Ateyaba, Quavo et Travis Scott, 13 Block, Damso, Hamza, Veerus, Derek Wise, Koba Lad, Jazzy Bazz, Deen Burdigo, Niska, Freeze Corleone, Chance the Rapper… Autant d’artistes reconnus qui ont un point en commun : avoir collaboré avec Ikaz Boi. Le prolifique producteur originaire de La Roche-sur-Yon, tout comme son compère de toujours Myth Syzer, s’est imposé au fil des années comme l’un des hommes de l’ombre les plus importants des années 2010. Futuriste, créatif, avant-gardiste, les adjectifs pleuvent dès qu’il faut le qualifier.
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S’il se fait très discret dans les médias, il est pourtant l’un des fondateurs du rap d’aujourd’hui. Avec ses prod’ atmosphériques, il s’était même fait remarquer par Brodinski – qui n’avait pas hésité à le signer sur son label Bromance – avant de cofonder son propre label STELLAR 90. Après une première escapade en solo particulièrement réussie l’année dernière, Ikaz Boi est de retour avec Brutal 2, disponible depuis le 27 septembre.
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Un projet peut-être plus cohérent et moins démonstratif en termes de sonorités que le premier volume, mais qui met tout autant à l’honneur sa vaste palette technique. Cette fois, il s’est entouré de ses habituels collaborateurs Hamza, Damso et les trois quarts de 13 Block, mais aussi de rookies très prometteurs tels que Kobo ou 404Billy, pour ne citer qu’eux. Entretien fleuve avec l’un des meilleurs producteurs de cette génération dorée.
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Konbini | C’est ton second projet perso après Brutal l’année dernière. Avec le recul, comment tu juges ce premier album ?
Ikaz Boi | C’était une belle entrée en matière. Il y a un peu de tout, le côté instrumental, les featuring américains mais aussi francophones… J’ai une ambition sur le long terme. Je veux décliner Brutal en plusieurs projets différents pour donner ma vision de la musique, des genres que j’apprécie et surtout des featurings que je fais. C’est dans cette optique que j’ai eu l’idée de ramener uniquement du rap francophone pour Brutal 2. Mais le 3 ce sera encore autre chose, et ainsi de suite.
J’allais te demander “pourquoi ce choix d’en faire une suite ?”, mais ce n’est pas vraiment une suite alors.
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C’est des projets différents sous la même appellation. Les gens pourront ensuite trouver leur compte dans tout ça.
J’en parlais avec Almeria la dernière fois, est-ce que tu penses qu’il y a un retour de mode des projets de producteurs ?
Oui, je pense. Je serais content qu’il y en ait encore plus ! Il y a une réelle augmentation. Beaucoup de producteurs souhaitent faire des morceaux avec des rappeurs, mais pour leur propre projet.
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Comment t’as choisi tes invités ?
Au feeling. Plus j’avançais dans le projet, plus j’en appelais d’autres parce qu’il me manquait telle sonorité sur telle track. J’ai commencé à enregistrer les sons avec les membres de 13 Block. C’était vraiment le squelette du projet. Vu que j’avais fait les trois en solo, je me suis dit que j’allais continuer sur ce modèle-là, mais avec différents artistes et différents horizons.
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Sidikey, Stavo, Zefor… Mais il est où Zed ?
Zed, il… n’est pas là. Pendant qu’on faisait ce projet-là, il s’est passé pas mal de trucs dans ma vie. L’ensemble a fait que je n’avais pas beaucoup de temps pour mettre tout le monde que je voulais initialement sur le projet. J’ai dû faire des concessions.
Quand est-ce que tu as débuté Brutal 2 ?
Je l’ai commencé juste après Brutal. C’est là que j’ai fait poser les trois membres de 13 Block. Puis il a dû se passer deux ou trois mois avant que je sache vraiment ce que je voulais faire. C’est en revenant du Japon que j’ai mis un coup d’accélérateur pour boucler le projet.
Les voyages nourrissent la musique ou c’est juste un mythe ?
Non ça enrichit ma musique, c’est clair. Voyager, c’est un luxe parce que ça te donne la possibilité de créer n’importe où et dans des conditions différentes. Par exemple, ce que je vais faire au Japon ne sera pas la même chose que ce que je vais faire à Toronto. C’est ça qui est intéressant, ça donne vraiment de l’inspi, surtout avec des potes. J’avais une date au Japon, et c’était le bon moment de passer du temps là-bas. Tu sens vraiment que t’es loin de chez toi.
Il y a moins de pistes que sur le premier Brutal.
Mais quasiment autant de minutes !
Pourquoi avoir enlevé les interludes ?
Parce que j’ai d’autres idées pour les prochains Brutal.
Comme un Brutal avec uniquement des tracks instrumentales ?
Exactement.
“Harp Theme” est le seul morceau instrumental de ce projet.
Pour ouvrir sur le prochain justement.
Tu bosses déjà dessus ?
Je travaille dessus en ce moment et on va voir si on peut sortir ça dans les prochains mois. J’ai pas mal de sons dans mon ordi. Beaucoup même.
Comment t’as découvert Olazermi, présent sur l’intro “Code 46” ?
Via Stavo. C’est son cousin en fait.
D’où la grosse voix.
On était en Belgique, il y avait une date de 13 Block, Hamza et moi le soir même. Juste avant, on a fait une session studio avec Ponko, Bink Beatz, et Prinzly, qui sont les producteurs avec qui j’ai collaboré pour “Code 46”. C’était sur le moment, et vu que Stavo était avec son cousin, ils ont posé tous les deux et j’ai kiffé le résultat. Je le voyais très bien en premier morceau. Surtout avec le texte de l’intro, la voix et tout.
T’as des news de Joke/Ateyaba ? Il était sur deux sons du premier Brutal (“Ganja” avec 13 Block, “Pyramid Tokyo”) et là sur aucun.
Vu que j’ai produit pas mal de sons sur les trois dernières années pour lui, il y en a plein qui ne sont pas encore sortis. Du coup, ça s’est fait comme ça. Je me suis dit que comme j’avais déjà beaucoup de sons avec lui, pas besoin d’en rajouter. C’est comme avec Veerus, je vais continuer de bosser avec lui. C’est vraiment des artistes avec qui je bosse depuis très longtemps, les deux premiers. Donc Ateyaba, il y aura sûrement des prod’ sur son projet. Enfin, quand il le sortira.
Après le succès “On est sur les nerfs”, t’as pas eu peur qu’on te colle une étiquette “producteur attitré de Joke” ?
Non ça va. En vrai, “On est sur les nerfs” c’est vraiment une de mes facettes, qu’on ne retrouve plus trop aujourd’hui au niveau des prod’ et en termes de sonorités. C’est un truc de l’époque, en 2014, et c’était surtout pour un remix à la base que j’avais balancé sur Internet. Lui avait kiffé la prod’. C’était surtout un hasard ce morceau, mais un bon hasard.
“Soliterrien” avec Damso est ton premier single de ce projet, et dispose déjà d’un clip.
Ouais, c’est un gars qui s’appelle Lil’ Wavi, un spécialiste de jeux vidéo, qu’on a découvert sur Internet. On a bossé avec lui pour créer un avatar façon jeu vidéo. On lui a demandé de faire de la vidéo et il était chaud direct. On s’est dit qu’on allait faire que des vidéos digitales. Les prochains jours et prochaines semaines, on va encore donner du contenu comme ça. Tout est déjà prêt, y compris le clip digital de “Bad Days” avec Hamza et “Plâce Vendôme” avec Sidikey pour le mois d’octobre.
Sur la plaque d’immatriculation de la Subaru Impreza, il y a écrit “Elize”. Quelle est la signification ?
Il y a une signification, mais pour plus tard. En fait, on essaie de mettre plein de messages cachés comme ça à droite à gauche. Comme des “easter eggs”.
C’est l’un des morceaux forts du projet. Comment a-t-il vu le jour ?
À la base, on faisait une session studio en Belgique. On avait fait plein de morceaux en une journée, genre cinq sons. Mais quand je dis “une journée”, c’est genre de midi jusqu’à 6/7 heures le matin. C’était productif, et sur les cinq titres, on a décidé d’un commun accord de balancer celui-là pour ce projet.
Comment la connexion s’est faite avec Kobo ? Contrairement à la plupart des autres invités, tu n’as jamais bossé avec lui auparavant.
Effectivement, on n’avait jamais bossé ensemble. C’est la première fois que je collabore avec lui, et Cheu-B aussi d’ailleurs. Je les ai juste contactés directement et ils étaient intéressés. Je leur ai dit que je bossais sur un projet en mode compil’. Ce qui est bien, c’est que tous les invités du projet n’avaient pas écouté les autres sons. C’est ça qui était intéressant dans le processus. Quand ils ont découvert les autres tracks, il y en a plein qui m’ont contacté pour dire que c’était lourd. Ils sont contents d’être dessus, tout le monde l’a partagé, ça fait vraiment plaisir.
Tu leur avais révélé l’identité des autres artistes ?
Même pas. C’était comme ça que je voulais le faire.
On retrouve également Hamza sur ce projet. C’est un artiste un peu “fil rouge” de ta carrière.
Ouais depuis “Slowdown”. Depuis, on se tient tout le temps au jus. On se capte quand on peut et on fait des sessions ensemble. J’ai bien aimé son dernier album. Il a affirmé ce qu’il fait et les gens captent de plus en plus son délire. Il va dans ce qu’il aime.
Le rap belge est devenu une vraie mode en France. Tu étais en avance sur tout ça et tu en es même l’un des “bâtisseurs de l’ombre” grâce à tes collab’ avec Hamza et Damso.
Je les avais remarqués depuis six ans. Ce qui est bien avec le rap belge, c’est qu’ils étaient beaucoup moins fermés au niveau des prod’ que le rap en France à l’époque. On pouvait faire des trucs plus expérimentaux, comme les délires R’n’B avec Hamza. C’est ça qui me plaisait et c’est pour ça qu’on a continué à collaborer sur tous leurs albums. Ça m’a donné des idées pour m’ouvrir vers l’Europe, comme l’Angleterre, l’Italie, etc. C’est vraiment des trucs qui peuvent m’intéresser.
T’as des pistes ?
Ouais, ouais, je vais essayer d’aller en Angleterre un peu pour les prochains mois, on verra ce que ça donne. J’ai envie de rendre ma musique internationale.
Peu de gens peuvent se vanter de ramener d’aussi gros noms sur leur projet.
Même pour eux, c’était quelque chose de nouveau d’être sur une compil’ d’un producteur. C’était intéressant, et surtout un échange. Une sorte de challenge. Ils donnent de la force dans l’autre sens, ça fait plaisir.
Pendant longtemps, ce n’était pas le cas.
C’est sûr. Après forcément, producteur c’est davantage un rôle dans l’ombre. C’est fait dans des studios, loin des regards, et personne ne sait comment le son se crée vraiment. Ça sort ensuite d’un coup et la plupart des gens reconnaissent le rappeur mais jamais le producteur. Mais ce qui est bien en France, c’est qu’on s’intéresse de plus en plus à ce taf-là. Il n’est plus rare que des gens écoutent uniquement l’instru, sans les lyrics. Ça commence à s’ouvrir.
À part 13 Block (Triple S) et un peu Myth Syzer (Cerebral) et Veerus (Mercure), tu fais peu de projets entiers.
J’adore ça pourtant. Mais je trouve que j’en ai fait pas mal. Si t’ajoutes les deux en solo que je viens de faire, plus les trois que tu as dit, ça commence à faire beaucoup. J’aime donner une couleur globale à un projet. Je vais essayer d’en faire de plus en plus. J’aimerais bien aussi découvrir de nouveaux artistes, peu importe où, et produire des projets entiers avec.
Comment tu peux encore innover en ayant produit pour autant de beau monde ?
J’essaie vraiment de ne pas “trop faire” non plus, trop forcer dans d’autres styles ou quoi. Je fais ça à l’instinct et j’essaie de prendre du temps pour les morceaux que je kiffe plutôt que de balancer un maximum. J’aurais très bien pu envoyer plein de beats à tout le monde tout le temps, mais ce n’est pas ce que j’aime faire.
Je veux créer des vrais morceaux, pas juste envoyer des prod’ comme ça. J’aime le taf de producteur mais aussi aller en studio et faire les mix. Pour ce projet-là par exemple, j’étais avec Kezo et c’est ça qui a fait qu’on a avancé très vite dans un laps de temps réduit. On a réussi à obtenir un résultat qu’on aime tous les deux.
On dit souvent de toi que tu es l’un des meilleurs producteurs de ta génération.
Ça me fait plaisir. J’espère que ça motive des gens à faire de la production. Peu importe le sentiment, tant que ma musique en procure, je suis content. Être une source d’inspiration, alors que je sais ce que c’est d’en avoir une, c’est très valorisant. Tu peux donner envie à des gens de se lancer dans une carrière alors qu’ils n’y auraient pas forcément cru. Il me faudra peut-être un peu plus de recul pour juger tout ça, d’ici quelques années. Dans tous les cas, mon meilleur conseil, c’est de se faire plaisir.
Tu penses quoi de la polémique autour des propos de PLK en juin dernier ?
Il y a deux typologies. Les prod’ à 50 balles, que tu peux louer sur Internet, les typebeats, les trucs comme ça. Et il y a ceux qui créent avec des logiciels comme Fruity Loops. Pour moi, ce n’est pas du tout un logiciel de débutant. Les plus gros producteurs aux États-Unis l’utilisent, comme Metro Boomin ou Murda Beatz. Ce n’est pas du tout dévalorisant de produire sur Fruity Loops.
En plus, je ne suis pas d’accord : un taf, c’est rémunéré. Perso, je me suis toujours fait payer mes prod’ depuis le début. Il ne faut pas dénigrer les beatmakers, ils font autant partie du morceau qu’un rappeur. C’est un échange. Puis c’est au gars qui a créé de fixer les prix, et au pire n’achète pas ses prod’. Sans prod’, il n’y a pas de son.
T’as l’impression que l’ensemble des producteurs français progresse ?
Ouais, je reçois pas mal de messages de potes qui me disent d’aller écouter tel ou tel producteur. Les nouveaux écoutent beaucoup de rap US, et s’inspirent de trucs très différents. Il y a des sonorités propres à la France.
T’écoutes quoi en ce moment ?
J’écoute plus trop de rap en ce moment, davantage de la soul. Je suis dans une période où le rap m’a saoulé et j’écoute des trucs plus posés. Mais ça dépend vraiment des périodes. Je peux faire plein de choses, je ne suis pas juste producteur de rap. Même produire la bande-son d’un film, ça pourrait beaucoup m’inspirer.
Tes phases d’écoute t’influencent ?
Oui, par exemple en ce moment, j’écoute beaucoup Marvin Gaye et surtout son bassiste sur ses morceaux. Ce genre de basses là, je ne sais pas pourquoi, mais j’ai trop envie de faire des morceaux avec des basses comme ça et de tester ce que ça donne.
Les USA, c’est toujours dans un coin de ta tête ?
Ouais. Après je vais commencer à aller sur place, et continuer avec ceux qui sont au Canada et avec qui je bosse depuis le début, comme Derek Wise et WondaGurl.
Il y a des artistes avec qui t’aimerais bosser plus que tout ?
J’aimerais bien bosser avec PartyNextDoor, parce que j’ai fait un peu de R’n’B, mais jamais du R’n’B de Toronto alors que c’est quelque chose que j’aime beaucoup. Ça collerait bien avec mon univers.