprès de la communauté afro-américaine, c’est terrible ! Mais tant que le gouvernement n’agit pas, les gens vont continuer à devenir fous.
“Je ne voulais plus faire de musique car je me suis senti pris au piège”
Tu fais de la musique depuis 2012, mais Mykki est ton premier album. Pourquoi avoir attendu tout ce temps ?
Ce n’est pas que je voulais attendre, c’est que je n’avais tout simplement pas de label jusque-là. Sortir un album en étant indépendant, c’est extrêmement coûteux ! Tout comme faire une journée promo comme celle-ci, ou partir en tournée… Tout cela fait partie d’un immense mécanisme qui n’est rendu possible que par la signature avec un label, ou en tout cas avec quelqu’un qui peut te porter vers un plus large public.
Mais il y a aussi eu le manque de temps. J’ai signé énormément de contrats pour faire de très longues tournées. J’étais là : “Ouais, j’adore les concerts, let’s do this !“ Et puis c’est aussi comme ça que tu fais de l’argent. Mais du coup, en me consacrant à ces tournées, je n’avais plus le temps d’écrire, de trouver un concept. J’étais chaque soir dans une ville différente, pendant six, neufs mois…
C’est pour ça qu’un jour, j’ai craqué. J’ai dit que je ne voulais plus faire de musique car je me sentais pris au piège, je n’arrivais pas à accéder au niveau supérieur. Mais, heureusement, c’est à ce moment-là que j’ai commencé à travailler avec le label !K7, qui m’a approché après ma collaboration avec Tricky.
J’encouragerai toujours les artistes indépendants. Après tout, c’est ma cinquième année avec le projet Mykki Blanco, j’ai déjà fait le tour du monde trois fois, sorti huit clips, plusieurs mixtapes… je suis allé loin ! Mais à un moment donné, si tu veux aller plus loin, soit tu trouves un investisseur privé, soit tu économises chaque centime de ton porte-monnaie [rires], soit tu trouves un label. Je n’aurais pas pu faire cet album sans !K7.
“Jusqu’ici, les gens me connaissaient comme un gros fêtard”
Mykki est un album dense, bercé par des énergies et des atmosphères très différentes. “The Plug Won’t” est plutôt animal, assez proche des titres que tu nous as offerts par le passé, tandis que “High School Never Ends” ou “Loner” sont beaucoup plus mélancoliques, et c’est assez nouveau chez toi… Quel est le concept qui anime cet album?
Le concept, c’est moi. Je n’étais pas à l’aise avec cette idée au départ, parce que jusqu’ici je n’avais jamais écrit de paroles personnelles. Jusqu’ici, les gens me connaissaient comme un gros fêtard, quelqu’un de décadent, mais il n’avait jamais vu ce qu’il y avait derrière tout ça. Donc j’ai voulu sortir de moi toutes ces choses personnelles, et Woodkid [qui a participé à la production de l’album, ndlr] m’a beaucoup aidé là-dessus. Je n’avais jamais fait de morceau sur une histoire d’amour, par exemple !
Avant cet album, tu avais déjà fait plusieurs déclarations très personnelles, notamment en juillet 2015, lorsque tu as annoncé que tu étais séropositif. Cette révélation a-t-elle eu un impact sur ta carrière ?
J’étais persuadé que ça allait avoir un effet très négatif, et ça a finalement été tout l’inverse ! J’aime savoir ce que les gens pensent réellement de moi ou de mon art, et je crois que cette annonce a effrayé tous les gens avec lesquels je ne devais de toute façon pas travailler, tout en rapprochant ceux avec lesquels je devrais travailler.
Et puis en faisant ça, les gens savent un peu plus qui je suis : ils connaissent ma musique, ils connaissent mon art, mon état de santé… donc s’ils veulent un jour bosser avec moi, ils savent à quoi s’attendre. C’est une immense bénédiction.
Donc tu ne vas pas arrêter la musique pour devenir journaliste ?
Non [rires] ! J’ai la chance d’être entouré de personnes qui m’ont dit : “NON, MYKKI, il faut que tu continues la musique !” Sans elles, je serais probablement en train d’étudier à l’école… Parce que quand je me prends de passion pour un sujet, c’est comme une crise : je dois tout apprendre, tout connaître. Je le sais depuis que je suis très jeune : si je perds tout dans ma vie, je pourrais me reconstruire une nouvelle vie en un claquement de doigt. Si tout par en vrille, je saurai toujours rebondir.
Le premier album de Mykki Blanco, Mykki, sortira le 16 septembre 2016 sur le label !K7.