Il y a 25 ans, The Fugees sortaient The Score, l’album parfait

Publié le par Aurélien Chapuis,

Lauryn Hill, Wyclef Jean et Pras Michael étaient alors sur le toit du monde, quelques mois avant de se séparer.

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Le 13 février 1996, le trio rap The Fugees sort son deuxième album, The Score. Composé de Lauryn Hill, Wyclef Jean et Pras Michael, le groupe propose à cette époque un style de rap très ouvert sur la soul, la funk, le reggae et la musique caribéenne. En effet, Fugees est un diminutif de “refugees” et les origines haïtiennes de Wyclef et Pras se ressentent totalement sur leurs compositions dès leur premier album, Blunted on Reality en 1994.
Déjà sur ce premier opus, The Fugees est un groupe ambitieux, chaque membre mélangeant rap et chant avec une facilité désarmante, même si l’ensemble est très porté sur le rap technique et rapide, une constante de l’époque. Même Lauryn Hill, qui sera réputée ensuite pour sa voix incroyable, est ici plutôt en train de se tester et rappe sur une grande partie du disque.
Malgré quelques coups d’éclat comme le remix de “Nappy Heads” par Salaam Remi ou le single “Boof Baf”, ce premier album ne rencontre pas un grand succès – trop hargneux pour certaines critiques, encore trop brouillon pour le grand public. Leur label Ruffhouse pense même arrêter l’aventure là mais propose tout de même un deuxième album, conscient du potentiel du groupe et de l’aura de Lauryn Hill à l’écran, découverte en jeune chanteuse rebelle dans Sister Act 2 aux côtés de Whoopi Goldberg. Le producteur Chris Schwartz leur offre alors 135 000 dollars pour proposer un nouvel album. Le futur lui donnera plus que raison.

La conception de The Score des Fugees se fait en grande partie dans le nouveau studio de Wyclef Jean qu’il s’est créé chez son oncle avec l’avance de Ruffhouse. Surnommé le Booga Basement, ce studio devient le théâtre d’un vrai mélange des genres entre juin et novembre 1995. Dans le livre Check The Technique de Brian Coleman, Wyclef décrit ses séances d’enregistrement comme très relaxantes : “Tout a été fait calmement, presque inconsciemment. Il n’y avait aucune pression, c’était vraiment juste : ‘Allez, faisons de la musique’ et ça a commencé à former quelque chose d’incroyable. Ça sonnait comme un album de hip-hop bon esprit pour nous, quelque chose de différent, moins dur que ce qui se faisait à l’époque. On était juste trois jeunes urbains qui s’exprimaient.”
Au fur et à mesure, l’album devient un concept, une bande originale d’un film qui n’existe pas, un Score. “C’est un film audio, dira Lauryn Hill, c’est un peu comme les feuilletons radio dans les années 1940. Ça raconte une histoire et il y a beaucoup de coupures et de pauses dans la musique. Pour nous, c’était vraiment la version hip-hop de Tommy, c’est exactement ce que The Who ont fait pour le rock.” Cette référence au cinéma va être une constante aussi dans les clips de l’album qui soit reprennent carrément des univers de films existants, soit se déroulent directement dans des salles obscures.

L’ensemble de l’album est plus calme et posé, notamment grâce à la connexion avec le producteur Salaam Remi. Après leur avoir fourni deux remix très réussis pour “Nappy Heads” et “Vocab”, il va les aider à produire leur premier tube, “Fu-Gee-La”. “À la base, j’avais prévu cette instru pour Fat Joe”, dévoile Salaam Remi dans Check The Technique. “C’était pendant les sessions d’enregistrement pour la bande originale de Clockers, le film de Spike Lee. Au final, Fat Joe n’aimait pas l’instru donc je l’ai proposée aux Fugees qui voulaient qu’on rebosse ensemble. Je me souviens que Lauryn n’était pas emballée au début, elle le trouvait trop proche de mon remix pour ‘Nappy Heads’ peut-être. Par contre, Wyclef était à fond, c’est là qu’il sort directement : ‘We used to be number ten, now we’re permanent one !’ qui deviendra la première rime du morceau.”
Wyclef est alors persuadé que “Fu-Gee-La” sera leur single, le hit de l’album. Ils vont tourner le clip en Jamaïque, en essayant de recréer le film The Harder They Come avec Jimmy Cliff, un classique de 1973. Le refrain de Lauryn Hill devient rapidement addictif, tout comme les petits ponts raggamuffin que propose Wyclef.

L’album The Score est composé de multiples références à l’univers musical des Fugees. Ainsi, on retrouve de nombreuses mélodies de leur enfance ou de leur patrimoine culturel, parfois reprises telles quelles, juste remixées. Et c’est cette vision modernisée de classiques soul ou reggae qui va vraiment marquer le monde. Le charisme de Wyclef mélangé au talent vocal incroyable de Lauryn et au pragmatisme de Pras crée des versions complètement inédites de standards de la musique.
Ainsi “Ready or Not” est une interpolation du classique des Delfonics et “Fu-Gee-La” reprend un refrain de Teena Marie sorti en 1988“No Woman No Cry” est bien sûr une reprise actualisée du tube intemporel de Bob Marley & The Wailers et leur plus gros tube “Killing Me Softly With This Song” est un remix de Roberta Flack. “J’avais cette idée un peu folle de mixer l’a cappella de Roberta avec le break de batterie de A Tribe Called Quest pour ‘Bonita Appelbum’. Et on l’a gardé plus ou moins comme ça, instinctivement”, détaillera Pras, toujours dans Check The Technique de Brian Coleman.

“Killing Me Softly With This Song” va devenir leur plus gros hit et ainsi pousser l’album à des sommets jamais atteints. “Je ne pensais vraiment pas que ce serait notre morceau le plus connu à ce jour. Je ne pensais même pas qu’on en ferait un single, dit Wyclef, C’est vraiment quand on a vu l’engouement du public pour ce titre au fur et à mesure des écoutes de l’album qu’on s’est décidé à sortir le clip. Et encore, il n’est sorti qu’en Europe au début, on ne voulait pas que ça vampirise les ventes d’un album qu’on avait prévu pour être un ensemble, un tout.”
Car l’album The Score comporte aussi des gros titres rap où les Fugees se lâchent totalement. Le groupe se sublime alors avec les apports de John Forte, qui sera aussi à la production de certains titres, mais avec aussi le crew Outsidaz sur l’incroyable morceau “Cowboys”. Alors en développement, Outsidaz a pourtant en son sein des rappeurs exceptionnels comme Young Zee, Slang Ton, Pacewon mais aussi la fulgurante Rah Digga, qui partira avec Busta Rhymes et son Flipmode Squad quelques mois plus tard. On les retrouve dans le clip très fort de “Cowboys”.

Outsidaz sont les jeunes protégés du Refugees Camp, le groupe étendu de The Fugees où l’on retrouve aussi le très bon John Forte donc. Quelque temps plus tard, les membres d’Outsidaz s’allient avec des rappeurs de Detroit, friands de freestyles et d’open mics comme eux. Et parmi eux, il y a le jeune Eminem, avec qui ils sortiront plusieurs morceaux au début de sa carrière de Slim Shady.
Quelques mois après la sortie de The Score, le groupe se sépare alors que l’album est encore au top de tous les classements. Wyclef et Pras s’écharpent entre cousins, pendant que Lauryn Hill cherche plus de liberté en solo, qu’elle trouvera sur son premier album totalement mythique en 1998. The Fugees resteront donc le groupe d’un album quasi parfait, avec un propos social et politique très fort, mélangé à un univers cinématographique et imprégné de grands standards de la musique soul et reggae. The Score des Fugees est un album intemporel qu’il serait impossible de refaire en 2021.

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