Rencontre avec Andrea Arnold, la réalisatrice d’American Honey qui suit un groupe de jeunes faisant du porte à porte pour vivre, le tout sur une BO costaud.
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Andrea Arnold est assurément la réalisatrice de la semaine, avec son road movie American Honey. Un long et bon moment de cinéma qui mettra d’accord toutes les générations. Elle suit une bande de jeunes qui a choisi de sillonner les routes pour faire du porte à porte. Leur travail, très précaire, consiste à vendre des magazines à des particuliers. American Honey dépeint cette jeunesse insouciante sous la direction d’une chef tyrannique (Riley Keough), qui impose ses propres règles. L’une d’entre elles interdit les relations entre les membres de l’équipe. Mais Sasha Lane et Shia LaBeouf, les deux héros du film s’attirent, irrésistiblement.
La cinéaste britannique est une vraie pile électrique. Une baroudeuse avec un côté ado. Inquiète du monde dans lequel elle évolue, cette grande voyageuse humaniste déteste les GPS, notamment parce qu’ils ne lui indiquent pas les spots qui méritent un détour de son chemin.
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Andrea Arnold est une tête brûlée, qui sait où elle met les pieds. Chaleureuse et attentive, elle a beaucoup de mal à rester sur sa chaise, à enchaîner les interviews, du matin au soir. Je suis la dernière à passer ce jour-là. Elle me confie qu’elle en a marre de parler de son film. Ça tombe bien : je lui explique qu’on parlera des voyages qui l’ont inspirée. Elle sourit et commence à me raconter les nombreux kilomètres qu’elle a parcouru avant American Honey.
Konbini | Comment est née l’idée du film ?
Andrea Arnold | J’ai toujours voulu faire un film sur ces ados qui font du porte à porte pour vendre des abonnements de magazines. L’idée s’est concrétisée il y a quatre ou cinq ans. Je traversais une période difficile, notamment à cause du film Les Hauts de Hurlevent, que je présentais au festival Sundance en 2011. J’y ai passé deux jours sombres et enneigés. L’équipe du festival m’a ensuite emmenée à l’aéroport pour que je rentre à Londres. Il était tôt, le soleil se levait sur les montagnes de l’Utah : c’était incroyablement beau.
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Tout à coup je me suis sentie particulièrement vulnérable, j’étais triste à l’idée de partir, d’avoir passé si peu de temps dans cet endroit magnifique que j’avais à peine découvert. J’ai commencé à me sentir troublée, mal à l’aise, alors j’ai loué la dernière voiture disponible de l’aéroport. Je suis retournée chercher mon sac déjà chargé dans l’avion, je l’ai jeté dans le coffre et je suis partie.
Vous aviez une destination particulière en tête ?
Je n’en avais aucune idée. C’était étrangement libérateur. J’avais l’impression d’être en quête de quelque chose. Je roulais dans le blizzard et les rafales de neige jusqu’à ce que je m’arrête dans un Denny’s. Dans la voiture, “Spirit in the sky” de Norman Greenbaum passait à la radio, la chanson du road trip par excellence. J’ai senti que c’était le début de quelque chose. C’était stupide, j’étais un peu naïve, mais je fonçais.
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À quoi ressemblait votre road trip ?
Je suivais les conseils des gens que je rencontrais. Un jour quelqu’un m’avait conseillé le Broken Spoke à Austin pour apprendre le “two steps”, la danse des cowboys. J’ai ensuite essayé de trouver un endroit où aller danser toutes les nuits. Un soir, j’ai dû m’arrêter en Alabama à cause des tornades. Je me suis retrouvée dans un club de blues au milieu des bois à discuter avec un médecin légiste couvert de tatouages pendant que des gens rôtissaient des poissons-chats. J’ai eu des moments exaltants, d’autres horribles.
En quoi vous a-t-il inspiré pour le film alors ?
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J’essayais d’aller dans tous les endroits où ces ados qui vendent des abonnements au porte à porte allaient. Je me suis fait des frayeurs en me perdant seule, alors que des tempêtes éclataient tout près. Je dormais dans des motels, n’importe où. Je ne planifiais rien. Parfois ça devenait trop dur. Je me souviens d’un gîte en particulier à l’est du Texas où je suis restée deux jours simplement parce que je m’y sentais bien. Je profitais de la vue.
C’était très fort émotionnellement comme expérience. C’était autant la préparation du film qu’un voyage initiatique.
Combien de temps avez-vous mis pour faire le film ?
Le processus tout entier a pris trois, quatre ans. Je faisais des allers-retours. Ensuite j’ai commencé mon casting sauvage. En parallèle, je faisais d’autres voyages qui me servaient d’excuses, juste pour être sur la route. C’était génial et très intéressant.
Quel a été le moment le plus fort de ces road trips ?
Ma première expérience, ma fuite à l’aéroport de l’Utah. J’avais l’impression de me libérer moi-même après être tombée dans une sorte de trou noir. Entreprendre ce voyage m’a fait sortir de ce trou. Je chantais et j’écoutais de la musique, je traversais des endroits divins comme la Death Valley.
Une petite ville dans laquelle je me suis arrêtée m’a aussi beaucoup marquée : tous les hôtels y étaient très étranges, avec des pièces entières remplies de machines à sous. Face à tous ces gens enveloppés dans un nuage de fumée de cigarettes, sur les visages desquels se reflétaient la lumière des écrans, je me souviens avoir pensé : “Mon Dieu, je ne veux pas d’un monde comme celui-ci, je ne veux pas que les humains soient connectés à des machines, je veux qu’ils se connectent entre eux.”
Vous dressez un portrait fort de cette bande de jeunes, vous vous sentez jeune dans votre tête ?
Une partie de moi se sent très jeune. Je pense que nous avons tous ça en nous : la capacité de nous sentir jeune, mais aussi très matures. Je me sens très libre et je ne l’étais pas avant. Et quand on se sent libre, on se fout de ce que les gens pensent.
Ma devise c’est : “Ne blesse pas mais ne te laisse pas blesser.” J’ai le sentiment que tant que je ne fais de mal à personne, je suis libre. Ça fait très hippie ce que je raconte [rires].
Quand avez-vous su que Sasha Lane était la personne idéale pour le rôle de Star, l’héroïne du film ?
C’est difficile à dire. Quand je l’ai rencontrée pour la première fois, elle était sur ses gardes, elle posait beaucoup de questions mais en même temps je la sentais ouverte. Beaucoup de gens sont très suspicieux à la première interaction. Sasha était prudente mais pas fermée, elle avait conscience que je disais sûrement la vérité, que le projet de film était réel.
C’est vraiment quelqu’un de libre et d’aimant. Elle s’intéresse aux autres, sa générosité est spontanée. Quand je l’ai vu s’amuser avec ses amis, elle avait juste l’air vivante et libre. Elle a ses limites, ce qui est une bonne chose. Mais elle a accepté de tenter tout ce que j’attendais d’elle. Elle est encore très jeune mais elle est sage.