Que se passe-t-il dans le cinéma français ? En sept jours, deux nouveaux produits bas de gamme ont envahi les salles obscures et s’attirent, pour leurs propos outranciers, la foudre des médias. Vendus comme deux comédies décomplexées, Gangsterdam et À bras ouverts finissent surtout par s’enfoncer dans un discours sexiste et foncièrement raciste.
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D’un côté Kev Adams et son humour pipi-caca. De l’autre, Christian Clavier, son gros bide et ses airs de bourgeois perfide. Deux têtes d’affiche qui parlent à deux générations opposées – la jeune et une plus vieillissante – mais qui finalement proposent des discours tout aussi rétrogrades en surfant, sans complexe, sur les clichés.
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À bras ouverts : une caricature malaisante
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Dans À bras ouverts (qui aurait dû s’appeler “Sivouplééé”, ce qui fut modifié afin de calmer les premiers hurlements médiatiques), le problème de notre Christian Clavier national, qui l’empêche de dormir profondément dans ses draps de soie, c’est l’intrusion d’étrangers dans son cocon. Renommé Jean-Étienne Fougerole, la nouvelle coqueluche de Philippe de Chauveron est transformée pour ce rôle en un médiocre intellectuel prêchant, dans son costume impeccable payé au moins trois fois le SMIC, les idéaux de la gauche humaniste.
Ses ennuis commencent lorsqu’il est défié par un adversaire d’extrême droite, en direct sur un plateau télé : il se retrouve alors contraint d’accueillir une famille de Roms dans sa maison XXL, afin d’embellir son image médiatique. Évidemment, les nouveaux pensionnaires finissent par pourrir la vie de sa famille et de toute sa commune.
Les premières images plantent le décor. Dès le début, le montage fait le grand écart entre deux mondes : un plan extralarge sur le luxe de la maison d’un couple de bourgeois, suivi d’un autre (truffé de clichés sur la misère) montrant la caravane des Roms. Pour interpréter le personnage de Babik, Ary Abittan joue le crade et s’est amusé à prendre un accent impossible pour singer les gens du voyage. Les gens du voyage ? “Non, ces gens-là ne voyagent pas, ils squattent, ils s’installent”, balance l’un des personnages.
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Philippe de Chauveron, l’homme qui a explosé le box-office avec son désormais culte Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu (plus de 12 millions d’entrées), a voulu caricaturer la bourgeoisie gauche caviar, représentée ici par deux hypocrites qui se pavanent en peignoir de soie dans leur jardin surdimensionné en sirotant des cocktails (un jus d’abricot au quinoa pour le perso campé par Elsa Zylberstein) apportés par leur domestique indien.
Pour parfaire cette atmosphère colonialiste, cette maisonnée trop tranquille devient un cirque dans lequel les Roms se transforment en espèces d’animaux, qui se nourrissent de taupes et vivent entassés à neuf dans une caravane. Des sauvages violents et illettrés qui préfèrent voler les Parisiens, chanter déguisés en Péruviens dans le métro ou faire la manche, que d’aller sur les bancs de l’école. Dans ce film, les livres servent littéralement à se torcher. Pour résumer, ces personnages – qui ravagent les toilettes de leur hôte, promènent leur porc dans la rue et sont souvent qualifiés “d’exotiques” dans le film, comme pour éviter de dire un gros mot –, semblent incapables de s’intégrer à la société.
À bras ouverts dresse un portrait caricatural et biaisé qui se veut pourtant un joyeux moment de diversité. Sauf que ce spectacle sur la différence n’est pas drôle. Et quand on a la prétention de faire rire les gens avec une actualité aussi délicate, les fantaisies excessives sont impardonnables. C’est tellement écœurant qu’on n’en sort pas indemne. Mais le pire ? C’est d’entendre rire, deux sièges plus loin, des spectateurs dissimulés par l’obscurité de la salle de cinéma. En 2017, ça fait mal.
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Gangsterdam, vulgaire et sexiste
Gangsterdam raconte l’histoire de Ruben, un gros loser (pas vraiment un rôle de composition pour Kev Adams) qui tombe amoureux, au premier regard, d’une fille de sa promo, loin de son univers. Nora (Manon Azem) est libre, mystérieuse, solitaire et inaccessible. Afin d’improviser un triangle amoureux, les scénaristes ont jugé bon d’ajouter un dernier personnage principal : Durex (Côme Levin). Le meilleur ami de Kev Adams porte donc le nom d’une marque de préservatifs. Une fois le décor planté – et que l’on sait que pendant 1h40 on va se farcir une version étirée (et donc pire) de Soda – le trio s’en va dealer à Amsterdam, dans la cour des grands.
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Au cœur de cette comédie lourdinge, des punchlines improbables se cachent. La plus frappante ? “On s’est mal compris. Moi je te parlais du viol cool, pas du viol triste où ça chiale, ça porte plainte…”, balance l’un des personnages après avoir proposé de violer une prostituée. Quelques minutes plus tard, la clique de Kev Adams continue à débiter des aberrations sexistes : “T’as rien compris mec, c’est la femelle qui doit aller vers le mâle” , “elle veut un mec qui la salit, la maltraite”, ou encore plus classe : “Nora, inonde mon vagin.“ Et là, on se rappelle de la toute petite phrase à laquelle on ne prête jamais attention en début de film : “Avertissement : des scènes, des propos ou des images peuvent heurter la sensibilité des spectateurs.”
Pour un film pourtant tout public, on imagine assez bien le malaise du daron qui en sortant de la salle va devoir expliquer à ses enfants ce qu’est “une bosse de bite”. Et de la bite, malheureusement, il y en a partout. Du sexe excessif tartiné partout et dans tous les sens, de façon plus ou moins suggérée, du début à la fin. La bite est tellement sacralisée qu’elle apporte même le dénouement de cette superbe histoire : comme les héros ne parviennent pas à se débarrasser de deux mafieux parasites, Durex leur soumet, alors qu’ils ont l’avantage sur eux, une solution édifiante : “Si tu veux rester vivant, tu fous sa bite dans ta bouche et tu suces. On filme et on le met sur le cloud. Avec un dossier comme ça, il ne viendra plus jamais nous faire chier.” Le combo viol et revenge porn semble donc être la solution idéale pour sortir victorieux.
Le problème majeur de Gangsterdam c’est que le scénario est tellement mince qu’il a fallu meubler. Et ce remplissage se fait avec du vulgaire et du sexisme. Mais aussi du racisme – même si, comme l’affirme Durex, “quand c’est vrai, c’est pas raciste”… Dans cette comédie décomplexée comme la droite de 2017, les Juifs sont des victimes, les Arabes sont des voleurs et les Blancs détiennent les réseaux pédophiles parce qu’ils ont un cerveau plus développé (si l’on force un tout petit peu le trait). On espère en tout cas, avec un budget estimé à 13 millions d’euros, que Booba (qui prête au film son “Bakel City Gang”) a récupéré un bon gros chèque qui lui permettra de continuer à produire du rap engagé.
Pour résumer, si pour Philippe de Chauveron l’enjeu dramatique consiste à se demander comment son petit couple de bourgeois va se débarrasser des Roms sans faire de scandale, Romain Levy s’inquiète plutôt de savoir comment son héros va bien pouvoir pécho son crush. Derrière ces deux enjeux scénaristiques, l’immigration et la drague, se nichent d’inquiétants messages homophobes, racistes et sexistes que le cinéma français diffuse sans aucune vergogne dans les salles obscures – à quelques semaines des élections…