Rappelez-vous, en 2009, Bienvenue à Jersey Shore débarquait sur MTV, et nous présentait le quotidien plutôt nocturne et imbibé d’une joyeuse bande de huit jeunes hommes et femmes en colocation. Depuis, les itérations à travers le monde se sont succédées : Geordie Shore, The Valleys, Germany Shore ou encore Acapulco Shore. Inévitablement, c’est désormais au tour de la France d’avoir droit à son quart d’heure de trash, avec Frenchie Shore. Verdict ?
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Leadée par Antonin Portal, ancien membre de la famille de Marseillais, l’émission réunit “cinq hommes et cinq femmes, qui ont entre 20 et 30 ans, choisis pour leur personnalité extravagante, leur tempérament et leur style de vie excentrique [et qui] vont passer des vacances mémorables dans une luxueuse villa du Cap d’Agde où tout peut arriver”, nous apprend un communiqué de presse.
Frenchie Shore entend ramener sur nos écrans “la vraie téléréalité”. Après avoir vu les deux premiers épisodes, on ne peut pas vraiment leur enlever. Si les productions de téléréalité actuelles cumulent déjà leurs doses de trash respectives, les off ou les événements survenus “pendant la nuit” deviennent coutume, et la “réalité” se perd parfois derrière quelques écrans de censure ou d’aseptisation, notamment pour protéger la jeune audience. Problème : il existe une demande de plus de contenu, et surtout de moins de limites, que Frenchie Shore entend combler.
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Verges pixélisées, hypersexualisation, humour graveleux et corps exposés sous toutes les coutures : l’émission assume son mauvais goût, et s’en sert même comme moteur de son format, au risque de faire grincer des dents et générer le débat. Et si les sorties problématiques et douteuses se multiplient, la spontanéité et l’ingénuité du casting semblent presque les excuser. Frenchie Shore a le mérite de parler français, où en tout cas une langue qui ressemble davantage à celle de la vie de tous les jours, dans tout ce qu’elle a de vulgaire, de maladroit, mais aussi d’honnête et en accord avec son temps. Pour le meilleur et pour le pire.
Diversité et représentation
Au-delà des stéréotypes des bimbos et des beaux gosses, campé·e·s avec charisme, muscles et bikinis par les Julie, Théo, Tristan ou Pépita, la série se paie également un casting qui transpire la diversité, sans pour autant essentialiser ses personnages. Et c’est une nouveauté, quand on sait que la plupart des autres productions de téléréalité limitent cruellement leurs candidat·e·s à leur identité de genre, ou à leur orientation sexuelle.
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Pansexualité, bisexualité, homosexualité, transidentité : la communauté LGBTQIA+ trouve naturellement sa place dans la petite bande de Frenchie Shore, et si certaines représentations restent caricaturales, elles reflètent tout de même une partie de la communauté qui a besoin d’une représentation positive. Par “positive”, on parle de légèreté, et beaucoup de fun.
Ouryel, que beaucoup couronnent déjà comme la nouvelle reine de la téléréalité, a notamment rendu son coming out trans léger, et rempli d’humanité — en quelque sorte. “Franchement ça change rien à l’attirance que j’ai pour elle. J’ai toujours autant envie de la b*iser” partage Melvin, non sans poésie. La séquence, déjà visionnée près de 3 millions de fois sur X/Twitter, propose une forme inédite de représentation trans, enfin débarrassée du trauma et du poids d’un coming out qui perd progressivement (et heureusement) de son intérêt au fil des années. Un peu d’espoir.
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Au niveau de la sexualisation des femmes, ne nous voilons pas la face : les corps féminins sont toujours soumis au male gaze et aux diktats éternels, mais avec une touche de diversité qui fait du bien. En plus de ça, et pour l’une des premières fois, les corps féminins sont davantage sexualisés par les femmes elles-mêmes, qui embrassent leurs désirs et s’autorisent l’expression de ceux-ci, comme les hommes ont toujours eu la liberté de le faire dans ce genre de formats. “Tous les mecs de la maison jouent sur plusieurs tableaux, sauf que, nous, on peut faire la même chose aussi.” Bien dit, Kara.
Les problèèèèèèèmes
Comme Bienvenue à Jersey Shore à l’époque, l’émission provoque évidemment l’indignation de bon nombre de curieux·ses, qui s’offusquent souvent à juste titre face à l’impertinence du programme. Problème d’hypersexualisation, violence verbale sans filtre, séquences hautement graphiques : la série comporte ses vices, et le message de prévention envers les jeunes audiences du début d’émission est plus crucial que jamais. Mais nier que tout cela est un reflet de l’époque serait peut-être hypocrite.
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Enzo, candidat marseillais ouvertement homosexuel, a notamment fait parler sur les réseaux pour son portrait, dans lequel il assume son caractère sélectif, que beaucoup assimilent à une forme de discrimination envers les hommes efféminés : “Je cherche quelqu’un de viril. C’est moi la folle, […] je n’ai pas envie d’avoir quelqu’un qui est moins viril que moi sinon gérer une go, c’est plus rapide”. Tristan, de son côté, perpétue le cliché du bad boy qui brille en société pour enchaîner les conquêtes sans vraiment se soucier que deux femmes se déchirent violemment pour ses abdos.
Mais jeter la pierre à Enzo et Tristan serait oublier qu’encore toute une partie de la communauté homosexuelle est gangrenée par cette sélectivité toxique, alimentée par les applications de rencontres de type Grindr, et que la plupart des mecs hétérosexuels sont des charos qui ne disent pas leurs noms.
En ce sens, ces deux exemples montrent bien que Frenchie Shore reflète l’époque, dans tout ce qu’elle a de problématique, d’imparfait et de surréaliste. Si tout cela prête souvent à rire, c’est peut-être également l’occasion de se demander à quel point ces caricatures extravagantes de l’émission ne sont pas simplement les extrapolations de mécanismes qu’on applique nous-mêmes au jour le jour. Ne mentez pas : il y a quelque chose en vous de Frenchie Shore.