Après Junior et Mange, court-métrage et téléfilm, Julia Ducourneau et Garance Marillier se retrouvent de nouveau pour Grave. Un film audacieux, petit bijou ravageur qui a définitivement propulsé les deux amies de longue date sous les projecteurs. On a discuté longuement de l’univers excitant, sanglant et addictif de la cinéaste avec la pétillante Garance Marillier, tête d’affiche de ce film interdit aux mineurs aux États-Unis.
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De retour à Paris après avoir fait la promo outre-Atlantique, la petite “bubuche” comme la surnomme Julia Ducournau a rattrapé ses heures de sommeil en moins, retrouvé son cocon familial, et notamment le filet mignon de sa mère, caramélisé au soja. Non, dans la vie, Garance n’est pas végétarienne. Elle déteste les films d’horreur et n’est pas une élève modèle incollable en anatomie animale.
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La petite brune est une lycéenne qui regarde Narcos et passe actuellement son bac au lycée Georges Brassens dans le 19e arrondissement de Paris. Grâce aux horaires aménagés pour les pratiques artistiques, elle a pu défendre Grave, un film savoureux qui dépoussière, à sa manière, le cinéma français.
Rigolote comme tout, elle revient sur son enfance et son parcours, raconte avec passion et générosité le travail intense sur le tournage à Liège. Sur l’affiche du film, à la Wong Kar-wai, elle nous fusille du regard mais la nouvelle Hannibal Lecter, épuisée des spectateurs lourdos qui lui tendent un doigt pour qu’elle le croque, frappe avant tout par sa maturité et sa malice.
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Konbini | Comment as-tu fait pour gérer à la fois tes cours et le film ?
Garance Marillier| J’ai redoublé pour Grave. Mais je m’en sers un peu comme excuse… J’avais des résultats assez fragiles et je n’avais pas envie de me lancer dans une terminale et un film avec un premier rôle. J’ai préféré faire une première tranquille et m’investir totalement dans Grave plutôt que de rater les deux.
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Comme au lycée Georges Brassens on a des horaires aménagés, les étudiants peuvent avoir des activités artistiques à côté. Ce sont des demi-journées de cours pour les musiciens, les danseurs, les comédiens, les sportifs… Quand tu pratiques intensément, ça te permet de suivre un cursus.
Donc ça fait longtemps que tu voulais devenir actrice ?
Pas du tout, en fait mon “déterminisme social”, c’est la musique : dans ma famille, on est tous musiciens. À la base moi, je faisais de la percussion classique, spécialisée en caisses claires. Mais quand j’avais onze ans, ma mère est tombée sur l’annonce du casting de Julia qui préparait Junior. C’était pour un rôle de garçon manqué, ce que j’étais complètement à l’époque ! Elle m’y a poussée pour que je fasse mon cinéma ailleurs qu’à la maison, si tu veux.
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Et alors, tu t’es sentie comment la première fois que tu as joué ?
C’était hyper bizarre, je faisais la gueule, comme d’habitude. J’avais un énorme jogging, genre grosse caillera qui débarque du 20e et au moment de jouer, c’est parti en live. Je devais faire une improvisation avec Julia : on devait se clasher sauf que je n’avais aucun recul de jeu donc je prenais tout pour moi et je me vexais vraiment.
C’est étonnant que vous ayez été aussi loin alors que vous n’êtes pas parties du bon pied.
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Ce n’est pas que ça s’est mal passé. J’étais en pleine crise d’ado et je ne savais même pas que c’était la réalisatrice. Pour moi, une cinéaste c’était une vieille, un peu aigrie qui me regarderait jouer. Donc quand j’ai vu cette grande brune rayonnante, je me suis dis que c’était une fille du casting. Pour l’improvisation, elle a commencé à m’attaquer sur mon physique, ma manière de m’habiller. Je l’ai vraiment mal pris, alors que c’était de la provoc’ pour me réveiller.
Mais finalement, ça a créé une proximité immédiate entre nous. Nos caractères sont assez similaires, assez forts et sensibles. Une confiance aveugle s’installe petit à petit. C’est ce qui fait qu’ensemble, on va toujours plus loin. Je sais qu’elle respectera toujours mes désirs, donc je me laisse complètement guider sur le tournage. C’est presque comme des chorégraphies.
Oui, dans Junior et Grave, tu sembles très à l’aise avec ton corps…
Je pense que tout vient du corps, dans le jeu. Je ne suis pas en phase avec les méthodes brutes, comme “là, ton personnage est triste, donc sois triste”. Je n’y crois pas du tout. Je pense que si quelqu’un est malade, ça se voit surtout à sa manière de se tenir. On n’a pas des yeux pour voir ce qu’il se passe dans la tête. Ça n’empêche pas de partir des émotions, on ne peut pas partir d’ailleurs que de soi. L’acteur est une sorte de danseur et de musicien. Tous nos dialogues, c’est de la musicalité. Grâce à mon milieu, j’ai une oreille musicale sur le jeu, les intonations à prendre, la manière d’achever mes phrases… Finalement, ce n’est que de la répétition, trouver la bonne justesse de musique.
Pour Grave, Julia est revenue te chercher ?
La première fois qu’elle m’a parlé du rôle, c’était à la fin du tournage de Mange, le téléfilm qu’elle a fait pour Canal +. Elle discutait avec mon père et lui a dit que je n’aurais pas de rôle dans son nouveau film : Justine avait 20 ans, moi à l’époque, j’en avais 13. Mais comme nous sommes très proches dans la vie, on continuait à passer du temps ensemble et elle m’a avoué qu’elle pensait finalement à moi, mais qu’elle ne voulait pas fausser son écriture. Au fur et à mesure, j’ai grandi, elle a revu le rôle et n’a même pas fait de casting.
Mais ce qui est marrant, c’est que la première fois que j’ai rencontré Jean des Forêts, le producteur du film, il m’a dit : “Pendant quatre ans, on savait tous que ce serait toi, mais on ne le disait pas à Julia pour ne pas l’influencer.” C’était évident pour tout le monde, sauf nous !
Comment avez-vous travaillé sur le film ?
Pendant presque un an, on a discuté du film, de la psychologie des personnages. On a d’abord fait des essais sans entrer trop dans le jeu puis on a commencé à avoir des exercices sur le corps. On s’est s’approprié un animal. Rabah était un oiseau, comme c’est la lumière du film et qu’il apporte quelque chose de léger. Ella Rumpf, le fauve hyper imposant, quitte à se mettre en danger. Et Justine, une panthère noire qui se révèle au fur et à mesure. Un personnage qui va prendre plus de profondeur et d’intensité.
Sur le plateau, ensuite, une fois qu’on a compris la psychologie du personnage, on a travaillé sur la chorégraphie et la manière de se tenir. C’est très maîtrisé et c’est tellement agréable de se laisser diriger par quelqu’un qui sait exactement ce qu’elle veut.
Tu es ressortie comment de ce tournage ?
Tout le monde me disait que j’allais avoir un “post-bad” en sortant du tournage. Au final, quand je suis sortie du film, j’avais juste envie de dormir ! J’ai adoré le tournage, c’était extraordinaire de vivre avec ces gens H24 mais mon corps était épuisé. Physiquement j’étais au bout du rouleau, j’étais blanche avec des bleus partout. J’étais vraiment dans un état où les maquilleuses me disaient : “Il faut que ça se finisse là !” Elles ne faisaient que ça, me cacher les bleus. Je suis jeune et je n’ai pas encore la technique d’Isabelle Huppert, c’est pour ça que je veux faire l’école du Jeu, qui axe sa formation sur le corps.
Isabelle Huppert t’inspire ?
Non je dis ça parce c’est une grande actrice. Celui qui m’a inspiré, c’est Wagner Moura dans Narcos. C’est la première fois que j’ai été frappé par le jeu d’un acteur quand j’ai commencé la série. Le mec est là, il ne fait rien : il regarde juste par le bas et il crève l’écran. Il a une prestance, une intensité qui fait qu’il irradie toute la scène. Le regard intense, c’est quelque chose qu’on essayait de reproduire avec Julia.
Et avec Julia vous allez encore avoir d’autres projets ensemble ?
Je n’aime pas faire des appels de phares mais Julia passera toujours avant les autres pour moi car on a commencé ensemble et nous travaillons bien toutes les deux. Julia a une notion de fidélité dans le travail. C’est un peu cette idée de créer une famille de jeu. C’est tout à fait probable.
Tu parles de famille, j’ai vu que tu vivais dans la même rue que Rabah.
Oui, il me faisait très peur à l’époque. Il jouait au foot avec mon frère quand il était petit. Moi j’habite dans la rue des bobos, et lui dans la rue des cailleras, pour résumer grossièrement. Je passais tous les jours par cette rue pour rentrer chez moi. Ils étaient toujours en groupe. Quand j’ai su que Rabah avait le rôle, j’ai paniqué mais finalement, dès que je l’ai rencontré, je me suis tout de suite aperçu que c’était une crème. C’est un mec qui a tellement de valeurs, il est exceptionnel.
Toi, tu voulais défendre quoi précisément avec Grave ?
J’aime énormément le personnage de Justine. Même si ce n’est pas le personnage le plus exubérant, la plus drôle, elle n’est pas aussi imposante que sa soeur par exemple, c’est pour moi c’est pourtant la vraie battante de ce film. Elle se bat contre elle même, contre sa part de monstre. Pour moi, il n’y a rien de plus beau. C’est trop facile de se laisser submerger par ses côtés sombres. Elle défend aussi ses valeurs, même trop. Chose qui me ressemble beaucoup : dans la vie j’essaye de rester fidèle à mes principes.