De moins en moins de Français lisent, mais ils sont toujours autant de candidats pour être publiés. Et pour Gallimard, c’en est trop : l’éditeur prie les écrivains aspirants d’attendre avant d’envoyer leur prose. “Compte tenu des circonstances exceptionnelles, nous vous demandons de surseoir à l’envoi des manuscrits. Prenez soin de vous toujours et bonnes lectures”, écrit la prestigieuse maison sur son site Internet.
Ce conseil y est apparu début avril et a été relayé sur le compte Twitter officiel le 2 avril, un vendredi en fin d’après-midi. Pas sûr qu’il soit suivi unanimement, mais pour accroître ses chances, mieux vaut s’y plier. Et patienter.
#Communiqué Compte tenu des circonstances exceptionnelles, nous vous demandons de surseoir à l’envoi des manuscrits. Prenez soin de vous et toujours bonnes lectures à tous
— Gallimard (@Gallimard) April 2, 2021
Le contexte est assez défavorable aux inconnus qui se rêvent en Houellebecq ou en Nothomb. La fermeture des librairies à deux reprises en 2020, au printemps et à l’automne, a entraîné des reports de parution, provoquant un embouteillage en 2021. Si se faire publier est toujours difficile pour un débutant, c’est devenu encore plus compliqué.
Gallimard n’est pourtant pas avare en premiers romans dans sa fameuse Collection blanche : cinq à la rentrée de janvier, deux en mars, deux en avril… Interrogé par l’AFP sur les raisons de ce message au grand public, l’éditeur a évoqué l’immensité des volumes envoyés.
Les quelque trente manuscrits par jour ouvré reçus rue Gaston-Gallimard sont devenus cinquante, depuis près d’un an. “Nous tenons à accorder la même attention à tous les manuscrits que nous recevons et nous répondons à tous les envois. C’est un travail considérable qui demande de la minutie et de la disponibilité d’esprit. C’est pour toutes ces raisons que nous avons demandé de suspendre, tout à fait momentanément, l’envoi des manuscrits”, a expliqué Gabrielle Lécrivain, éditrice.
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“Prendre sa Remington”
Certains concurrents avaient donné le même conseil dans un contexte très particulier : lors du premier confinement, au printemps 2020. “Nous et d’autres éditeurs, nous avions mis un message sur le site Internet pour demander d’attendre avant d’envoyer un manuscrit. Je m’attendais à un tsunami quand on l’a enlevé pour le déconfinement. Il n’a pas eu lieu, mais il y a un certain rattrapage actuellement”, dit à l’AFP Laure Belloeuvre, du service des manuscrits du Seuil.
Cet éditeur reçoit environ 3 500 manuscrits par an, concentrés en début et en fin d’année. Entre janvier et mars, 1 200 sont parvenus. “C’est beaucoup. Maintenant que tout le monde sait se servir d’un ordinateur pour écrire, nous voyons des gens qui écrivent et dont nous sentons qu’ils ne lisent pas. Ce n’est plus comme au temps où il fallait prendre sa Remington pour taper son manuscrit, ce que faisaient des passionnés de littérature”, raconte l’éditrice.
“Nous, on ne coupe pas le robinet, indique Juliette Joste, éditrice chez Grasset. On a des programmes ultra chargés, et on ne peut quasiment rien prendre qui vient de La Poste : un ou deux titres par an. Mais j’ai vu ce message de Gallimard avec étonnement.” Grasset, qui avait approché un record de 5 000 manuscrits reçus en 2018, en a reçu plus de 1 000 en 2021, à la mi-mars.
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Renouveler le catalogue
Quand les éditions Novice, qui n’avaient encore publié aucun livre, ont créé en janvier 2020 un prix littéraire destiné aux “écrivains non publiés”, le jury a reçu pas moins de 150 manuscrits. “Je n’avais pas envie qu’on en reçoive un nombre ingérable, donc la fenêtre d’envoi était volontairement très courte, et on a communiqué assez peu”, explique à l’AFP Timothé Guillotin, le fondateur de cette maison.
Le nom du lauréat ou de la lauréate (qui sera publié) sera révélé vendredi. “C’est quelqu’un qui a essayé de publier et qui a reçu pas mal de refus, même si les réponses étaient toujours encourageantes. C’est passé pas très loin chez Flammarion. Et notre jury a compris pourquoi, avec ce très beau roman”, a ajouté M. Guillotin.
Les éditions de L’Olivier constatent le même engouement. “Plus de 700 manuscrits sur les trois premiers mois, ce qui fait qu’on dépassera 2 000 cette année, alors qu’on était à 1 500 ou 1 600 par an avant le prix Goncourt de Jean-Paul Dubois” en 2019, relève Jeanne Grange, du service des manuscrits. “À deux éditrices pour les éplucher, on ne peut pas tout lire en entier, c’est certain. Mais je ne dissuaderais jamais personne. La vitalité d’un éditeur se voit au renouvellement de son catalogue”, ajoute-t-elle.
Konbini avec AFP
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