Historienne de son temps, Ibticem Larbi dessine les détails de nos existences

Publié le par Lise Lanot,

© Giulia Frigieri ; © Ibticem Larbi

Des histoires dessinées où se retrouver, se projeter et se perdre à l’infini.

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Ibticem Larbi a grandi avec l’idée de devenir archéologue, “pour pouvoir dénicher des dinosaures”, se remémore-t-elle en riant. Fossiles et espèces disparues n’ont finalement pas fait partie de sa vie professionnelle, mais elle a conservé cet esprit de dénicheuse, cette curiosité d’esprit qui l’anime depuis l’enfance, la poussant à “consommer énormément d’œuvres graphiques, de livres pour enfants, de mangas, de BD, de romans, de magazines, de films d’animation, de jeux vidéo et j’en passe”.

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Sa fibre archéologique ne l’a jamais quittée, elle aime toujours conserver et partager des morceaux de ce qui constitue un monde : elle se souvient notamment avoir “toujours aimé redessiner [ses] personnages préférés, recopié les covers des Dragon Ball“, mais aussi réalisé “des petites BD, des histoires” sur ce qui l’entourait. Malgré ces habitudes prises jeune, “l’idée ou le rêve de devenir illustratrice” a mis un peu de temps à germer. C’est au lycée, en découvrant qu’il existe des formations dédiées aux “différents pôle du design”, que l’adolescente ouvre les yeux “sur un monde qui [lui] était fermé”.

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© Ibticem Larbi

Ses études artistiques lui permettent aujourd’hui de poursuivre sa voie d’historienne, en figeant son quotidien, les personnes qu’elle admire et les petites choses qui l’animent : “J’aime penser que mes illustrations sont des témoins de notre époque, comme un journal intime ouvert où chacun·e pourra voir ou lire quelque chose qui résonnera avec ce qu’iel vit ou ressent, au passé ou au présent.”

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“Mes illustrations sont des témoins de notre époque, comme un journal intime ouvert”

Les dessins d’Ibticem Larbi prennent racine dans sa “vie de tous les jours, [ses] expériences, celles de [ses] proches et des gens qu’[elle] rencontre, mais aussi et surtout, tout ce qu’[elle] consomme”, nous énumère-t-elle. Ses œuvres sont infusées de ce qui la nourrit depuis toujours, comme une capsule temporelle qui appelle à la communauté d’esprits, à l’exaltation d’amours et de passions communes :

“Je suis toujours accompagnée de musique pendant que je dessine et dans mon quotidien, je lis et regarde toujours quelque chose donc, tout naturellement, ça nourrit ce que je fais. J’aime aussi l’idée de partager ce que je découvre, ça me permet de voir si les gens y sont sensibles, s’il y a une autre personne que moi qui ne se cache pas dans un forum perdu et qui aurait vu les mêmes films, etc.

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Et surtout ça les pousse aussi à partager leurs découvertes et je trouve ça vraiment cool. À l’époque, c’était assez fermé comme circuit dès qu’on sortait un peu des ‘normes’, donc c’était difficile de créer des connexions par rapport à ce qu’on aimait culturellement. Aujourd’hui, c’est simple comme bonjour. C’est ma ‘teenage revenge’ de revendiquer tout ça et de faire des clins d’œil dès que je peux maintenant !”

© Ibticem Larbi

L’ombre adolescente de l’artiste plane au-dessus de ses créations, peuplées de femmes puissantes, souvent empreintes de dimensions mystiques et spirituelles : “Ça, c’est parce que je suis entourée de femmes comme ça au quotidien ! Je ne peux pas ne pas parler d’elles, surtout qu’on les voit très rarement dans le monde de la BD et de l’illustration – ou alors, c’est souvent dans des sujets lourds, vus et revus. Je veux parler de femmes comme nous, créer des histoires où l’on n’a pas juste envie d’être à la place du personnage principal, mais de se sentir comme elle parce qu’on partage plus ou moins les mêmes codes et parce que l’histoire est cool.”

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“Je suis entourée de femmes comme ça au quotidien ! Je ne peux pas ne pas parler d’elles, surtout qu’on les voit très rarement dans le monde de la BD”

Ses personnages évoluent dans des scènes truffées de détails et de références qui permettent au public de se reconnaître dans des accroches symboliques, culturelles et générationnelles : “Je veux créer des images qui parlent aux gens. Même si c’est parfois absurde, on peut toujours se projeter. Des fois, ça passe par des vêtements, des objets ou des relations, des échanges entre les personnages, des questionnements”. Les vêtements sont d’autant plus importants pour l’artiste qu’elle souligne son amour de la mode et la façon dont le travail des silhouettes et de l’affirmation des personnages par leur style l’a toujours touchée : “Ado, j’ai grandement été influencée – et encore aujourd’hui d’ailleurs – par la mode, les défilés, les costumes et les mangakas qui aiment la mode : ça se ressent direct dans leurs œuvres, comme Moyoco Anno ou Ai Yazawa. Même dans les vieux animés et les jeux vidéos, les outfits des personnages m’ont toujours marquée.”

© Ibticem Larbi

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Cette volonté d’être “témoin de son époque” s’accompagne d’une portée sociétale. Sans jamais en avoir fait “un point d’ancrage ou un statement spécifique”, sont “venues naturellement”, sur la route d’Ibticem Larbi, des collaborations dans des projets qui visent à combattre les clichés, notamment concernant les femmes musulmanes ou maghrébines :

“Comme je représente des personnages qui me ressemblent et qui ressemblent à mes proches, des sujets qui nous concernent, ça se retranscrit dans ce que je dessine. C’est aussi un moyen de montrer tout ce qu’on est et qui ne se voit pas, de parler de nous par nous, sans passer par des yeux extérieurs, mais sans en faire un sujet central.

Je pense que j’y participe à ma manière, en racontant plutôt tout ce qui nous passionne, nos tafs, nos relations, nos aventures rocambolesques, nos envies, nos questionnements… C’est ce qu’on voit d’habitude mais on est out of the picture, du coup je crée cette picture-là pour nous. Et je suis plus qu’heureuse de voir qu’on est de plus en plus à le faire, que ce soit dans l’illustration, la photo, les articles, les événements…”

Si Ibticem Larbi s’intéressait aux dinosaures, c’était peut-être par intérêt pour l’histoire collective, pour la compréhension de ce qui nous lie, de ce qui fait de nous ce que nous sommes aujourd’hui. Ces points d’ancrage ne l’ont, semble-t-il, jamais quittée puisque ses dessins répondent à ces mêmes interrogations tournées vers l’humanité, convoquant le passé pour mieux profiter de notre avenir.

© Ibticem Larbi
© Ibticem Larbi
© Giulia Frigieri

Vous pouvez retrouver le travail d’Ibticem Larbi sur son compte Instagram.